L'année-là, le Monsieur de Gerbéviller avait été à Fraimbois faire une tournée pour les élections, et il était descendu chez le Maire qu'était son fermier. Comme le Maire avait été prévenu huit jours à l'avance, il avait fait préparer un grand repas.
La vieille Laitte avait tué des lapins, des oies, pour les faire fricasser, et deux pintades de la pointe des Crâs. Le père Philippe avait aussi vendu sa chèvre au maire, et le boulanger avait fait une fournée de pâtés, de gâteaux, de tartes aux amandes, un gros gâteau avec des pommes.
Enfin, rien n'avait été oublié.
Mais, voici le plus beau. Le Maire de Fraimbois qu'en avait assez d'entendre dire partout que ses gens étaient des nigauds et des pauvres innocents, s'était dit en lui-même: "Faut que notre Monsieur soit reçu comme jamais il ne l'a été! Faut que ça soit aussi beau que chez lui!"
Et puis, le Maire s'est toqué sur le front:"Ah! j'ai une idée... une idée. Quand j'ai mangé chez lui, je m'en ai fourré jusqu'au gosier. Je me souviens d'un détail. Comme il fallait bien faire de la placen j'ai été aux lieux. Ah! mes enfants, les beaux lieux. Chez nous, nous mettons un tonneau dans le jardin, derrière la palissade, et puis nous n'avons plus qu'à nous mettre à croupetons. Et puis, quand c'est fait... une feuille de choux fait l'affaire.
Les lieux de Gerbéviller sont plus compliqués. Il y a un beau fauteuil en bois, une lunette, une soupière où est-ce que tombe le mélange, et pour s'essuyer... la grosse face, on met le doigt sur un petit bouton qui met une brosse douce en action, qui vous nettoie bien à point, aller et retour, l'oeil qui ne voit pas.
Je vais lui montrer que je ne suis pas plus bête que lui, et qu'à Fraimbois on se met aussi bien qu'à Gerbéviller.
Et le Maire va trouver le garde-champêtre et lui explique l'affaire:
"Tu te mettras derrière les lieux, n'est-ce pas, Augusse. Il y aura dans le bois de la chiotte un trou pour y mettre ton oeil, et voir ce qui se passe dedans. Quand tu verras qu'il aura déposé son aumône dans le trou de l'agriculture (le Maire de Fraimbois était tout savant: il avait été à l'école du Six de Vaucourt), te feras manoeuvrer le pinceau qui essuiera la pleine lune. Te lui passeras cela, doucement, trois fois, avec un petit intervalle (le temps de le laisser respirer). Comme ça, il sera content, et on ne pourra plus dire que les gens de Fraimbois sont des foutues bêtes."
Le Monsieur de Gerbéviller vient à Fraimbois, il est reçu du mieux du monde, avec tous les honneurs qu'on lui devait;
On se met à table et on mange les bonnes choses qu'étaient préparées.
Au dessert, le Mossieur de Gerbéviller, que le vin vieux de Deuxville avait rendu un peu tournisse, se lève et demande au maire où est-ce qu'on allait faire la... digestion.
Alors, le Maire le conduit aux lieux. Le garde-champêtre était à son poste. Il entre et expédie, en soufflant fort (le pauvre homme) sa lettre à Bismarck.
Quand ç'a été fait, mon garde-champêtre qui regardait par le trou, entre deux planches, ne lui laisse pas le temps de chercher du papier; il fait manoeuvrer le pinceau à deux reprises sur le noble derrière!
"Hé, hé, qu'il dit, mais c'est qu'à Fraimbois, c'est mieux installé que chez moi! On n'a pas besoin de bouton électrique; seulement ça doit être un nouveau système! Regardons voir de tout près!"
Et il se retourne pour voir l'appareil. Au même moment, le garde-champêtre le fait manoeuvrer pour la troisième fois, et en plein sur la figure du pauvre homme.
"Eh bien! qu'il dit, il n'y a qu'à Fraimbois qu'on voit ça! Quand on vous a essuyé le derrière, on vous fait la barbe par-dessus le marché... seulement, ça ne sent pas le savon du Congo, cré nom d'une!"
Jean LAHNIER - Les Contes de Fraimbois
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