Le Meneu’ de Loups- Légendes rustiques
On raconte l’histoire d’un maître sonneur qui avait tant de talent et menait une conduite si chrétienne, que le curé de la paroisse le faisait jouer à la grand-messe durant l’élévation. Il jouait des airs d’église, ce qui entrait bien dans l’éducation musicale des ménétriers de ce temps-là, mais ce qui leur était rarement permis par les curés, à cause de leurs pratiques secrètes, qui n’étaient pas, disait-on, les plus catholiques du monde.
Le grand Julien, de Saint-Août, avait donc ce privilège d’exception, et quand il sonnait à la messe, c’était merveille de l’ouïr, et la paroisse se faisait honneur de lui.
Une nuit, comme il revenait de jouer, trois jours durant, à une noce de campagne, il rencontra, dans la brande, une musette qui jouait toute seule ; d’autres disent que c’était le vent qui en jouait.
Etonné de voir cette musette toute reluisante d’argent, qui venait à lui sans qu’aucune personne la fit aller, il s’arrêta et eut peur. La musette passa à côté de lui , comme si elle ne le voyait pas, et continua de sonner d’une si belle manière, que jamais Julien n’avait rien entendu de pareil, et qu’il se sentit, du coup, tout affolé de jalousie.
Voilà donc qu’au lieu de passer, comme un homme raisonnable, il se retourne et suit cette cornemuse pour l’écouter et pour tâcher de retenir l’air qu’elle disait et qu’il était dépité de ne pas savoir.
Il la suivit d’abord d’un peu loin, et puis d’un peu plus près, et puis, enfin, il s’enhardit jusqu’à sauter dessus et la vouloir prendre ; car voir un si beau et si bon instrument sans maître,il y avait de quoi tenter un homme qui faisait son métier de musiquer.
Mais la cornemuse monta en l’air et continua de jouer sans qu’il pût l’aveindre et il s’en retourna chez lui en grand souci et même en grand chagrin. Et, quand on lui demanda, les jours d’après, pourquoi il paraissait en peine et malade, il répondait :
« L’air de la nuit sonne mieux que moi ; ce n’était pas la peine d’apprendre ! »
On ne sut point ce qu’il voulait dire, mais on l’entendit étudier une musique nouvelle qui ne ressemblait en rien à celle des autres ni à celle qu’il avait joué jusque là ; et, la nuit, il s’en allait tout seul, emmy la brande, et revenait au petit jour, bien fatigué mais jouant de mieux en mieux un air qui paraissait très étrange et que personne ne pouvait comprendre.
Ceci fut rapporté au curé qui le fit venir et lui dit :
« Julien, je sais que le diable est enragé de poursuivre et de tenter le sgens de ton état ; on me dit que tu vas seul, la nuit, dans des endroits où tu n’as pas besoin, et que tu parais tourmenté. Fais attention à toi, Julien ; si tu commences mal, tu finiras mal ! »
Julien donna des marques de repentance, et promit de se tenir en paix.
« Tu feras bien, lui dit le curé. Contente-toi de ce que tu sais, et ne vise point à la science qui mène les loups aux champs. »
C’était un samedi. Le lendemain était une grande fête, il y avait une grand-messe carillonnée, et Julien promit de jouer comme il avait coutume.
Cependant, le matin, le sacristain vint dire au curé qu’il avait rencontré Julien dans la brande, jouant d’une manière qui n’était pas chrétienne, et menant derrière lui plus de trois cent loups qui s’étaient sauvés à son approche.
Le curé fit encore venir Julien et le questionna. Julien leva les épaules en disant que le sacristain avait bu.
Et, comme de vrai, le sacristain était porté sur la boisson, son dire ne donna pas grand-crainte à monsieur le curé, qui commença de dire et chanter la messe.
Quand ce fut à l’élévation, Julien commença aussi de jouer sa chanson d’église ; mais, encore qu’il eût peut-être bonne intention de la dire comme il faut, il ne put jamais tomber dans l’air, et ce qu’il joua ne fut autre que la chanson du diable que le vent lui avait apprise.
La chose dérangea monsieur le curé, qui, par trois fois, avant de consacrer l’hostie, s’agita et frappa du pied pour faire taire cette mauvaise complainte ; mais enfin, songeant que Dieu se ferait bien respecter lui-même,il éleva l’hostie et dit les paroles de consécration.
Au même moment, la musette à Julien se creva dans ses mains, avec un bruit comme si l’âme du diable en fut sortie, et il en reçut un si bon coup dans l’estomac qu’il en tomba tout apiâmi (tout pâmé)sur le pavé de l’église.
On l’emporta à son logis, où il fit une grosse maladie. Mais il s’en retira par la grâce de dieu et la parole de monsieur le curé, qui le fit renoncer à ses mauvaises pratiques, et à qui il confessa avoir joué pour les loups de la brande. Depuis lors, il joua chrétiennement et laissa les loups se promener tout seuls ou en la compagnie des autres sonneurs damnés.
On dit que ceux-ci lui firent des peines pour avoir vendu le secret, et qu’ils le battirent souvent pour se revenger. Mais il supporta leurs mauvais traitements par esprit de pénitence et fit une bonne fin, enseignant la musique de cornemuse à ses enfants, et les détourant d’en chercher plus long qu’on n’en doit savoir.
1 commentaire:
Oh ! MERCI, Pomme !
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