Mon Dieu, qu'il était donc vilain, ce vilain petit canard! Maman Cane avait beau faire, elle n'arrivait pas à l'aimer comme les autres. Il était gros, il était lourd, il était contrefait. Il avait une couleur si laide, une démarche si pataude, même pour un canard. Enfin, il était tellement différent...
Maman Cane s'était tout de suite doutée de quelque chose lorsqu'elle avait repéré, au beau milieu de douze jolis oeufs d'un vert délicat qu'on lui avait donné à couver, cet intrus obèse et blafard qui prenait toute la place. Et lorsqu'il avait brisé sa coquille, quel choc pour la pauvre mère! Jamais elle n'avait pu le regarder sans en être malade. Ces grosses horribles pattes, ce bec énorme, énorme...
Mais Maman Cane était une cane avertie, qui avait lu Andersen lorsqu'elle était petite, et Freud un peu plus tard. Elle savait ce qu'il advient des vilains petits canards, et, en attendant que celui-ci se transformât en un cygne merveilleux qui ferait honneur à sa famille, elle refrénait sa propre répulsion et défendait son disgracieux nourrisson contre les brimades de ses frères.
Ce vilain petit canard ne fut donc pas, comme l'autre, obligé de fuir le panier natal. Et ce fut bien dommage.
Car lorsqu'il fut devenu un joli petit crocodile, il dévora de ses jolies petites dents tous ses frères, Maman Cane et le panier.
C'est depuis ce temps que les contes d'Andersen sont interdits chez les canards d'Afrique.
François CAVANNA
1 commentaire:
J'avais une passion pour Cavanna...
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