Mais ni rois, ni duc, ni comtes ni barons ne purent à leur grande
honte retirer l’épée de l’enclume. Vint le tour des chevaliers qui ne purent
faire mieux ; l’épée ne bougeait pas d’un pouce. La garde de la dalle fut
confiée à neuf hommes tandis qu’on convoquait les gens du peuple à venir tenter
leur chance. Toute cette noblesse frustrée commentait les évènements avec
aigreur ; le danger de voir sortir les armes était grand. Aussi les plus
sages des chevaliers décidèrent-ils d’organiser joutes et tournois pour tromper
l’attente de la venue de l’élu de Dieu. Tout le monde voulait voir le spectacle
des chevaliers aux montures richement caparaçonnées et les neuf gardes de
l’épée comme les autres ; ils abandonnèrent leur poste.
Antor, ses deux fils et Bedwyr un de leurs amis, ne perdaient pas une miette des affrontements
et l’ainé des garçons, Keu qui venait d’être armé chevalier brûlait d’y
participer. Mais il n’avait pas son épée avec lui. Il envoya le jeune Arthur la
chercher. Arthur n’était pas encore chevalier et servait d’écuyer à son frère. Le garçon, fort serviable courut
à leur logis, mais il ne put découvrir où Keu avait laissé son épée. Penaud,
redoutant les reproches, il revenait vers le lieu des tournois, quand passant
près du tertre, il vit l’épée dans l’enclume.
« Après tout, se dit-il, Keu a besoin d’une épée ; peu
importe laquelle. Je vais lui apporter celle-ci ! »
Sans descendre de son cheval, il prit le pommeau, tira sans peine
l’épée qu’il cacha sous un pan de sa tunique.
Keu, impatient d’en découdre, guettait son frère un peu à l’écart de
la foule. Arthur commença à lui expliquer qu’il n’avait pas trouvé son épée,
mais qu’il en apportait une autre qu’il tendit à son frère.
Keu, reconnaissant l’épée dont il avait en vain cherché à se saisir,
fut un instant déconcerté : « Où as-tu pris cette épée ? – C’est
celle qui était fichée dans l’enclume ! Elle n’est à personne, je crois. »
Keu prit l’épée, la dissimula sous sa tunique et alla trouver Antor.
« Père ! dit-il fièrement, voici l’épée de l’enclume… c’est
moi qui serai roi ! »
Antor avait vu ce matin même son fils s’efforcer en vain de prendre
l’épée. « Où as-tu trouvé cette épée ? lui dit- il sévèrement – Mais
dans l’enclume, mon père, je viens juste de la prendre !- Keu, mon fils, ne ment pas, je te prie !
Qui t’a remis cette épée ? »
Keu était vantard, belliqueux, facilement moqueur, mais il était un
vrai chevalier. Il baissa les yeux rougit et dit d’une vois incertaine :
« Pardon, mon père ! Je n’ai pas pris l’épée ; c’est Arthur qui
me l’a donnée, mais je ne sais pas comment il a pu l’avoir.- Je te pardonne,
répondit Antor ; donne-moi cette épée maintenant ! » Et Keu la
lui remit. Antor appela Arthur et lui dit d’aller remettre l’épée où il l’avait
prise. Le garçon sans discuter, remit l’épée dans l’enclume.
« Maintenant, dit Antor, Keu mon fils, va prendre cette
épée ! » Keu obéit, mais en dépit de tous ses efforts, il ne put la
faire bouger.
« C’est bon, dit le père. A toi, maintenant Arthur : va
prendre l’épée. » Arthur s’approcha de la dalle et sans le moindre effort
s’empara de l’épée. « C’est bien dit Antor ! remet-là en place et
vous deux, suivez-moi. »
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