Celle qui sans pitié, venait d'arracher un enfant à sa mère était une
fée. On donnait ce nom dans les temps anciens aux femmes qui connaissaient les
remèdes offerts par les plantes et la nature; on les disait aussi sages-femmes
car elles présidaient aux naissances, sachant les mener à bien autant que les
éviter quand c'était nécessaire. Elles savaient lire dans les étoiles et
pouvaient écouter le vent et les nuages qui leur annonçaient le temps à venir.
Sages oui, elles l'étaient et savantes. Elles savaient écouter et connaissant
le coeur des hommes, le passé et son
histoire elles pouvaient en déduire l'avenir probable et donner de judicieux
conseils. C'est ainsi qu'on les croyait aussi devineresses et que le clergé craintif
en fit plus tard des sorcières.
Celle-ci était une fée puissante; c'était Viviane, La Dame du Lac,
celle à qui Merlin avait transmis son savoir. Merlin qu'elle tenait captif dans
une tour invisible et à qui chaque soir elle rendait visite pour lui raconter
ce qui advenait du monde. Ainsi Merlin reclus par amour, pouvait encore par ses
sages conseils influencer le cours des évènements.
Il avait offert à Viviane sa bien-aimée, un palis merveilleux où nul
mortel ne pouvait pénétrer sans le consentement de la fée. Les murs en étaient
de diamant, le mobilier d'or et de pierreries. Des jardins l'entouraient
fleuris toute l'année car ble domaine jouissait d'un éternel été. Dans le
verger les arbres donnaient en abondance les fruits les plus sucrés. L'eau d'une
rivière y était limpide et nombreux les poissons que l'on y pêchait. Ceux qui
vivaient là ne connaissaient ni maladie, ni vieillesse, ni chagrin ni douleur
d'aucune sorte.
Quand arriva la fée, portant le bébé dans ses bras, toutes ses
suivantes accoururent et s'émerveillèrent de la beauté de l'enfant, de son
sourire lumineux; toutes voulaient jouer avec lui, l'embrasser ; il
passait de bras en bras gazouillant de bonheur. Viviane choisit une nourrice à
qui il fut confié et le petit garçon grandit en force et en beauté si bien qu'à
l'âge de trois ans on aurait dit qu'il en avait cinq. On lui donna alors un arc
et des flèches à sa mesure et un petit cheval. L'enfant s'exerçait à la chasse
sur les oiseaux du jardin et la basse-cour du domaine. Il était de plus en plus
beau, et toujours aussi charmant, souriant,
généreux mais il lui arrivait certaines fois, quand il estimait avoir
été trompé ou négligé, d'entrer dans de violentes colères dont retentissaient
les voûtes de diamant. Il pouvait alors casser ou déchirer tout ce qui lui
tombait sous la main, frapper sa nourrice, puis il se calmait soudainement et
redevenait l'aimable Beau Trouvé. C'est le nom qu'on lui donnait le plus
souvent même si parfois, Viviane lui disant Fils de Roi.
La fée jugea qu'il était temps pour son protégé qu'elle aimait autant
que si elle avait vraiment été sa mère, d'avoir un maître et d'étudier. Il
apprit à lire et à écrire, les mathématiques, la musique pour laquelle il avait
un don véritable assorti d'une voix mélodieuse. Il apprit aussi l'art de la
chasse et l'équitation. Il assimilait tout avec aisance tant il avait l'esprit
vif.
Un jour, il avait environ dix ans, il partit chasser accompagné de son
maître et de trois des suivantes de la Dame; il avait avec lui son chien braque
et portait son arc à l'épaule et un carquois plein de flèches à sa ceinture.
Passe un chevreuil et Beau Trouvé s'élance, sans se soucier des trois jeunes
filles qui ne pouvaient soutenir cette allure, ni de son maître dont le cheval
avait bronché et qui s'était retrouvé à terre. La poursuite dura longtemps et
le garçon était au plus profond de la forêt quand enfin, une flèche parvint à
atteindre le chevreuil. Beau trouvé chargea la bête morte sur la croupe de son
cheval et prit devant lui son chien braque épuisé par la longue course qu'il
avait fournie pour suivre son maître. Puis il prit un chemin qui allait le
mener vers sa suite.
Un chevalier de triste figure croisa sa route; il était à pied, tenant
par la bride un cheval fourbu et blessé. Beau Trouvé le salua poliment et lui
demanda ce qui lui était arrivé pour être dans un aussi piteux équipage.
"C'est dit l'homme, que je dois me rendre à la cour du roi Claudas pour
affronter demain un traître qui a tué mon frère pour lui voler sa femme. Le
déloyal m'a tendu une embuscade qui m'a laissé dans l'état que vous voyez. Mon
cheval est blessé et je serai déshonoré si je ne me présente pas demain devant
le roi pour soutenir ma cause."
"Y arriveriez- vous avec un bon cheval? demanda Beau Trouvé. -
Certainement, répondit le chevalier. - Dans ce cas, prenez le mien et
donnez-moi le vôtre! Et sitôt dit, Le garçon mit pied à terre, chargea le
chevreuil sur le cheval blessé, prit son chien en laisse et poursuivit sa route
sous les bénédictions du pauvre chevalier.
Il n'avait pas marché longtemps quand il rencontra un vavasseur d’âge
mûr, monté sur un palefroi qui tenait en laisse deux lévriers. Beau Trouvé le
salua poliment et l’homme en retour le complimenta du beau gibier qu’il
rapportait. « Je n’ai pas eu la même chance, ajouta-t-il, et c’est bien
dommage car je viens de marier ma fille et j’aurais bien voulu régaler mes
invités. » « Prenez-en la moitié, lui proposa l’enfant. – Bien
volontiers, mon garçon ! Quelle part m’offres-tu ?
Beau Trouvé réfléchit et lui dit : « Vous avez du monde à
nourrir ; prenez-le donc tout entier. » Emu de tant de générosité, le
vavasseur lui proposa de choisir un de ses deux lévriers et l’invita à la noce.
Le garçon accepta le chien mais déclina l’invitation ; il lui fallait.
maintenant retrouver son maître et les trois jeunes filles qui devaient
s’inquiéter.
Le vavasseur lui demanda qui il était. On me nomme Beau Trouvé
répondit-il.
« Je n’ai connu qu’un homme aussi généreux que toi ; il
était roi de ce pays. Mais il est mort à présent et tu lui ressembles
étrangement. Il avait un fils dont on ne sait ce qu’il est devenu ;
serait-ce toi ?- Certains parfois, me nomment Fils de Roi, mais je ne
pense pas l’être ! »
Ils prirent congé l’un de l’autre, enchantés de la rencontre, mais
cependant pensifs.
Beau Trouvé reprit son chemin, tenant en laisse le lévrier avec son
braque. Il ne tarda pas à retrouver son maître et les trois jeunes filles de sa
suite. Comme il s’en doutait, inquiets, ils le cherchaient.
Le maître voyant revenir son élève à pied, son arc au cou et suivi
d’un cheval blessé et tenant en laisse deux chiens, prit un air sévère :
« Qu’as-tu fait de ton cheval ? – Je l’ai échangé contre celui-ci, et
Beau Trouvé qui ne savait pas mentir lui conta toute l’aventure.
Le maître se mit en colère : comment avait-il osé sans sa
permission, échanger son beau coursier contre un cheval fourbu et blessé et de
plus, offrir à un inconnu le gibier qui devait revenir à la Dame du Lac ?
« Ne te fâches pas répondit l’enfant ! Ce lévrier vaut à lui
seul plus que deux beaux chevaux. »
Le maître furieux gifla le jeune garçon si fort qu’il le fit tomber,
puis, hors de lui, il s’en prit au lévrier qui se mit à hurler. Beau Trouvé
s’empourpra de colère, arracha l’arc de son cou et le cassa sur la tête de son
maître qui, assommé tomba à terre. Et l’enfant qui ne se contrôlait plus, le
bourra de coups de pieds et de poings. Les jeunes filles tentaient de le
calmer, mais tirant des flèches de son carquois il les en menaça si bien
qu’elles prirent la fuite à travers bois. « Personne, hurlait-il, personne
n’a le droit de s’en prendre à un chien innocent. Personne n’a le droit de me
reprocher d’avoir agi sans mauvaise intention, sans avoir cause de tort à
personne. »
Puis il sauta sur un des chevaux qui étaient là, mit un des chiens et
croupe et l’autre sur l’arçon et s’engagea dans la forêt. C’est alors qu’il
croisa une harde de biches ; il fit le geste de prendre son arc et, se
souvenant qu’il l’avait cassé, il se remit en colère, furieux de manquer un si
beau gibier. Enfin, il se calma et c’est apaisé qu’il rentra chez la Dame du
Lac, impatient de lui montrer son beau lévrier. Le maître était déjà là,
sanglant et tuméfié.
Viviane était fâchée : « Comment, méchant garçon, as-tu osé frapper le maître à qui je t’ai confié
pour qu’il fasse ton éducation ?
« Dame, répondit Beau Trouvé, il m’a le premier frappé, pour lui
avoir raconté des actes qu’on ne peut me reprocher, puis il a frappé mon chien
qui ne lui avait rien fait. Aussi j’ai dû lui casser mon arc sur le dos ce qui
m’a fait manquer une fort belle biche que j’aurais aimé vous offrir. Qu’il
reste bien sous votre protection, car partout ailleurs, si je le rencontre, il
me faudra le tuer pour laver l’affront qu’il a fait subir tant à moi qu’à mon
lévrier. Je sais ma Dame, que je suis ici sous votre gouvernance, mais je ne
veux plus être dirigé par un écuyer assez lâche pour s’en prendre à un chien
inoffensif. J’accepte de vous obéir, ma Dame, à vous ou à un seigneur, mais
jamais plus à qui me reproche de donner ce qui m’appartient quand je le juge
bon. Vous me nommez parfois Fils de Roi ; un fils de roi peut faire des
dons à qui les mérite !
-Mais tu n’es pas un fils de roi, répondit Viviane. Tu n’es que le
Beau Trouvé.
-J’en suis peiné, ma Dame, car mon cœur désire être Fils de Roi !
Viviane alors l’entraîna à l’écart et lui dit :
« Console-toi : tu n’auras désormais d’autre maître que
toi-même. Et je te permets de faire des dons à qui te semblera les
mériter ! »
Viviane avant cédé à l’enfant qu’elle aimait, heureuse de lui
découvrir que son cœur était bien celui du vrai fils de roi qu’il était en
réalité. Mais elle avait aussi compris que le Beau Trouvé ne pouvait plus
rester seul ; il lui fallait des compagnons de son âge.
2 commentaires:
Combien aimeraient qu'on les appelle Beau Trouvé !
Faudrait déjà qu'on les trouve...
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