Sur la lande bretonne des loups chantent la pleine lune. Dans la chambre haute d’un manoir, une vieille dame les écoute. Elle ne peut pas dormir ; un vieux cœur fatigué l’étouffe ; l’empêche de bouger, de marcher, de vivre… D’ailleurs, elle ne vivra plus longtemps ; bientôt elle sera libre… Libre comme les loups.
Ceux là sont peu nombreux ; un couple et quelques jeunes. Du train où on les chasse, il n’y en aura bientôt plus
Elle ne craint pas les loups ; elle n’aime pas les chasseurs.
L’hiver, les loups affamés hurlaient par centaines dans les forêts de son pays natal ; on les voyait galoper sur les plaines glacées. Il fallait aux voyageurs une solide escorte pour leur échapper. Parfois même, devait-on leur livrer un cheval.
C’est ce qu’on racontait , ce qu’elle a raconté .
Mais jamais son père le gouverneur n’aurait sacrifié un seul des cent chevaux de son haras. Quand il voyageait, avec ou sans sa famille, plusieurs dizaines de cavaliers armés accompagnaient son traîneau et ceux de sa suite. C’était toujours escorté de cette véritable armée que se déplaçait le général-comte R… gouverneur de la capitale et sa famille . Des loups n’auraient jamais osé menacer un tel équipage.
Les loups sont craintifs ; les bergers le savent bien et elle aussi. Dans son premier roman une des petites filles modèles le dit: « les loups sont poltrons » Il suffit de claquer les sabots l’un contre l’autre pour les faire déguerpir ; et puis, ils ont peur des chiens.
Ce sont les lévriers de sa mère qui ont fait fuir ceux qui …. Mais à vrai dire ce n’étaient pas des loups. Les loups qui emportent la petite fille c’est dans le roman… La vraie histoire, elle s’en souvient : elle avait quatre ans. Sa mère lui avait dit qu’elle était assez grande désormais pour l’accompagner dans ses promenades en forêt.
« Mais prend bien garde, avait-elle ajouté, tu sais que je marche vite ; ne traîne pas en arrière, ne rentre pas dans le sous-bois, reste bien sur le chemin près de moi et des chiens. »
Et c’est vrai qu’elle marchait vite, la mère de Sophie ; la petite trottinait derrière faisant quatre enjambées pour une de sa mère. Sa mère si belle, si élégante, si sévère. Et l’écart se creusait ; les chiens joyeux bondissaient d’avant en arrière. Et la petite voyait la silhouette maternelle de plus en plus loin sur le chemin ; un bouffée de désespoir lui monta au cœur : elle en eut la certitude, sa mère l’avait emmenée en forêt pour la perdre. Pas parce qu’elle ne pouvait plus la nourrir comme Hansel et Gretel ou le Petit Poucet ; ses parents étaient riches. Mais parce qu’elle ne voulait plus d’elle. Elle en avait assez de la punir sans jamais l’améliorer.
« Taisez-vous bavarde ! On ne comprend rien à vos histoires ! » Elle aimait tant raconter des histoires !
« Vilaine menteuse ! Qu’avez-vous encore inventé ? » Elle ne croyait pas mentir ; elle arrangeait juste un peu la réalité pour la rendre plus belle.
« Montrez-moi vos mains, vilaine gourmande, petite voleuse ! ». Mais les bonbons, les fruits confits , les gâteaux qui sont là sur les tables, quand on a faim, c’est tentant !
« Voulez-vous bien rester un peu tranquille, ne courez pas, ne grimpez pas partout ! Comportez –vous comme une petite fille sage ». Mais les garçons, eux ont le droit de courir, de grimper aux arbres et elle peut le faire aussi bien qu’eux !
« Calmez-vous mademoiselle le coléreuse et filez dans votre chambre ». Comment ne pas se mettre en colère parfois, quand on vous reproche chaque geste que vous faites ?
Et pourtant, elle voudrait tant devenir telle que sa mère la souhaite !
C’est trop tard désormais, elle va rester dans la forêt ; devenir la proie d’une sorcière, ou d’un ogre qui l’engraissera avant de la manger. Le chagrin lui pique les yeux ; devra-t-elle sacrifier les deux gimblettes qu’elle a dans sa poche ? les émietter pour retrouver son chemin. Inutile ; les oiseaux mangeraient les miettes ; il vaut mieux les garder pour plus tard, quand elle aura faim. Elle a d’ailleurs un petit peu faim déjà. Elle trotte pour rattraper sa mère, mais à travers ses larmes elle voit le long du bois des points rouges et cette odeur, fruitée, sucrée, pas de doute ce sont des fraises ! elle adore les fraises…
Ne pas rester en arrière, ne pas s’écarter du chemin… oh, juste une ou deux fraises et d’ailleurs elle sait que sa mère se rend chez son fermier ; elle n’aura qu’à courir. Elle s’accroupit… un ou deux fraises… Mais il y en a plein… elle suit les fraises dans le sous-bois…
Un autre enfant a vu aussi les fraises… Un enfant de sa taille mais qui n’a que quelques mois…
Qu’il est joli ce nourrisson poilu, tout brun, tout velouté, un gros jouet et Sophie veut le toucher, le caresser, mais elle lui fait peur. Le bébé crie et sa mère se précipite. Elle est là dressée devant la petite fille, griffes en avant gueule ouverte sur des dents énormes. Sophie accroupie le contemple médusée. Elle a peur un peu, mais ne panique pas ; elle a entendu les chasseurs raconter : devant un ours, on ne doit pas bouger.
L’ourse gronde, une galopade effrénée casse des branches mortes, les chiens aboient, mettent en fuite la mère et l’ourson.
Et l’autre mère surgit alors ; elle s’empare de sa fille, la gifle à toute volée et dans le même mouvement la serre farouchement contre elle. De cette étreinte, Sophie devra se souvenir toujours, car elle ne recevra guère d’autre manifestation d’amour .
Ceux là sont peu nombreux ; un couple et quelques jeunes. Du train où on les chasse, il n’y en aura bientôt plus
Elle ne craint pas les loups ; elle n’aime pas les chasseurs.
L’hiver, les loups affamés hurlaient par centaines dans les forêts de son pays natal ; on les voyait galoper sur les plaines glacées. Il fallait aux voyageurs une solide escorte pour leur échapper. Parfois même, devait-on leur livrer un cheval.
C’est ce qu’on racontait , ce qu’elle a raconté .
Mais jamais son père le gouverneur n’aurait sacrifié un seul des cent chevaux de son haras. Quand il voyageait, avec ou sans sa famille, plusieurs dizaines de cavaliers armés accompagnaient son traîneau et ceux de sa suite. C’était toujours escorté de cette véritable armée que se déplaçait le général-comte R… gouverneur de la capitale et sa famille . Des loups n’auraient jamais osé menacer un tel équipage.
Les loups sont craintifs ; les bergers le savent bien et elle aussi. Dans son premier roman une des petites filles modèles le dit: « les loups sont poltrons » Il suffit de claquer les sabots l’un contre l’autre pour les faire déguerpir ; et puis, ils ont peur des chiens.
Ce sont les lévriers de sa mère qui ont fait fuir ceux qui …. Mais à vrai dire ce n’étaient pas des loups. Les loups qui emportent la petite fille c’est dans le roman… La vraie histoire, elle s’en souvient : elle avait quatre ans. Sa mère lui avait dit qu’elle était assez grande désormais pour l’accompagner dans ses promenades en forêt.
« Mais prend bien garde, avait-elle ajouté, tu sais que je marche vite ; ne traîne pas en arrière, ne rentre pas dans le sous-bois, reste bien sur le chemin près de moi et des chiens. »
Et c’est vrai qu’elle marchait vite, la mère de Sophie ; la petite trottinait derrière faisant quatre enjambées pour une de sa mère. Sa mère si belle, si élégante, si sévère. Et l’écart se creusait ; les chiens joyeux bondissaient d’avant en arrière. Et la petite voyait la silhouette maternelle de plus en plus loin sur le chemin ; un bouffée de désespoir lui monta au cœur : elle en eut la certitude, sa mère l’avait emmenée en forêt pour la perdre. Pas parce qu’elle ne pouvait plus la nourrir comme Hansel et Gretel ou le Petit Poucet ; ses parents étaient riches. Mais parce qu’elle ne voulait plus d’elle. Elle en avait assez de la punir sans jamais l’améliorer.
« Taisez-vous bavarde ! On ne comprend rien à vos histoires ! » Elle aimait tant raconter des histoires !
« Vilaine menteuse ! Qu’avez-vous encore inventé ? » Elle ne croyait pas mentir ; elle arrangeait juste un peu la réalité pour la rendre plus belle.
« Montrez-moi vos mains, vilaine gourmande, petite voleuse ! ». Mais les bonbons, les fruits confits , les gâteaux qui sont là sur les tables, quand on a faim, c’est tentant !
« Voulez-vous bien rester un peu tranquille, ne courez pas, ne grimpez pas partout ! Comportez –vous comme une petite fille sage ». Mais les garçons, eux ont le droit de courir, de grimper aux arbres et elle peut le faire aussi bien qu’eux !
« Calmez-vous mademoiselle le coléreuse et filez dans votre chambre ». Comment ne pas se mettre en colère parfois, quand on vous reproche chaque geste que vous faites ?
Et pourtant, elle voudrait tant devenir telle que sa mère la souhaite !
C’est trop tard désormais, elle va rester dans la forêt ; devenir la proie d’une sorcière, ou d’un ogre qui l’engraissera avant de la manger. Le chagrin lui pique les yeux ; devra-t-elle sacrifier les deux gimblettes qu’elle a dans sa poche ? les émietter pour retrouver son chemin. Inutile ; les oiseaux mangeraient les miettes ; il vaut mieux les garder pour plus tard, quand elle aura faim. Elle a d’ailleurs un petit peu faim déjà. Elle trotte pour rattraper sa mère, mais à travers ses larmes elle voit le long du bois des points rouges et cette odeur, fruitée, sucrée, pas de doute ce sont des fraises ! elle adore les fraises…
Ne pas rester en arrière, ne pas s’écarter du chemin… oh, juste une ou deux fraises et d’ailleurs elle sait que sa mère se rend chez son fermier ; elle n’aura qu’à courir. Elle s’accroupit… un ou deux fraises… Mais il y en a plein… elle suit les fraises dans le sous-bois…
Un autre enfant a vu aussi les fraises… Un enfant de sa taille mais qui n’a que quelques mois…
Qu’il est joli ce nourrisson poilu, tout brun, tout velouté, un gros jouet et Sophie veut le toucher, le caresser, mais elle lui fait peur. Le bébé crie et sa mère se précipite. Elle est là dressée devant la petite fille, griffes en avant gueule ouverte sur des dents énormes. Sophie accroupie le contemple médusée. Elle a peur un peu, mais ne panique pas ; elle a entendu les chasseurs raconter : devant un ours, on ne doit pas bouger.
L’ourse gronde, une galopade effrénée casse des branches mortes, les chiens aboient, mettent en fuite la mère et l’ourson.
Et l’autre mère surgit alors ; elle s’empare de sa fille, la gifle à toute volée et dans le même mouvement la serre farouchement contre elle. De cette étreinte, Sophie devra se souvenir toujours, car elle ne recevra guère d’autre manifestation d’amour .
1 commentaire:
Il y en a qui ne sont guère gâtées...
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