Conseil municipal-
Les anciennes bases d’aviation
désertées par l’OTAN, on en fait quoi ?
C’est que ça fait du
terrain : des hectares et des hectares ! Et nous, les riverains, on
peut imaginer le pire, on est à peur près certains d’avoir raison !
On avait parlé d’abord de circuit
automobile, puis de motos, de terrain d’aviation, d’héliport entre autres
projets farfelus et bruyants. Alors, on avait fait une association pour se
défendre.
Le président était un colonel, un
ancien de la cavalerie ; habitué à commander, il s’était imposé et puis la
présidence, hein, qui en voulait ?
Ah, il commandait le
colonel ! Il nous traitait comme il n’aurait jamais osé traiter un cheval.
Ce qui prouvait bien qu’il n’en avait jamais approché un, c’est dans les AMX
qu’il avait fait carrière.
Enfin, il était là, dans la salle
du conseil, qu’il s’était fait prêter, au bout de la table recouverte d’un
tapis vert et il présidait. On sentait bien qu’au fond, l’avenir de la base, il
s’en foutait ; de qu’il aimait, c’était présider. Oui, mais les autres
aussi auraient bien aimé ; ils lui auraient bien fauché sa place. Oh, pour
le correspondant de la feuille de chou locale, ils étaient tout sourires,
poignées de mains ; cordiaux, ils étaient , pour la photo ! Mais la haine
au fond des yeux…
On aurait pu croire qu’ils
avaient un but commun : préserver leur environnement, par exemple. Mais
non, il n’y avait entre eux que litiges, vieilles histoires de bornages et de
clôtures, de mitoyennetés douteuses, de mauvais voisinage.
On était mal barrés. Qu’est-ce
qu’elle faisait là, Estournelle Sansoiseaux ? Elle avait une furieuse
envie de leur voler dans les plumes, de leur envoyer leurs vérités à travers la
table. Elle se serait fait jeter et ça n’aurait rien arrangé. Car si les autres
étaient là pour voir le lendemain leur photo dans le journal, elle, avait une
idée à défendre.
Une idée à la Sansoiseau :
utopique, dispendieuse, subversive mais surtout propre , silencieuse et
rentable à long terme : un zoo !
Ca marche bien les zoos. Mais
celui d’Estournelle n’était pas n’importe lequel : un zoo arctique, une
banquise avec ours blancs, phoques, pingouins et pourquoi pas des eskimos et
des igloos, des courses de traîneaux, des randonnées attelées tirées par des
rennes.
La banquise en pleine Beauce ?
Pourquoi pas ? On était bien pas loin de là, arrivé à reconstituer sous
cloche les tropiques.
Elle se calmait, Estournelle,
elle réfléchissait ; il fallait arriver à convaincre le colonel.
Hein, quoi ?… Des éclats de
voix la ramenèrent du Pôle Nord dans la salle enfumée. C’était Leduc, le
volailler. Qu’est-ce qu’il avait trouvé comme idée géniale ? Des combats
de coqs !
Ca va pas non ! Ah, mais il
y en a à qui ça plaît… Tous des beaufs, des gros beaufs !
Estournelle oublia son calme et
rompit une lance, sans succès ; on la prit à partie. Elle habitait là
depuis trente ans, mais elle était toujours une « parisienne »
« Mais oui, Mr Leduc, je mange
du poulet et du jambon et des stecks aussi. Et je n’aime pas la corrida, ni les
combats d’animaux ; la boxe non plus si vous voulez savoir. Et puis
franchement, Mr Leduc, une arène pour combats de coqs sur 350ha, ça me fait
bien rigoler ! »
Tiens, il avait porté son
argument, à Estournelle ; deux coqs en train de se battre dans un espace
prévu pour faire décoller des avions, toute la table se marrait ; sauf
Leduc ! Tant pis pour lui, ça lui apprendrait à parfumer le pays à la
merde de poule deux fois par mois.
Estournelle se rebrancha sur
l’assemblée : le colonel radotait ; le colonel regrettait le service
militaire, regrettait, regrettait à rebrousse-temps et bientôt était rendu à la
Libération. Il était sur son char, le colonel, derrière Leclerc, toutes les
minettes lui sautaient au cou ; pas difficiles, les minettes !
Admettons que dans l’euphorie de la victoire elles n’aient pas bien vu la
tronche du colonel . C’est vrai qu’il était plus jeune… Jeune ? Il a
toujours été un vieux con, le colonel. A trois mois, sûrement, il avait déjà
une tête de vieux con… un vieux bébé à tête de con…
Réveille-toi, colonel… La guerre,
c’est pas ici ; c’est à trois heures d’avion ; si ça te manque tant,
vas-y au lieu de nous gonfler avec tes souvenirs bidon…
Elle s’énerve, Estournelle ;
il ne fait pas avancer le débat, le colonel. Il était tard, ça sentait la clope
et la sueur. Qu’est-ce qu’on proposait en fin de compte ? Un musée de
l’armée ou un conservatoire de vieux schnoks ?
Estournelle tendit l’oreille.. Il
disait quoi, là, le pépé ? Le président du Club de l’Amitié, comme ils
disent. Amitié, mes fesses, oui ! Les vieux se détestaient, comme tout le
monde se détestait autour de cette table..
Qu’est-ce qu’il glaviotait entre
ses chicots ? Un jeu de boules… Discussion… Controverse… Animation… Adopté !!! A
l’unanimité, y compris la voix d’Estournelle qui trouvait idiote l’idée du pépé,
mais pas nocive, pas chère à réaliser, conviviale, silencieuse et pas
polluante.
Et voilà comment d’ici trois ans,
une ancienne base de l’OTAN serait transformée en gigantesque terrain de
pétanque !
2 commentaires:
Bin, ils sont croquignolets, les gugusses, chez Estournelle !! :)
Et presque pas inventés, ni exagérés...
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