Bourgeons de Saint-Valérien
Le fruit n’est pas loin
Le Minotaure a-t-il sa place dans un bestiaire ? Le poser là revient à lui refuser sa part d’humanité.
Pourtant le Minotaure est un monstre ; il n’a d’humain que sa partie inférieure. Il est cruel, violent, bestial, et se repaît de chair humaine. Et encore, il mange peu : sept jeunes gens et sept jeunes filles tous les neuf ans. En comptant bien, ce n’est pas grand-chose. Mais qui en a décidé ainsi ? Qui donc a songé que son autre moitié est d’un herbivore ?
Comment enfermé (avec sa mère) dans un antre souterrain dont nul n’aurait espoir de sortir sans un effort d’imagination, sans une malice, une ruse dont se trouve forcément incapable un être que personne n’a pris la peine d’éduquer, comment cet être ne deviendrait-il pas fou furieux, ne serait-il pas poussé à toutes les violences ? Un être enfin qui ignore la faute qui le fait prisonnier.
Mais la faute est-elle la sienne ? Non, le Minotaure est innocent. Sa mère a commis l’acte monstrueux qui lui a donné naissance.
Mais sa mère est-elle la seule coupable ? Non, le coupable vit au grand jour, respecté, honoré. Il est le ROI. Le roi Minos, le fils d’Europe et de Zeus, le puissant souverain de Crête.
Remontons à l’origine des faits. Le roi reçut de Poséidon, lors de son avènement, un merveilleux taureau blanc qui devait être sacrifié au dieu.
Devant la splendeur de l’animal, Minos pensa qu’il serait mieux utilisé à l’amélioration de son propre cheptel. Il offrit au dieu de la mer son plus beau taureau et envoya le blanc dans ses pâtures.
Poséidon offensé, aurait pu d’un seul coup de trident provoquer un raz de marée ou envoyer un monstre marin qui aurait détruit Cnossos et la Crête. Il préféra, pour une fois, attendre son heure.
Qui ne tarda pas.
La reine Pasiphaé passant dans les prairies admirait les troupeaux de son époux et tout particulièrement l’ardeur avec laquelle le taureau blanc s’employait à améliorer la race bovine crêtoise. Elle en était toute rêveuse.
Voyant cela Poséidon (les dieux voient tout !) se dit qu’il tenait sa revanche. Il envoya chercher son neveu Cupidon. Le garnement ailé n’eut pas besoin de longues explications. Il prit deux flèches d’or : une pour Pasiphaé, l’autre pour le taureau.
Voilà la reine embrasée d’un amour impossible pour un animal qui la regardait langoureusement ; que pouvait-il faire d’autre ? La race crêtoise en fut encore améliorée.
Mais Pasiphaé, la pauvre ne pouvait que languir et soupirer dans son palais.
Il y avait à Cnossos, un homme au génie exceptionnel, un architecte, un inventeur qui tirait tant de ses mains que de sa tête, des merveilles. Il était devenu l’ami des souverains.
La reine, en proie à sa passion dévorante ne pût s’empêcher de la confier à l’ingénieux Dédale.
Et ce dernier, comme bien des inventeurs que la morale n’étouffe pas pourvu qu’ils puissent inventer, conçut sur le champ la machine qui mettrait fin aux tourments de sa souveraine.
Il fabriqua une vache en bois, creuse en dedans, montée sur roues et qu’il recouvrit d’une peau de bovin. Pasiphaé se glissa dans la machine qui fut poussée au milieu du troupeau. La décence et le manque d’informations fiables nous imposent de jeter un voile discret sur les détails de cette union.
Pasiphaé apaisée, retourna à ses devoirs de souveraine et d’épouse et le taureau à ses vaches.
Minos, qui étrangement avait ignoré toute cette aventure, en fut fatalement informé quelques mois plus tard. Fou de rage et de honte, oublieux de sa propre histoire, il fit imaginer et construire par Dédale, le Labyrinthe, souterraine et inextricable prison, où il enferma la mère et l’enfant.
Le Minotaure depuis se languit quand il ne rugit pas et attend tous les neuf ans les quatorze jeunes gens qu’Athènes envoie pour le nourrir. On dit qu’il ne les dévore pas tous….
2 commentaires:
il y a toujours une image de femme pour sortir des labyrinthes un esprit ailé,même malchanceux, pour s'élever au dessus des enfers:les divers visages de l'espoir...
Extraordinairement raconté!
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