Cupidon, lui, est triste, triste à en mourir, seulement il ne peut pas ! Il s’en va chez sa mère ; une mouette l’accueille, Vénus s’est absentée. Elle est dans l’Océan. L’oiseau vole vers elle, lui dire en quel état elle a trouvé son fils :
« Il souffre, il est blessé et il ne veut plus vivre ! Déesse, c’est assez ! Tu ne peux laisser dire que Vénus et l’Amour abandonnent les hommes ; lui, pour une mortelle et toi pour l’Océan ! »
Il est vrai que sur terre abjection et discorde faisaient rage et chassaient et tendresse et beauté. Vénus qui barbote prête une oreille distraite au caquet de l’oiseau… Son fils encore enfant… aimer une mortelle ? C’est difficile à croire… Et qui est la perverse dont il s’est entiché ?
Et la mouette alors, prononce un nom : Psyché !
Quoi, Psyché ! Encore elle ! La jeune écervelée a débauché son fils ! Mais alors… Cupidon lui a désobéi ! Vénus entre en fureur ; elle n’a pas de noms pour qualifier ce fils. Ce fils dégénéré qui pour premier amour a choisi sa rivale.
Junon passait par là, Cérès l’accompagnait. Vénus prend à témoin les déesses ses sœurs.
Cupidon amoureux ? Mais ce n’est pas si grave ! Voyons, c’est de son âge… et Vénus elle-même, a souvent des faiblesses. Déesse de l’amour, elle devrait le comprendre !
Cérès et Junon passent et Vénus ulcérée, retourne à l’Océan.
Pendant ce temps Psyché erre sur les chemins ; elle veut retrouver l’amour de Cupidon. En haut d’une colline elle aperçoit un temple : peut-être on y honore Vénus ou son époux ? Péniblement elle grimpe sur un sentier abrupt.
Au pied de l’édifice, on a laissé traîner épis de blé et d’orge, outils de moissonneurs. Ce n’est pas à l’amour qu’est consacré ce temple mais plutôt à Cérès. Ah , qu’importe celui que l’on prie en ce lieu ! Psyché a besoin d’aide ; elle range les faux, les râteaux et les gerbes et bientôt le désordre fait place à l’harmonie.
Tiré par des dragons, vient près du sanctuaire le char de la déesse ; Cérès fait taire les chants, éteindre les flambeaux. Sans en être aperçue, elle observe Psyché : elle a perdu l’amour, Vénus la persécute, à quoi peut lui servir le culte de Cérès ? Pourtant elle le respecte, qu’elle en soit remerciée. La déesse s’avance, Psyché est à ses pieds qui pleure et qui l’implore ; elle demande asile. Mais Cérès impuissante, ne peut que la bénir et sans la dénoncer la laisser repartir : Vénus est son amie.
Psyché au désespoir traverse un bois sacré ; elle voit un autre temple. Des étoffes drapées portent en lettres d’or le nom de la déesse auquel il est dédié : Junon qui vient en aide aux femmes en mal d’enfant. Mais la seule d’entre elles pour qui elle ne peut rien, c’est la pauvre Psyché qui pourtant la vénère.
Abandonnée des dieux, abandonnée des hommes, Psyché comprend alors qu’il n’y a plus sur terre pour elle, aucun refuge. Puisque Vénus la veut, elle ira chez Vénus ; aussi bien est-ce là qu’elle a le plus de chance de revoir son amour, et s’il ne veut plus d’elle, alors, autant mourir : Vénus sera vengée.
La déesse sort de l’onde ; elle quitte Océan, remonte sur son char et dans un grand envol de colombes et d’oiseaux de toutes les couleurs, elle gagne l’Olympe. Les nuages s’écartent et devant Jupiter se dresse la plus belle des filles d’Uranus. Il lui fait l’aide urgente du messager des dieux, Mercure aux pieds ailés. Jupiter ébloui ne peut lui résister.
Mercure aime Vénus comme un frère, c’est certain, mais peut-être un peu plus. La rusée le sait bien : elle promet des baisers. Sept baisers de Vénus à qui lui livrera l’esclave fugitive qui a blessé son fils… plus un pour lui, Mercure !
Des baisers de Vénus ! L’humanité entière aux trousses de Psyché la pousse vers le temple où l’attend sa rivale. Amaigrie, fatiguée, ses vêtements de deuil devenus des haillons, Psyché fait peine à voir. La déesse n’éprouve aucune compassion ; que vient faire à ses pieds cette immonde souillon ? rejoindre le mari qu’elle a voulu tuer ou saluer sa mère ? Livrée à des servantes, Psyché est humiliée, injuriée, battue, puis ramenée enfin devant Vénus qui rit… mais son rire se brise devant le ventre rond que les lambeaux d’étoffe ne dissimulent plus. Elle va être grand-mère ! sa fureur redouble. Voilà le résultat des amours défendues d’un dieu adolescent avec une intrigante ; elle dénie cette union ! Si elle le laisse vivre, l’enfant sera bâtard ! Puis elle traîne Psyché devant un grand miroir :
-« Regarde-toi, la plus belle des filles des hommes ! Regarde ce que tu es devenue désormais : sans beauté, sans fraîcheur, si tu veux un mari, il faut te rendre utile. Et pour en faire la preuve, il faut qu’avant ce soir tu aies trié les graines qui sont dans ce panier ; sépare l’orge des fèves, le millet du pavot, les lentilles des pois chiches. Travaille, dépêche-toi, je viendrai vérifier ! »-
Mal remise des coups, Psyché est effondrée, pourtant avec courage elle se met sans broncher à l’impossible tâche. Amie de Cupidon, une fourmi a vu, entendu ; indignée, elle appelle ses sœurs qui se mettent à l’ouvrage, et la troupe efficace, fait tant qu’avant le soir les graines sont triées. La nuit tombe, Vénus, des fleurs dans les cheveux, légèrement éméchée, a quitté une fête. Elle vient punir Psyché, mais le travail est fait ! Interdite, ulcérée, elle bat la malheureuse, l’accuse d’avoir triché : Cupidon l’a aidée… Pourtant Vénus sait bien que son fils enfermé est gardé par des nymphes chargées de le soigner. Pour guérir sa blessure, il ne doit pas bouger ; la déesse est injuste ! Avec un vieux croûton pour seule nourriture, Psyché va se coucher. Tristes et séparés, les amoureux s’endorment dans la même demeure.
Vénus avant le jour vient réveiller Psyché : elle montre à sa victime un flocon scintillant.
-« La laine que voici, vient de la toison d’or de cent brebis sauvages. Elles vivent près d’un source au fond d’un bois sacré ; je veux de cette laine de quoi faire un manteau. »
Psyché s’en va au bois ; elle sait que la déesse veut avant tout sa perte. La source devient rivière, la rivière est profonde, elle va s’y jeter ainsi tout sera dit. Mais la rivière émue prend la voix des roseaux : la belle infortunée ne doit pas de son corps souiller une onde pure ; elle ne doit pas non plus approcher des brebis tant que le soleil luit, le jour les rend féroces. A l’ombre d’un platane, qu’elle attende le soir ; le troupeau altéré viendra boire à la source et puis s’endormira. Alors elle pourra entrer dans la forêt, ramasser la toison qu’ont laissé les brebis accrochée aux buissons…
Avant le lendemain, Psyché porte à Vénus sa tunique remplie d’une laine brillante.
Vénus n’en revient pas ! Comment fait cette fille ? C’est sûr, Cupidon l’aide ! Pourtant son fils n’est pas plus libre que la veille… Ah, Psyché est prudente, rusée, intelligente ! Mais Vénus est tenace ; au pied d’une montagne, elle l’entraîne et lui montre une roche escarpée surplombant un à-pic : c’est la source du Styx, le fleuve des Enfers. Elle lui tend une fiole qu’il lui faudra remplir de l’eau qui jaillit là.
Psyché sans plus rien dire, vers le sommet se hâte : mais la roche est glissante, des grottes, des fissures s’entrouvrent sous ses pas. A sa droite, à sa gauche, deux dragons rampent vers elle. Gueule béante, crocs luisants, langue triplement fourchue, les yeux toujours ouverts ils fixent l’innocente, tout en crachant des flammes. Pétrifiée d’horreur, Psyché pense à l’oracle : les dragons, les voilà ! Ils vont la dévorer. Sans larmes pour pleurer, sans voix pour implorer, elle ferme les yeux….
Mais Jupiter voit tout : l’amour de Cupidon, la colère de Vénus, les malheurs de Psyché ! Il lui envoie son aigle. Les ailes déployées, l’oiseau fait reculer les deux horribles monstres. En se posant près d’elle, au nom du roi des dieux, il s’adresse à Psyché :
-« Jamais une seule goutte de cette eau que redoutent et vénèrent les dieux ne remplira la fiole d’une simple mortelle. Confie-moi ce flacon. »
Il le prend dans son bec, étend ses ailes et vole entre les deux dragons, aplatis sur le sol. Mais les eaux indociles refusent d’obéir ; pour les amadouer, l’aigle invoque Vénus, invoque Jupiter, le fleuve alors s’incline. L’aigle donne à Psyché la fiole remplie ; Jupiter remercié, elle retourne à Vénus.
La déesse ulcérée par ce nouveau succès redouble de rigueur : Psyché est magicienne ! Faudra-t-il la brûler ? Mais soudain une idée lui donne le sourire : elle va cette fois mettre hors d’état de nuire l’amante de son fils. Elle lui tend un coffret. C’est aux Enfers cette fois, que se rendra Psyché : Proserpine détient un onguent de jeunesse, Vénus en a besoin pour soigner Cupidon et aussi son visage.
L’envoyer aux Enfers ! Vénus veut dons sa mort… Peu importe d’ailleurs, Psyché ne veut plus vivre… Oui, mais comment s’y rendre ? Tout en haut d’une tour dressée non loin de là, Psyché monte et se penche ; le chemin des Enfers, elle vient de le trouver !
Dans le monde des dieux, les tours ont la parole ; elle s’adresse à Psyché :
-« Ma belle, si tu sautes, tu iras aux Enfers et n’en reviendras pas ! Si plutôt tu m’écoutes… »
Les animaux qui parlent, les objets qui bavardent, la nature qui conseille, Psyché ne s’y fait pas. La voilà qui sursaute ; la tour imperturbable continue son discours :
-« Vas à Lacédémone ; cherche le soupirail qui mène à la demeure du couple des Enfers. Passe le seuil et suit le chemin tortueux qui s’enfonce sous terre. N’oublie pas d’emporter des pièces de monnaie et aussi des biscuits. Quand tu rencontreras un meunier et son âne, au fagot dénoué, ne les regardes pas et passe ton chemin. Sur les rives du Styx, contre une de tes pièces, Charon t’embarquera . Pendant la traversée, ignore les appels d’un vieillard qui se noie ; la pitié n’a pas cours aux lieux où tu te rends. Sur la rive opposée, de vieilles tisserandes demanderont de l’aide ; ne les écoutes pas ; aux ordres de Vénus, elles sont là pour te perdre. Elles veulent te faire lâcher les biscuits qu’il te faut donner au vieux Cerbère dont les trois têtes grondent dès que l’on veut franchir sans y être invité la porte des Enfers. En mangeant les gâteaux, il relâchera sa garde et tu pourras passer. Proserpine est très bonne, elle va te recevoir, t’ offrir le repos et aussi à manger ; surtout n’acceptes pas ! Présentes ta requête, donne lui le coffret ; prends ce qu’elle va te rendre, remercie et retournes. Donnes au chien un gâteau, à Charon une pièce ; le fleuve traversé tu verras le chemin qui mène vers le jour.
Mais écoutes ceci, c’est le plus important : tu ne dois regarder pour aucune raison ce que contiens la boîte ! »
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