Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis
Affichage des articles dont le libellé est Traditionnel. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Traditionnel. Afficher tous les articles

mardi 8 mars 2011

LA SOUPE AU CAILLOU

Taille tôt, taille tard,
Mais taille en Mars.






LA SOUPE AU CAILLOU


On ne sait plus quand, on ne sait plus où, après un hiver plus que rigoureux, Mars n’en finissait pas de ramener un printemps tardif. Depuis la Noël jusqu’à Mardi-Gras un pauvre soleil ne se montrait guère. Arriva un jour de Carême prenant, où le vent soufflait et tombait la pluie sur le sol gelé. Personne au dehors. Dans les maisons closes, près des cheminées on restait serrés. Le jeûne arrivant ne changerait pas beaucoup de celui auquel il avait fallu durant tout l’hiver forcer bêtes et gens. C’était une année de maigres récoltes, de tristes vendanges. Plus rien dans les huches ni dans les celliers et dans les étables, paille et foin manquaient. C’était un village dans la saison grise ; grise était l’humeur de ses habitants.

Barbu et crotté, sac sur le dos, bâton à la main, vint un voyageur. Le sac était gros et faisait des bosses. Près de la fontaine  l’étranger s’arrête, pose son barda, en sort un violon, commence à jouer.
Aux premières mesures, devant lui se dresse Monsieur le Bedeau, grognon personnage qui réglementait de son propre chef, entre deux offices, la vie du village. Il lui intima de filer bien vite. Cette fois encore, le porte-parole de la mesquinerie, de tout l’égoïsme de ces paroissiens, ce fut le bedeau :
. -« Nous n’avons plus rien ! Rien à partager avec un mendiant ! Passe ton chemin !»-
-« Je ne mendie pas, mais la route est longue, lui dit l’étranger. Il me faut dormir… Puis-je m’abriter dessous cette halle, avoir un peu d’eau de votre fontaine, deux ou trois cailloux de votre chemin ?»-
Quelques borborygmes du grognon bedeau furent la réponse :
-« Refuser de l’eau ? On n’est pas sauvages… dormez sous la halle et demain matin, qu’on ne vous voie plus…. Et… mais, dites-moi… pourquoi les cailloux ? »
-« Juste pour ma soupe, dit le voyageur ! »

Et il s’installa, sortit de son sac un vaste chaudron, le remplit d’eau claire, alluma un feu et dans la marmite, jeta les cailloux. Avec son bâton, remua le tout, goûta au brouet, se frotta les mains et prit son violon.
Entre deux chansons, il touillait sa soupe, humait la vapeur qui s’en dégageait, puis hochait la tête, rajoutait de l’eau et recommençait.
Derrière les fenêtres, on s’interrogeait… L’étranger cuisine… C’est qu’il a trouvé quelque chose à cuire…. De quoi s’agit-il ?
La  mère Labouture,  doyenne du village et la plus curieuse, sortit la première, s’approcha du feu :
-« Que cuisinez-vous dans votre marmite ? »-
-« Un plat de chez nous ! Le seul qui convienne en temps de disette ! »-
-« Et quoi donc que c’est ? »-
-« La soupe aux cailloux ! »-
-« La soupe aux cailloux. Comment  vous faites ça ? »
-« Oh, mais c’est très simple… On prend sur la route quelques beaux cailloux ;  on les fait  bouillir dans de l’eau bien pure…Mais comme c’est dommage… j’en aurai bien trop,  juste pour moi seul,  je ne vais quand même pas jeter le reste ! »-
La vieille Labouture était affamée, ses deux yeux brillants fixaient  la marmite. L’étranger sourit :
-« Si vous en voulez, prenez  une écuelle.»
Il trempa une cuiller dans le chaudron, goûta…
-« Dommage…ça manque de sel…  Mais, bon, j’en ai pas… »-
-« Puisque vous m’offrez de votre soupe, je peux bien vous donner du sel ; attendez-moi, je vous en rapporte. »-
Et la mère Labouture de trotter jusque chez elle, pour revenir avec une écuelle,  le pot à sel et quelques grains de poivre…
Mais on l’avait vue !§§§§

Benoît Morvonnais, mauvais galopin, et le benjamin de toute une tribu d’affreux garnements très mal embouchés, toujours à l’affût de vilaines farces et de chapardages surveillait la place. En cette fin d’hiver son estomac creux gargouillait beaucoup et rendait ses yeux, son nez, ses oreilles particulièrement sensibles et fins.
Dans le grand chaudron l’étranger fait cuire il ne sait trop quoi ; la vieille Labouture, promène une écuelle….Benoît Morvonnais veut avoir sa part, traverse la place,  s’approche, renifle…
-« Dites,  les deux vieux, qu’est-ce que vous touillez?  Elle sent rien vot’soupe…»-
-« Sois poli, morveux, et file d’ici, on n’a rien pour toi ! », grinça Labouture.
-« Mais bien sûr que si, sourit l’étranger, comme je vous ai dit,  y’en a pour tout l’ monde ! Seulement c’est vrai, ça  sent pas grand chose… Faudrait un oignon ! »-
-« Un oignon, j’ai ça ! Si j’en rapporte un, j’ aurai de la soupe ? »-
-« Oui, bien entendu ! »-
Le gamin fila et revint bien vite avec un oignon, du thym,  du laurier, des clous de girofle. Sa mère ne les chercherait pas avant longtemps vu qu’elle n’aurait pas de sitôt de quoi faire un pot au feu !
L’étranger les jette le tout dans la marmite avec les cailloux et Benoît, avide, muni d’un grand bol,  s’approche du feu :
-« Un peu de patience, il faut que ça cuise ! Danse en attendant »-  Il prend son violon et joue quelques valses.

Le père Dugreffon, du temps qu’ils étaient jeunes et fringants avait fréquenté la fille Labouture . Pour une histoire bête, ils avaient rompu. On avait parlé de ci et de ça, d’autre chose encore, mais au fond personne n’avait jamais su l’objet du conflit et les vieux eux-mêmes depuis tout ce temps l’avaient oublié. Mais toujours est-il qu’ils ne s’adressaient  plus une parole… Pourtant ils guettaient et n’ignoraient rien des faits et des gestes que chacun faisait.
Que de  souvenirs dans ces airs de valses ! Dugreffon poussa  la petite porte de son jardin et mine de rien,  d’un air affairé traversa la place. Il prit l’air surpris, approcha de la marmite
Justement, l’étranger goûtait en disant à voix haute :
-« Ca ira ! Mais,  tout de même… si j’avais une ou deux carottes et un vert de poireau… »-
-« D’la légume ? J’en ai pt’êt’ ben cor’ un peu ! »- marmonna le vieux qui fit demi-tour et revint bientôt avec un panier plein de beaux légumes, que l’étranger ajouta à sa soupe. Le jeune Morvonnais s’était emparé de la grande cuiller et touillait la soupe au caillou de tout son cœur, voisin de son estomac affamé. Les pieds de la mère Labouture battaient la mesure et les moustaches de Dugreffon tremblaient en cadence.

-« Que se passe-t-il, mes amis ? »-
 Mademoiselle Herminie de Bézendouce, la nièce du curé tentait de faire oublier dans l’amidonnage impeccable des surplis de son oncle et dans la confection de bouquets pour l’autel, les égarements d’une jeunesse follette. Attirée par la musique et aussi par le fumet naissant de la soupe aux cailloux, elle venait aux renseignements.
-« C’est l’étranger, mam’zelle… Il fait la soupe pour tout le monde ! »-, l’informa Benoît.
-« De la soupe ! Mais avec quoi mon dieu ! Nous n’avons plus rien ! »-
-« Mais je n’ai besoin de rien, sourit le grand musicien. Il y a déjà plus qu’il ne faut ! Quoique… »-
-« Quoi donc ? »
-« Une petite couenne de lard pour donner du goût… Mais ce n’est pas indispensable… »-
-« Attendez ! »-
Mademoiselle Herminie trotta jusqu’au presbytère et revint avec un gros morceau de lard qui avait résisté à l’hiver.
-« De toutes façons, dit-elle en le jetant dans la marmite, demain c’est Carême et d’ici Pâques, il pourrait s’abîmer à moins que les souris ne s’en occupent ! »-
Cette fois la soupe au caillou commençait à sentir fameusement bon et le bruit courait dans le village famélique que le grand étranger là-bas qui jouait du violon, avait une recette de soupe qui allait nourrir tout le monde et que du coup, un tel et un tel,  qui avait donné ci, qui avait donné ça…..
-« Et si on a rien à donner, tu crois qu’on en aura quand même ?»-
Alors chacun cherchait au fond des coffres et des placards ; le moindre petit reste fut apporté pour ajouter à la marmite. Une ou deux vieilles poules qui avaient eu le tort d’oublier de pondre, allèrent rejoindre le bouillon ; le meunier apporta de la farine ; les fermières, des œufs, du beurre, de la crème. Ceux qui n’avaient rien prêtèrent de la vaisselle et des ustensiles.
Des beignets se mirent à frire pour accompagner la soupe et monsieur le curé envoya chercher dans sa cave quelques bouteilles qui ne servaient pas à la messe.
On dressa des tables, on y mit des nappes ; chacun apporta son bol et son couteau. Il y eut du bouillon, du lard, des saucisses, de la poule, du bœuf, de l’omelette au lard, du pain croustillant, du biscuit, des tartes, des oeufs à la neige et même de café. Les hommes pour finir firent goûter la gnôle et tous les enfants eurent des canards.
Le violon chanta, les sabots dansèrent. Le jour se levait quand le ventre plein, les mollets fourbus et le cœur heureux, on alla coucher. Et le lendemain, chaque ménagère nota dans son livre comment on prépare, quand l’hiver est long, la soupe au caillou.
Et me direz-vous, où donc est allé le grand voyageur ?.... Cherchez Herminie !

vendredi 11 février 2011

LE POISSON D’OR récap 25

A la Saint-Mathias le corbeau s’en va
Passent six semaines, coucou reviendra.

Le poisson d'or 11 02 11
Au bord d’un lac d’argent, un jeune homme et sa sœur auraient pu vivre heureux. Ils avaient un jardin ; quand la pêche était bonne, ils allaient à la ville en vendre le surplus ; ils ne manquaient de rien.
Pourtant, insatisfaite, la fille tarabustait le malheureux pêcheur dont le plus grand plaisir était de composer des vers que sur sa flûte, il mettait en musique. Hélas pour lui, sa sœur n’aimait pas les chansons . Elle préférait les sous !
-«  Paresseux, bon à rien ! Mets donc la barque à l’eau, va chercher du poisson, demain c’est le marché ! »-
Mais le jeune poète se serait bien passé d’attenter à la vie des habitants des eaux. Il aimait la nature et se satisfaisait d’un peu de pain, de fruits, et de quelques fromages.

Un jour, las des reproches, il s’en fut sur le lac. Le ciel était limpide, un vent léger soufflait ; notre ami hésitait à lancer son filet. Il mit sa flûte en bouche et lança quelques trilles.
Du milieu des roseaux, il vit soudain paraître un merveilleux poisson, bleu turquoise et doré qui sauta dans la barque et la fit vaciller.
Le pêcheur étourdi, rétablit l’équilibre. Cependant la surprise l’avait rendu muet. Le poisson en revanche, était plutôt disert :
-« Pêcheur mon bon ami, que j’aime ta musique !Vois-tu, mieux qu’un filet, elle me fait prisonnier. Tu peux me relâcher, ou me joindre à ta pêche et me vendre au marché, je suis à ta merci ! »-
Sans proférer un mot tant il était surpris, le musicien rendit à son monde liquide le merveilleux poisson. Avant de disparaître, il fit encore un bond et reprit la parole :
-« Je suis fils de Neptune et j’ai de grands pouvoirs. Tu m’as laissé la vie , sois-en remercié : voici selon l’usage, trois vœux à formuler. Prends ton temps ,réfléchis, puis viens au bord du lac, joue un air sur ta flûte et je t’exaucerai. »-

Ne croyant pas ses yeux, soupçonnant ses oreilles, le musicien-pêcheur retourne à sa chaumière. Acariâtre, revêche, sa sœur l’y attendait :
-« Quoi ! Tes paniers sont vides ! Qu’as-tu fait de ta pêche ? Nous n’aurons rien à vendre, comment allons-nous vivre ? »-
-« Ah ! ma sœur, quel mystère ! Dans mes filets s’est pris un poisson qui parlait… Un fils du dieu des eaux… »-
-« Alors, qu’en as-tu fait ? »-
-« Mais… je l’ai relâché ! »-
-« Relâché ! Pauvre fou ! Un poisson qui parlait… Mais c’était la fortune ! Tu l’as laissée passer… mon dieu que tu es sot ! »-
-« Ma sœur, ce n’est pas grave ; le lait de notre vache et les fruits du jardin seront bien suffisants pour passer la semaine. Et bientôt… »-
-« Tu iras à la pêche et tu ne prendras rien ! A jouer de la flûte et parler aux poissons, que crois-tu donc gagner ? Regarde où nous vivons : une pauvre cabane, aux murs tout délabrés ! Moi, je veux un palais… »-

Et la fille continue à crier, à se plaindre. Le malheureux garçon ; courbé sous les reproches se sauve au bord du lac , trouver un peu de paix.  Il adorait sa sœur et aurait bien voulu réaliser ses rêves, mais il ne savait pas comment faire fortune ; il avait oublié les vœux du poisson d’or.
Assis au bord de l’eau, tout rêveur il compose une nouvelle chanson. Attiré par la flûte, le poisson fait surface, voit le pêcheur bien triste :
-« Mon ami, mon ami, pourquoi cet air navré ? Quel que soit ton souci, je peux te l’enlever ; tu n’as qu’à demander… »-
-« Ma sœur veut un palais… »-
-« Un palais ? C’est facile ! Rentre vite chez toi, ta sœur sera contente. »-

Notre ami s’en retourne et tout éberlué, aux abords de chez lui ne reconnaît plus rien : disparue la chaumière, parti le jardinet ; à la place un grand parc où se dresse gracieux, un palais à colonnes de marbre blanc et rose. Intimidé il entre : des meubles précieux, de la vaisselle d’or, aux murs des œuvres d’art, des coffres entr’ouverts laissent voir des merveilles ; partout des serviteurs s’agitent en tous sens… et au milieu sa sœur, furieuse échevelée qui rage et qui tempête :
-« A quoi bon un palais quand on n’a pas d’argent ? Il me faut des toilettes, des habits de satin et aussi des bijoux. Je n’ai jamais goûté ni foie gras ni caviar, il m’en faut désormais… et je veux du champagne ! »
-« Ma sœur, que d’exigences ! »-
-« Le poisson t’as promis ! Retourne au bord de l’eau ! »-§§§§§

Le lac était d’ardoise et les nuages, bas ; quelques gouttes tombaient.. La flûte en un murmure fit venir le poisson :
-« Que veux-tu mon ami ? »-
-« Pour moi, je ne veux rien ! Mais ma sœur… »-
-« Oui, je sais. Retourne en ton palais, elle a ce qu’elle désire. »-
Pendant quelques semaines, elle parut heureuse : elle goûtait du meilleur, essayait des toilettes, commandait aux valets et giflait des servantes. Puis elle devint morose, plus rien ne l’amusait, pas même changer de robes.
Quand une fille s’ennuie au milieu des plaisirs, c’est à n’en pas douter qu’il lui faut un mari. Mais où l’aller chercher?
Pour contenter sa sœur et trouver l’oiseau rare qui la supporterait, notre jeune poète organise un grand bal. Tous les célibataires de cent lieues à la ronde firent danser la belle. Belle, me direz-vous ? Mais oui, elle l’était ; son fichu caractère seul était responsable de la laide apparence qu’on lui voyait souvent. Comme on la disait riche, vivant dans un palais, les demandes en mariage ne lui manquèrent pas. Elle était difficile ; aucun des prétendants ne put lui convenir :
-« Celui-ci est trop sot, celui-ci n’est pas beau, celui-là n’est pas riche, cet autre est bien trop vieux ; en voici un trop grand et un autre trop gros ; beaucoup sont trop petits, ou maigres, ou bigleux… »
Que sais-je ?… Ils furent tous éconduits….

Les musiciens partis, les lampions éteints, dans ses appartements la peste réfléchit…
-« Je sais ce qu’il me faut ! Faites venir mon frère ! »-
Le pauvre, d’un pas lent, traverse le palais.
-« Que veut-elle à présent ? Il ne reste qu’un souhait… »-
Oh ! comme il regrettait sa barque et son filet !
-« Mon frère, j’en suis certaine, il me faut un mari ; comme tu l’as pu voir, aucun de nos voisins ne peut me convenir. Je voudrais pour époux ton ami le poisson. »-
-« Tu veux le Poisson d’Or ? Ma sœur, c’est impossible ! Il est fils de Neptune, tu es fille de pêcheur ! Peut-être est-il un dieu ? »-
-« Eh bien ! s’il est un dieu, je serai immortelle ! »-
-« Pauvre sœur tu es folle ! Ce palais t’a grisée ! Fais comme tu l’entends, mais il n’est pas question que je formule un vœu si contraire au bon sens. »-
-« Quoi ? Comment ? Tu refuses ? »-
-« Oui ma sœur, je refuse ! »-
-« Gardes, qu’on le saisisse ! Confisquez-lui sa flûte ! Je ne te la rendrai que contre la promesse de demander pour moi la main du Poisson d’Or. »-
 Effondré, il retourne en ses appartements. Un musicien sans flûte est comme pain sans beurre ; au bout de quelques jours, il finit par céder.

Le ciel était de plomb ; un vent mauvais soufflait. Il monta dans sa barque, environné d’éclairs. Il n’osait pas chanter ; il n’en eut pas besoin. Au  milieu des roseaux, le poisson l’attendait :
-« Il te reste un seul vœu ; ne le gaspille pas ! »-
-« Ah ! Je n’ose vous dire ce que ma sœur demande… Elle vous veut pour époux ! »-
-« Elle a bien de l’audace ! J’épouserai ta sœur si toi-même consent à t’unir pour la vie à cette jeune grenouille. Tu n’es pas obligé, mais c’est la condition. Va le dire à ta sœur avant de me répondre. »-
Celle-ci trouva normal le marché proposé. Le frère hésite un peu. Elle élève la voix :
-« Si tu tiens à ta flûte, épouse la grenouille ! »-
Au fond, se disait-il, vaut-il pas mieux avoir un batracien pour femme que pour sœur un chameau ?

On célébra les noces.
-« Tu peux ,dit le poisson, embrasser la mariée. »-
Vous l’avez deviné : c’était une princesse. La sœur, émerveillée, saute sur le poisson, l’embrasse goulûment, certaine de le voir se changer en jeune homme.
Elle est changée en carpe !
Et, comme chacun sait, les carpes sont muettes ; on ne l’entendit plus !

samedi 20 novembre 2010

Les trois plumes (traditionnel) fin




Soudain la pluie se mit à tomber,des éclairs illuminaient le palais et au milieu des roulements du tonnerre, on entendit sur les pavés résonner les roues d’un carrosse et marteler les sabots de six chevaux. La pluie cessa pour laisser descendre la plus belle princesse du monde qui vint mettre sa main dans celle du poète.
Les trois fiancées se tenaient proches les unes des autres ; la servante et la fille de ferme, ignorantes des usages de la cour observaient la nouvelle arrivée, aux manières si distinguées, bien décidées à l’imiter en tout. Aussi quand elles la virent mettre discrètement de la nourriture dans ses manches, elles ne manquèrent pas d’en faire autant.
Quand vint l’heure du bal chaque fiancée dansa dans les bras de son futur époux ; la princesse-grenouille, gracieuse, légère touchait à peine le sol. Elle secoua joliment son bras droit et de sa manche sortirent des fleurs qui formèrent un jardin. Un chat se mit à tourner autour d’une colonne qui s’élevait au centre du parterre, puis il y grimpa et se mit à chanter des chansons populaires. On fit cercle autour de lui et quand il cessa de chanter, il se mit à raconter des contes de fées.
Pendant ce temps, la princesse dansait toujours ; elle secoua son bras gauche et fit apparaître un parc traversé d’une rivière sur laquelle voguaient des cygnes.
Voyant la cour émerveillée, les deux autres fiancées secouèrent énergiquement leurs bras droits. Il sortit de leurs manches des os et des cailloux si violemment projetés qu’ils allèrent frapper le roi et plusieurs ministres. Pour leur manche gauche, l’eau qui en sortit arrosa et gâcha nombre de belles toilettes.
Le jeune prince émerveillé des dons extraordinaires de sa jolie fiancée, la laissa danser et monta dans la chambre afin de s’assurer que rien n’y manquait  pour leurs noces. Sur un fauteuil, la peau de grenouille était abandonnée ; pour être certain que plus jamais elle ne recouvrirait sa bien-aimée, il la jeta dans le feu, puis retourna danser.
Au petit matin, quand les amoureux regagnèrent leur chambre, la princesse grenouille chercha sa peau
Quand elle apprit que son époux l’avait brûlée, elle se mit à pleurer. Il lui fallaitt maintenant aller en chercher une autre , loin, dans la 13° royaume, là où vivent les sorcières ; elle ne reverrait  jamais celui qu’elle aime. Toute en larmes, elle frappa dans ses mains, se changea en coucou et s’envola par la fenêtre. Désespéré, le prince prit son arc d’argent et ses flèches, un sac de pain, une gourde d’eau et se mit en route. Il marcha ainsi pendant plusieurs années sans retrouver la trace de sa fiancée.
Enfin il rencontra une vieille femme qui, pour un service rendu lui donna une bobine de fil. Qu’il la lance devant lui et qu’il suive le fil, il ira toujours vers le pays des sorcières.
Il épargnera ainsi la vie d’un ours, d’un poisson, d’un faucon qui plus tard l’aideront chacun dans son élément.
Il arriva ainsi au bout du monde et pénètra enfin dans le 13° royaume. C’était un île ; il lui fallu franchir une rivière, puis traverser une forêt au cœur de laquelle se trouvait un palais de cristal aux portes de fer. Personne ne se trouvait  derrière ; puis une porte d’argent ; toujours personne. Enfin une porte d’or ouvre sur une pièce où sa fiancée est assise. Fatiguée, vieillie par le travail et le chagrin, elle file du lin. Elle tombe dans les bras d’Ivan (tiens, il s’appelle Ivan ?? ce conte doit venir d’Afanassiev…) Il était temps, le moment était venu où elle allait disparaître à jamais. Ils s’embrassent. Ivan ne sait plus dans quel monde il se trouve. Alors encore une fois, la fiancée se transforme en coucou, prend Ivan sous son aile et s’envole.
Arrivés dans leur chambre elle redevient femme et raconte son histoire. Son père l’avait vendue à un dragon, qu’elle devait servir pendant trois ans. Elle s’était sauvée et cachée chez la reine des grenouilles. Quand Ivan eut brûlé sa peau de grenouille, le dragon a retrouvé sa trace. Elle a filé pour lui tout le temps qu’Ivan la cherchait.
Maintenant sa dette est payée et ils vont pouvoir vivre heureux.


vendredi 19 novembre 2010

Les trois plumes (traditionnel) 3





Les deux aînés n’étaient évidemment pas d’accord. Qui défendrait le royaume en cas d’attaque ? Pas ce poète, plus habile à manier la plume que l’épée. Qui saurait gérer le trésor, faire rentrer les impôts ? Pas ce rêveur, cet étourneau !
Le roi dut convenir que les garçons n’avaient pas tort ; aussi  donna-t-il à chacun des trois une nouvelle mission. Il s’agissait cette fois de lui rapporter le plus bel anneau qui fut au monde.
De nouveau le roi lança les plumes que suivirent les trois garçons .
L’aîné, le costaud revint avec un cercle à tonneau, le second avait un anneau de rideau, tandis que son amie la grenouille avait donné au troisième, une bague ornée de diamants que n’aurait pu exécuter aucun orfèvre humain.
Le roi s’apprêtait à couronner son plus jeune fils quand les deux aînés de nouveau protestèrent.
Le roi alors, ordonna une troisième épreuve. Puisqu’aussi bien il fallait une reine à ce royaume, il irait donc à celui qui ramènerait la plus jolie épouse.
Le premier n’alla pas bien loin chercher la femme qu’il lui fallait ; il la ramena de la ferme d’à côté ; le second prit dans les communs une servante. Le troisième retourna demander conseil à la grenouille.
Elle ordonna qu’on lui rapporte une grosse carotte et six souris. Elle creusa la carotte, y attela les souris et fit monter dedans une des jeunes grenouilles. Puis elle dit au prince de rentrer chez lui ;
-« Mais je n’ai pas de fiancée, dit-il tristement…
-« Fais-moi confiance ; va ! Quand tu verras la pluie, ta fiancée fera sa toilette ; quand tu verras les éclairs, elle mettra sa robe et ses bijoux et quand tu entendras le tonnerre, son carrosse entrera dans la cour du palais.
Le roi, pour le retour de ses fils ordonna une grande fête. Le fils aîné donnait le bras à une robuste vachère ;  la fiancée du second, si elle n’était pas belle, était dure à la peine. Quand on vit le jeune prince naïf rentrer sans tenir une jeune fille par la main,  on se moqua de lui. La fête battait son plein, le banquet était servi et le jeune prince n’avait toujours pas de cavalière.

jeudi 18 novembre 2010

Les trois plumes (traditionnel) 2


- « Si la plume, pensa-t-il , indiquait à mes frères la route à suivre, sans doute il me faut descendre cet escalier.
Il s’engagea sur les marches. Il faisait sombre, mais il y voyait suffisamment ; l’escalier semblait interminable. Enfin il se trouva devant une porte ; une lourde porte bardée de ferrures.  Il la poussa.
Dans une salle brillamment éclairée, autour d’une table de pierre ronde, se tenait une énorme grenouille qui semblait la mère des jeunes grenouillettes qui l’entouraient.
Elle tourna vers lui ses gros yeux :
- « Que viens-tu faire ici, jeune homme ?
-« Je viens chercher pour le roi mon père, le plus beau tapis du monde.
-« Le plus beau tapis du monde ! Vraiment ? C’est ton jour de chance mon garçon ! Va chercher mon coffret, dit-elle à une de ses filles
En quelques bonds, la jeune grenouille sauta dans une pièce voisine et revint portant le coffret.
La mère grenouille, après l’avoir ouvert, en sortit un tapis. Un tapis magnifique, au poil soyeux, orné de fleurs délicates et de couleurs comme seule la nature sait en produire.
Le jeune prince prit le tapis, très poliment remercia son hôtesse et remonta l’escalier qui le ramenait chez son père.
Les deux frères, chacun persuadé qu’il était le seul héritier valable,  ne s’étaient pas foulés. L’un avait acheté à un berger une peau de chèvre et l’autre chez un tisserand, une pièce de toile à sac.
Quand le moment fut venu de comparer les cadeaux, le roi ne put que désigner pour héritier son plus jeune fils.

mardi 16 novembre 2010

Les trois plumes (traditionnel) 1

 


Un roi avait trois fils. Voyant approcher la fin de sa vie, il voulut savoir lequel des trois était digne de gouverner son royaume. L’aîné était grand et fort ; c’était un guerrier capable de défendre son territoire. Il était fort, mais il était brutal.
Le second était  intelligent et habile ;  il saurait conduire les affaires du royaume. Habile, intelligent, mais fourbe aussi
Quand au troisième… ah, le troisième ! C’était un rêveur, un poète qui à dire vrai n’était pas bon à grand-chose.
Auquel des trois confier la couronne?
Le roi les fit venir devant la porte du palais et leur dit : « Mes fils, allez courir le monde ; celui qui me rapportera le plus beau tapis du monde sera mon héritier. »
Un serviteur s’approcha portant trois plumes posées sur un coussin qu’il présenta au roi. Le roi soufflasur les plumes. L’une s’envola vers l’est.
-« Mon fils, dit le roi au costaud, ton destin est de suivre cette plume. Va et gouverne- toi dignement.
La seconde plume s’envola vers l’ouest et le roi dit au second fils de la suivre.
Restait pour le dernier, la troisième plume qui tournoya sur place et vint se poser au pied du trône .
-« Mon fils, dit le roi, pas d’aventure pour toi. Reste avec nous c’est aussi bien comme ça.
Le roi rentra dans son palais, suivi de toute la cour. Le jeune poète, décontenancé, resta seul ; en se baissant pour ramasser la plume, il vit sur le sol un anneau. Et cet anneau commandait l’ouverture d’une trappe qu’il souleva. Un escalier descendait vers les profondeurs de la terre.

samedi 20 février 2010

JEAN DE L'OURS - FIN

Monté tout en haut de la plus haute tour du château, Jean de l’Ours inspecta l’horizon ;il vit les deux pendards entraîner les jeunes filles qui tentaient sans succès de leur échapper. Il dévala l’escalier et comme une flèche s’élança sur leurs traces. Passe-Rivière en se retournant vit Jean qui les talonnait. Aussitôt, les deux lâches, abandonnant leurs captives, filèrent se cacher au fond de la forêt.
Jean voyant les princesses seules au bord de la route, demanda où étaient passés leurs ravisseurs :
-« Ils vous on vu arriver et ils ont pris peur, expliqua la plus jeune.
- Je vais les rattraper et leur flanquer une correction dont ils se souviendront toute leur vie !
Mais Jean avait couru sans se soucier de la blessure qu’il s’était infligé ; il était pâle, les traits tirés et il n’avait plus sa barre de fer.
La jeune fille posa sa main sur son épaule :
-« Vous êtes fatigué, vous perdez du sang ; laissez-moi d’abord vous soigner.
Elle connaissait les « bonnes herbes » ; elle ramassa alentour celles dont elle avait besoin et en fit un cataplasme qu’elle posa sur la blessure, puis déchirant son jupon, elle en fit un bandage et doucement dit au blessé :
« - Laissez-les courir ! Qu’importe, puisque vous nous avez délivrées ?
Jean de l’Ours lui sourit : 
-«  Vous avez raison ! Qu’ils aillent au diable, s’il veut les recevoir ! Je vais vous escorter jusqu’au royaume de votre père.
Ils y parvinrent sans autres aventures et le roi et la reine trop heureux de retrouver leurs filles accordèrent à Jean de l’Ours la main de la Princesse aux « Bonnes Herbes ».



vendredi 19 février 2010

JEAN DE L'OURS (3)

Jean courut à sa poursuite et arriva dans une pièce où se trouvaient trois jeunes filles vêtues en princesses. A la vue de cet homme si grand, si fort, velu comme un ours et armé d’une énorme barre de fer, elles  se mirent à trembler, à crier, à pleurer.
-« Ne pleurez pas, dit Jean rassurant, ne craignez pas, je ne vous veux aucun mal ! Que faites-vous ici , seules dans cette cave obscure ?
-Une sorcière nous a enlevées à nos parents et nous ne savons pas comment sortir d’ici.
-Eh, bien, vous êtes délivrées ! Venez avec moi !
Jean les installa dans le tonneau et cria :
-« Remontez ! Remontez !
Qui furent bien étonnés en voyant qui était dans le tonneau ? Ce furent les deux compagnons !
Etonnés et ravis ! Trois belles princesses à la place de ce Jean de l’Ours donneur d’ordres et de leçons ! Quand ils l’entendirent crier qu’on lui renvoie le tonneau, ils le démolirent à coups de hache et jetèrent la corde au feu.
-« Et voilà, gros malin !dirent-ils en se frottant les mains, débrouille-toi, maintenant !
Et ils s’enfuirent, entraînant les jeunes filles.

Jean ne voyant pas redescendre le tonneau, comprit qu’il avait été trahi ; il ne perdit pas courage pour autant. Méthodiquement, il explora le souterrain et les caves et finit par retrouver le poulet. Brandissant sa barre de fer, il questionna le volatile effaré :
-« Dis-moi un peu comment sortir d’ici !
-Par où tu es entré, il n’y a pas d’autre issue.
-Mais comment ? Je n’ai ni corde ni échelle.
-Facile, ricana le volatile, il suffit de voler !
-Et comment veux-tu que je vole ? Tâche d’avoir une autre idée ou sinon…
Et Jean agitait la redoutable barre de fer sous le bec du poulet qui cessa de rire.
-« Ecoute , dit-il, va jusqu’au bout du souterrain, dans la dernière cave, vit un aigle blanc. Peut-être voudra-t-il te prendre sur son dos.
Jean de l’Ours suivit le conseil du poulet, trouva l’aigle et lui demanda son aide.
- « Tu es grand, tu es lourd, trop lourd pour moi surtout si tu  gardes cette barre de fer.
-Et si je la laisse ?
-Si tu la laisses, peut-être… mais ce sera de toutes façons très fatiguant. Pour avoir la force de te sortir d’ici,  il faudra m’alimenter sans arrêt. Ecoute, et l’aigle lui montra par un soupirail un bœuf dans un pré. Tue ce bœuf, prend sa viande et chaque fois que je crierai :  « Viande ! » , tu m’en donneras un morceau
D’un dernier coup de sa barre de fer, Jean tua le bœuf, le découpa avec son couteau de chasse, mit les morceaux dans un sac et le sac à son épaule.
-« Allons-y, dit l’aigle ; et ils se rendirent en bas du puits. Jean monta sur le dos de l’oiseau, s’accrocha à ses plumes et l’aigle prit son envol. Très peu de temps s’écoula avant que l’aigle ne crie : »Viande ! Viande ! » Jean lui jeta un morceau de bœuf.
A peine avait-il avalé la viande, que l’aigle cria de nouveau. Jean lui jeta un autre morceau.
L’aigle montait lentement, péniblement vers la lumière réclamant toujours sa pitance. Jean voyait déjà un morceau de ciel , il ne restait plus rien du bœuf, mais l’aigle criait toujours :  -« Viande ! viande !... »
-Je n’ai plus rien, dit Jean, nous sommes presque arrivés, courage !
Mais l’aigle était épuisé, ses ailes battaient de plus en plus faiblement, il allait se laisser retomber…
Alors, Jean de l’Ours employa les grands moyens. Il releva la jambe de sa culotte, sortit son couteau de chasse, serra les dents et … coupa un morceau de sa cuisse qu’il donna à l’aigle.
Avec une vigueur nouvelle, il donna un dernier coup d’aile et se posa sur le bord du puits.
Jean le caressa, le remercia ; il voulait maintenant retrouver les deux traîtres et les princesses.


jeudi 18 février 2010

JEAN DE L'OURS (2)

Il fit comme il avait dit et Passe-L’eau resta au château.

Fourbus mais leurs besaces pleines de lapins et de perdreaux, les chasseurs rentrèrent, affamés, dévorant d’avance ce que Passe-L’eau leur avait préparé. Un triste spectacle les attendait ; dans la salle et dans les cuisines, tout était cassé,culbuté, sans dessus dessous, et le contenu de la marmite, renversé dans la cheminée avait éteint le feu. Passe-L’eau avait disparu. Les deux chasseurs se mirent à explorer la demeure sans retrouver sa trace. Enfin, ils entendirent une faible voix sortant d’un placard et qui appelait au secours. Jean ouvrit la porte et vit Passe-L’eau, recroquevillé et tout tremblant.
‘-Qu’est-ce que tu fais dans ce placard ? demanda Jean
L’autre, honteux, hésitait à répondre. Jean insista :
-Qui est responsable de ce désastre, dit-il en montrant la salle dévastée ?
- C’est un petit poulet, finit pas avouer Passe-L’eau d’une voix hésitante.
- Quoi ? Un petit poulet ? Tu t’es sauvé devant un petit poulet et tu l’as laissé tout casser ?
-Oui, un poulet. Je ne l’ai pas vu arriver, il a commencé par renverser la marmite, puis il m’a battu et enfermé dans le placard !
Les deux chasseurs hurlèrent de rire en se moquant de lui et Jean dit :
-Allons, à table maintenant ! Demain, c’est toi qui viendras chasser avec moi et Lance-Roche gardera le château.
Le lendemain au retour de la chasse, même spectacle de désolation : meubles et marmite renversés, vaisselle cassée et Lance-Roche introuvable. C’est d’une armoire que sortit un pauvre petit « Au secours ! ».
-C’est encore le poulet ? dit Jean après l’avoir sorti de sa cachette.
‘Oui, oui ! Il m’a battu et enfermé dans l’armoire !
- Bon, je vois ce que c’est dit Jean. Demain, vous irez à la chasse et moi je resterai ici. J’ai deux mots à dire à ce poulet !
Le lendemain, Jean, sa grosse canne de cinq quintaux bien en main, attendait le poulet de pied ferme. A peine avait-il montré le bout de son bec, que Jean lui administra une mémorable volée de coups de canne. Voyant qu’il n’avait pas le dessus, le poulet se sauva et disparut par un trou qui était dans le mur.
Au retour de leur chasse, les deux compagnons,  assez vexés de voir que Jean ne s’était pas laissé faire, n’osèrent pas poser de questions.
Quand ils eurent bien mangé, Jean prit la parole :
-J’ai fait sauver le poulet, mais il est toujours au château. Si nous voulons vivre ici en paix, il faut le retrouver et en venir à bout. Voyez, dit-il à ses compagnons en leur montrant le trou dans le mur, il s’est sauvé part là.
Lance-Roche se mit aussitôt à desceller les pierres de la muraille et découvrit un puits, si profond qu’on ne pouvait voir où il finissait. Jean de L’Ours s’en fut chercher un tonneau,  une lampe et une corde. Il donna la lampe à Passe-L’eauet lui dit :
-Monte dans le tonneau ! C’est toi qui va descendre dans le puits.
Pendant qu’il descendait, un vent glacial montait des profondeurs et faisait vaciller la flamme de la lampe ; il lui vint une frousse bleue et il se mit à crier :
-Je veux remonter ! Faites-moi remonter. !
Jean de l’Ours le remonta et dit à Lance-Roche de prendre sa place ; à peine au milieu du puits, la frousse le prit à son tour et il demanda à être remonté.
Jean, les poings sur les hanches, regarda ses compagnons :
-Eh bien ! Je me croyais entouré de deux costauds, mais vous êtes froussards comme de vielles femmes. Allez , descendez-moi, que je voie ce qu’il y a au fond de ce puits !

Arrivé au fond, un souterrain s’ouvrait devant lui ; il s’avança et vit le poulet, qui s’empressa de se sauver.


mercredi 17 février 2010

JEAN DE L'OURS (1)

Un jour d’hiver, une jeune fille s’en alla ramasser du bois mort dans la montagne. Un ours, embusqué derrière un buisson la guettait ; il se jeta sur elle et l’emporta dans la caverne où il vivait. Il la jeta sur un lit de feuilles mortes et ferma l’entrée au moyen d’un gros rocher.
Chaque jour l’ours lui rapportait de la nourriture et des présents, mais il n’oubliait jamais de bien  repousser le rocher de façon que sa prisonnière ne puisse s’échapper.
La jeune fille en prit son parti et, -il est des monstres plus déplaisants qu’un ours- accepta de devenir son épouse.
Un an passa ; elle mit au monde un enfant aussi velu que son père quelle nomma Jean. Dès qu’il fut en âge de parler, la mère raconta son aventure et sa tristesse de ne pouvoir retourner dans son village. L’enfant, pour faire plaisir à sa mère, tenta de déplacer le rocher mais il n’était pas encore assez costaud.
Jean grandit, et toujours il profitait des absences de l’ours pour essayer de déplacer le rocher ; arriva le jour où enfin, il put dégager un espace assez grand pour que sa mère et lui arrivent à se faufiler à l’extérieur. Enfin libres, ils coururent vers le village sans regarder en arrière tant était grande leur terreur d’être rattrapés.
Ils étaient en sécurité dans la maison familiale quand l’ours regagna sa caverne désertée. Désespéré, le fauve descendit au village et pendant plusieurs nuits, hurla, tenta d’ébranler la porte, mais en vain. Alors il disparut, et plus jamais on ne le revit.

Jean, que les villageois appelaient désormais Jean de l’Ours, grandissait et devenait de plus en plus fort, d’une force extraordinaire, d’une force d’ours. Il apprit le métier de forgeron et se fabriqua  une sorte de canne en fer qui pesait cinq quintaux. Son apprentissage terminé, la vie de village lui sembla monotone et il décida de partir découvrir le monde. Il embrassa sa mère, dit adieu à ses grands parents, et sa canne sur l’épaule,  légère comme une tige de roseau, il prit la route.

Sur son chemin il rencontra un homme qui entassait des pierres. De ses mains nues, il les arrachait de terre et les lançait comme de petits cailloux. Jean le salua et lui demanda ce qu’il faisait de ces pierres.
-Je construis un mur, dit l’homme, mais c’est bien ennuyeux !
-Viens avec moi, dit Jean, je pars découvrir le monde.
-Pourquoi pas,  dit l’homme ,et il suivit Jean.

Tous deux cheminaient d’un bon pas. Ils arrivèrent ainsi devant une rivière. Aucun pont ne la traversait ; un passeur était là qui portait les voyageurs sur son dos.
-Tu fais ça tout le temps ? demanda Jean. Ce doit être fatiguant ?
-Oh oui, soupira l’homme !
-Alors viens avec nous, forts comme nous sommes tous les trois, nous trouverons facilement de l’ouvrage.
Et les voilà partis, Jean, Passe-l'eau, et Lance roche. A la nuit tombante, ils se trouvaient devant un château aux fenêtre illuminées.
-Frappons, dit Jean et voyons si l’on accepte de nous loger pour la nuit.
Mais le château était désert, aucun bruit; ils appelèrent, cognèrent à la porte, pas un valet, pas une servante  ne répondit. Alors Jean tenta de pousser la porte, qui s’ouvrit sans difficulté. Ils entrèrent, prudemment traversèrent la cour, visitèrent les granges et les écuries, s’enhardirent à entrer dans le château sans rencontrer âme qui vive. Dans la grande salle, un feu flambait dans la cheminée. Une table était dressée , couverte de mets appétissants. Les trois voyageurs se mirent à table et dinèrent de bon appétit.
Réchauffés, nourris, ils décidèrent de s’installer là.
-Demain, dit Jean de l’Ours, j’irai à la chasse. L’un de vous deux viendra avec moi et l’autre préparera le repas.... à suivre


mardi 16 février 2010

LE POISSON D’OR (2)

Le lac était d’ardoise et les nuages, bas ; quelques gouttes tombaient.. La flûte en un murmure fit venir le poisson :
-« Que veux-tu mon ami ? »-
-« Pour moi, je ne veux rien ! Mais ma sœur… »-
-« Oui, je sais. Retourne en ton palais, elle a ce qu’elle désire. »-
Pendant quelques semaines, elle parut heureuse : elle goûtait du meilleur, essayait des toilettes, commandait aux valets et giflait des servantes. Puis elle devint morose, plus rien ne l’amusait, pas même changer de robes.
Quand une fille s’ennuie au milieu des plaisirs, c’est à n’en pas douter qu’il lui faut un mari. Mais où l’aller chercher?
Pour contenter sa sœur et trouver l’oiseau rare qui la supporterait, notre jeune poète organise un grand bal. Tous les célibataires de cent lieues à la ronde firent danser la belle. Belle, me direz-vous ? Mais oui, elle l’était ; son fichu caractère seul était responsable de la laide apparence qu’on lui voyait souvent. Comme on la disait riche, vivant dans un palais, les demandes en mariage ne lui manquèrent pas. Elle était difficile ; aucun des prétendants ne put lui convenir :
-« Celui-ci est trop sot, celui-ci n’est pas beau, celui-là n’est pas riche, cet autre est bien trop vieux ; en voici un trop grand et un autre trop gros ; beaucoup sont trop petits, ou maigres, ou bigleux… »
Que sais-je ?… Ils furent tous éconduits….

Les musiciens partis, les lampions éteints, dans ses appartements la peste réfléchit…
-« Je sais ce qu’il me faut ! Faites venir mon frère ! »-
Le pauvre, d’un pas lent, traverse le palais.
-« Que veut-elle à présent ? Il ne reste qu’un souhait… »-
Oh ! comme il regrettait sa barque et son filet !
-« Mon frère, j’en suis certaine, il me faut un mari ; comme tu l’as pu voir, aucun de nos voisins ne peut me convenir. Je voudrais pour époux ton ami le poisson. »-
-« Tu veux le Poisson d’Or ? Ma sœur, c’est impossible ! Il est fils de Neptune, tu es fille de pêcheur ! Peut-être est-il un dieu ? »-
-« Eh bien ! s’il est un dieu, je serai immortelle ! »-
-« Pauvre sœur tu es folle ! Ce palais t’a grisée ! Fais comme tu l’entends, mais il n’est pas question que je formule un vœu si contraire au bon sens. »-
-« Quoi ? Comment ? Tu refuses ? »-
-« Oui ma sœur, je refuse ! »-
-« Gardes, qu’on le saisisse ! Confisquez-lui sa flûte ! Je ne te la rendrai que contre la promesse de demander pour moi la main du Poisson d’Or. »-
 Effondré, il retourne en ses appartements. Un musicien sans flûte est comme pain sans beurre ; au bout de quelques jours, il finit par céder.

Le ciel était de plomb ; un vent mauvais soufflait. Il monta dans sa barque, environné d’éclairs. Il n’osait pas chanter ; il n’en eut pas besoin. Au  milieu des roseaux, le poisson l’attendait :
-« Il te reste un seul vœu ; ne le gaspille pas ! »-
-« Ah ! Je n’ose vous dire ce que ma sœur demande… Elle vous veut pour époux ! »-
-« Elle a bien de l’audace ! J’épouserai ta sœur si toi-même consent à t’unir pour la vie à cette jeune grenouille. Tu n’es pas obligé, mais c’est la condition. Va le dire à ta sœur avant de me répondre. »-
Celle-ci trouva normal le marché proposé. Le frère hésite un peu. Elle élève la voix :
-« Si tu tiens à ta flûte, épouse la grenouille ! »-
Au fond, se disait-il, vaut-il pas mieux avoir un batracien pour femme que pour sœur un chameau ?

On célébra les noces.
-« Tu peux ,dit le poisson, embrasser la mariée. »-
Vous l’avez deviné : c’était une princesse. La sœur, émerveillée, saute sur le poisson, l’embrasse goulûment, certaine de le voir se changer en jeune homme.
Elle est changée en carpe !
Et, comme chacun sait, les carpes sont muettes ; on ne l’entendit plus !
P.




Les Chouchous