Estournelle, dans
sa campagne était seule ; elle avait appris à s’en accommoder, parfois
même à y trouver un certain confort. La venue de Marlon dans le voisinage avait
un peu modifié ses habitudes et les soirées passées à épiloguer sur le manoir
et ses fantômes commençaient à lui manquer.
Ce matin-là,
elle traînait sans conviction dans les allées d’un vide-grenier. Son intérieur
ressemblait déjà tant à un grenier qu’il aurait fallu vider, qu’elle souhaitait
presque ne rien trouver. Pourtant dans les caisses ici ou là, peut-être un
vieux bouquin l’attendait, ou encore un numéro de cet ancien magazine qu’elle
collectionnait, espérant y trouver quelque épisode manquant du « Vautour
de la Sierra », le roman « d’amour et d’aventures » dont le
héros était un bandit laid, vieux et cruel… Les exploits de Don Quebranta la
faisaient rêver depuis qu’elle avait dix ans, quand son arrière- grand-mère lui
avait offert trois années reliées de ce magazine oublié au grenier. Depuis,
elle achetait à n’importe quel prix et sans discuter chaque exemplaire qu’elle
pouvait dénicher.
Le butin était
maigre ce matin-là, ni bouquin ni quelque autre vieux papier, juste un petit
bol à peine ébréché. La voix désagréable à son ouïe de la conseillère chargée
de la commission culture lui fit tendre ses deux oreilles tandis qu’elle
s’effaçait derrière une armoire à glace qui se dressait , désorientée, sur une
pelouse parsemée de caisses de vaisselle et de bric à brac plus ou moins
utilisable. Ah ! Marlon allait comprendre la totale portée de ce « Faut
voir ! » auquel il n’avait guère prêté attention ! Pourquoi
aurait-on songé à le prévenir que les crédits destinés à la réhabilitation de
l’église avaient été différés ? La charpente fragilisée, il était hors de
question d’y organiser un concert ; on allait même pour un temps, ne plus
y dire la messe.
Et ce pauvre
garçon est à Paris, pensait Estournelle, qui se démène pour rassembler des artistes, qui
se donne un mal fou pour organiser un évènement, sans aucun budget… Et tel que
je le connais, continuait-elle à
ruminer, il va probablement proposer d’en financer une partie ! Depuis ce
dernier Noël où elle avait appris que Marlon était sans famille, elle s’était
mise à éprouver pour lui une affection que ne justifiait pas de simples
rapports de voisinage. Un penchant qu’elle réfrénait pour avoir compris que le
musicien se passait aussi bien de mère qu’elle-même se passait d’enfant.
Son problème
était que le physique de son voisin lui rappelait une silhouette oubliée et une
période de sa vie qu’elle avait enfermée à double tour dans sa mémoire, luttait
pour retrouver la liberté. Fallait-il donner un tour de clé supplémentaire ou
au contraire libérer des souvenirs qui n’étaient pas tous pénibles ? Et
comme elle préférait penser à autre chose, elle rentra chez elle, décrocha la
clé des Authieux et retourna éveiller des souvenirs qui n’étaient pas les
siens.
Louis avant
raconté l’histoire de Lucrèce avec un intérêt que ne justifiait pas un simple
passage de quelques semaines dans sa vie. Elle survenait là, entre un amour
passé pour une Mariette oublieuse et une union de convenance avec cette
Angélique dédaigneuse… Estournelle , impatiente, compulsait les cahiers en désordre
sans trouve la suite de l’histoire. C’est au milieu d’un gros soupir de désappointement,
que des pages s’éparpillèrent sur le sol. En les ramassant, elle en profita
pour les classer ; reconnaissantes, elles lui offrirent une nouvelle
histoire…
1 commentaire:
Dans les vide-greniers, il y a tant de vies tant d'histoires inspirantes, je me laisse toujours tenter par un objet qui me parle...
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