La Dame du Lac qui voulait pour son Beau Trouvé des compagnons de son
âge, savait où les trouver. Elle fit venir près d’elle sa suivante Saraïde et
l’envoya à la cour du roi Claudas. Saraïde se mit en route.
Claudas de la Terre Déserte avait
vaincu le roi Bohort de Gaunes et fait enfermer ses deux fils dans une
tour, où rien ne leur manquait sauf la liberté. L’aîné se nommait Lionel en
raison d’une marque qu’il avait sur la poitrine et qui avait la forme d’un
lion ; le plus jeune portait le nom de son père : Bohort.
Leur maître, le sage Pharien et Lambègue son neveu avaient demandé à
rester avec eux. Lionel semblait
s’accommoder de son état ; pourtant un soir que le vieux maître regardait
son élève manger d’un bel appétit il ne
put s’empêcher de pleurer. Lionel lui en demanda la raison. Après s’être fait
prier, Pharien lui avoua sa grande tristesse de voir ainsi les enfants de son
roi prisonniers tandis qu’un usurpateur faisait la loi dans le royaume. Lionel
ne répondit rien, mais repoussa violemment la table en faisant tomber tous les
plats à terre. Puis il quitta la salle et grimpa tout en haut de la tour où
assis sur la balustrade, il contemplait l’horizon. Pharien inquiet vint le rejoindre, lui
demanda de redescendre et d’achever son dîner afin de ne pas inquiéter son
jeune frère.
« Je suis votre seigneur, répondit Lionel, à toi, à mon frère et
à ton neveu. Je vous ordonne à tous d’aller manger. Quant à moi, je ne
toucherai plus aucune nourriture tant que mon père ne sera pas vengé. »
Pharien, ému de la résolution de l’enfant finit par lui arracher la
promesse de ne rien tenter contre Claudas tant qu’il ne serait pas plus âgé et
plus fort. « Alors, ajouta le
maître, je t’aiderai de tout mon pouvoir ! »
Lionel après bien des réticences, finit par promettre, mais à la
condition que jamais Claudas ne se trouverait en sa présence. Dans ce cas, il ne serait plus maître de
lui-même assez pour tenir sa promesse.
C’est le lendemain, jour de la fête de la Madeleine, où chaque année,
Claudas tenait sa cour, qu’on vit entrer
dans la grande salle du palais une femme très belle qui tenait par des chaînes
d’argent deux beaux lévriers blancs. C’était
Saraïde, l’envoyée de Viviane.
« Roi, dit-elle à Claudas, pourquoi garder en prison deux enfants
innocents ? Le bruit court que tu veux les faire mourir et le peuple qui
aimait leur père, pourrait bien se soulever pour leur venir en aide. »
Claudas avait un neveu, Dorin, qu’il aimait beaucoup. Il voulait lui
laisser le royaume prospère et en paix ; pour cela, il était décidé à s’amender. Il fit venir son
sénéchal et lui ordonna d’aller chercher les enfants après avoir rassemblé
pages et barons en grand équipage pour escorter les deux frères jusqu’à lui.
Tandis qu’ils se préparaient, Pharien surpris Lionel en train de
dissimuler sur lui un fort grand coutelas. « Que veux-tu en faire
demanda-t-il ? – Tuer Claudas, répondit simplement le garçon.- Comment
penses –tu dissimuler sur toi un arme de cette taille ? tout le monde la
verra ! Donne-là moi plutôt- A la condition que tu me la rendes quand je
te la demanderai – Je te la rendrai si tu renouvelles ta promesse de ne rien
tenter contre Claudas – Je te promets, répondit l’enfant, de ne rien tenter qui
soit contre mon honneur et dont on puisse me blâmer. – Ce n’est pas ce que je
te demande, répondit Pharien – Alors, dit lentement Lionel menaçant, garde donc
cette arme… il se pourrait que tu en aies besoin pour te défendre !
Puis il s’en fut rejoindre son frère ; tous deux montèrent à cheval, et c’est accompagnés d’une escorte digne des
deux princes qu’ils étaient qu’ils se rendirent au palais du Roi.
Ils s’avancèrent dans la grande salle main dans la main, tête haute et
le regard fier. Les amis de leur père d’abord rassurés à la vue des enfants, se
mirent à prier pour qu’il ne leur arrive rien de fâcheux. Claudas, assis au
haut bout de la table semblait un roi sage et puissant mais son regard cruel
était toujours celui d’un félon. Devant
lui, sur un plateau d’argent étaient posés sa couronne et son sceptre et sur un
autre plateau une épée droite, tranchante et claire. Très impressionné par les
manières et le maintien de Lionel, il lui tendit la coupe et l’invita à boire
en signe d’amitié. Le garçon ne pouvait détourner ses yeux de l’épée luisante.
Saraïde s’avança vers lui et doucement, lui prit a tête dans les mains et la
tourna vers la coupe. Puis elle couronna les deux enfants d’une guirlande de
fleurs parfumées et leur passa au coup des colliers d’or et de pierreries.
« Bois maintenant, Fils de Roi dit-elle à Lionel – Certes je vais
boire, répondit-il, mais qui paiera le vin ?. Il prit en main la coupe,
tandis que le jeune Bohort lui criait : « Ne bois pas ! Brise
cette coupe ! Jette-là à terre ! » Il craignait pour son frère
quelque traîtrise de l’usurpateur.
Lionel avait empoigné la lourde
coupe. Il en frappa le roi au visage et le blessa au front. Claudas assommé
s’écroula sur le sol tandis que Lionel renversait le sceptre et l’épée, jetait
à terre la couronne et la piétinait faisant jaillir les pierreries. Dorin se précipita au secours de son oncle
tandis que fidèles de Claudas et partisans des enfants s’affrontaient
sauvagement. Lionel armé de l’épée et
Bohort brandissant le sceptre repoussaient les gardes de Claudas qui tentaient
de s’emparer d’eux. Ils n’auraient pu résister longtemps si la magie des fleurs
et des colliers dont les avaient parés Saraïde ne les avaient rendus
invulnérables. Elle les avait pris chacun par une épaule et les dirigeait vers
la porte quand Dorin les voyant fuir, se précipita vers eux. Lionel qui n’avait
pas lâché l’épée lui en porta un coup qui lui coupa la joue et la moitié du
cou ; Bohort au même moment, lui fendit le crâne d’un coup de sceptre.
Dorin tomba raide mort.
Claudas voyant son neveu abattu se releva, empoigna l’épée d’un de ses
barons et roulant son manteau autour de son bras gauche, sans se soucier des
hommes menaçants qui le haïssaient à mort courut sus aux deux enfants. En le
voyant déchaîné, comme un fauve prêt à tout, Saraïde eut un instant de panique
vite surmonté. Elle jeta un charme sur les deux enfants qui prirent l’aspect
des lévriers tandis que les deux chiens avaient l’apparence des garçons. Cependant
comme elle se trouvait devant le roi, il
la heurta de son épée et lui fit au sourcil une blessure dont elle garda la
marque sa vie entière.
Claudas dont les pensées devenaient confuses crut voir les deux
enfants s’enfuir mais parvenu près d’eux il vit deux lévriers affolés qui
cherchaient à quitter la salle.
Saraïde, sans se faire remarquer attacha les deux chiens, quitta la
cité de Gaunes et gagna la forêt proche où elle avait laissé sa suite. Ses
compagnes soignèrent sa blessure, puis Saraïde se mit en selle portant un des
deux lévriers, un de ses suivantes mit l’autre sur l’arçon de son cheval et la
troupe chevaucha à bonne allure sur les routes de Bretagne en direction du lac
de Diane où Viviane avait sa demeure. A la nuit tombée, Saraïde et sa suite s’arrêtèrent
pour prendre un peu de repos et elle
leva le charme qu’elle avait jeté sur les deux frères qui redevinrent de beaux
enfants
Pendant ce temps, Claudas titubant sous l’effet de ses blessures et de
la douleur d’avoir perdu le neveu qu’il aimait retournait dans la grande salle
où régnait la plus grande confusion. Il fit saisir ceux qu’il prenait pour les
deux frères et les fit reconduire sous bonne garde à la tour où on les enferma.
Lambègue et Pharien, voyant leurs princes emprisonnés et craignant pour
leur vie s’en furent dans toute la cité
de Gaunes pour avertir et rassembler les partisans des deux héritiers de leur
ancien roi. Manants, bourgeois et seigneurs sous la conduite de Pharien se
dirigèrent vers la tour pour les délivrer.
Claudas pendant ce temps pleurait la mort de son neveu
bien-aimé ; celui pour qui il avait décidé de se réformer afin de lui
laisser une couronne sans tache. Le tumulte et les clameurs venant du dehors le
sortirent de son chagrin. Il se vit alors en bien mauvaise posture : le
peuple de Gaunes et tous les barons du roi Bohort se soulevaient contre lui et
il n’avait pour se défendre que les hommes
qui venaient de la Terre Déserte, beaucoup moins nombreux que les révoltés.
Claudas était brave et résolu à lutter et à se défendre jusqu’au
bout. Mais il ne pouvait rien contre le
nombre. Blessé, épuisé, il dut se rendre à Pharien et accepter de rendre Lionel
et Bohort qu’il tenait en otages. Mais le charme avait cessé d’opérer et ce
sont deux lévriers qu’on vit sortir de la tour. Lambègue persuadé que les deux
frères avaient été assassinés et furieux d’avoir été joué, se saisit d’un
épieux et en frappa Claudas en pleine poitrine. Le vieux roi déjà affaibli par
le combat, tomba sur le sol pour ne plus se relever.
Lionel et Bohort pendant ce temps, guidés par Saraïde avaient atteint
le domaine de la Dame du Lac qui les accueillit avec joie. Lancelot, heureux
d’avoir des compagnons les serra dans ses bras et ce fut le début d’une longue
amitié.
Une chose pourtant assombrissait l’humeur du Beau Trouvé : il
avait entendu sa Dame bien-aimée appeler les deux frères : Fils de Roi. Et
lui, alors, qui était-il ? d’où venait-il et quel était son nom ?
1 commentaire:
..Et le Beau Trouvé cherchait, cherchait ...
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