Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

lundi 12 octobre 2020

La vieille et le bébé dragon.alm

 

La vieille et le bébé dragon

C’est une vieille qui vit seule dans un hameau perdu dans la campagne. Depuis longtemps personne n’est plus là pour l'aider, pour allumer son feu. Elle a bien du mal à cueillir ses poires ; son échelle a perdu ses barreaux et c’est pareil pour ses grimoires : elle n’atteint plus ceux du haut.

Le jour s'achève ; c'est l'automne les cerfs appellent les biches. Elle entend un cri étrange, ce n'est pas le brame. On dirait un animal en détresse. Ca vient du côté de la mare aux biches. Elle ramasse ses cottes et tête en avant elle va voir ce que c'est.  Il y a longtemps qu'elle n'est pas allée dans le petit bois. La mare est cachée dans les broussailles ; elle entend toujours le cri de détresse. Elle approche, elle fait attention de ne pas glisser, le bord de la mare est piétiné par les biches et les sangliers. Le cri est tout proche ce sont des pleurs et là blotti entre les ronces et les aubépines un petit dragon tout vert tremble de faim et de froid....

Il a faim le bébé dragon. La vieille a toujours dans ses poches des pommes crapies, les meilleures et des biscuits pour la chienne. Elle les lui montre mais il se méfie. Elle ne peut pas le laisser là, demain c'est l'ouverture de la chasse ! Heureusement sa chienne l'a suivie. C'est une bonne bergère, elle sait rassembler et ne fait pas trop de différence entre un mouton et un bébé dragon. Si sa mémère le veut, elle va le lui ramener.  La chienne décrit une grande volte, et le dragon coincé entre la mare et la chienne n'a plus le choix, il doit avancer vers la main qui lui tend les friandises. La vieille en profite pour lui passer son écharpe autour du cou, elle félicite la chienne et tous trois rentrent à la maison en évitant le regard des voisins.

C’est une campagne rude, les gens ne se parlent pas, ne se fréquentent pas et maintenant, ça fait bien l’affaire de la vieille. Tant que le dragon est petit, personne ne le verra et d’ici le printemps il aura grandi et pourra s’envoler.

La chienne l’a pris sous sa protection ; elle croit toujours que c’est un mouton mais les chats ne s’y sont pas trompés. Ils ont craché, soufflé, ont rampé sous les lits, escaladé les armoires. Il va leur falloir plusieurs jours pour s’habituer.

L’automne est doux, il y a du travail au jardin. Et là le dragon fait merveille ; c’est un dragon omnivore il avale tout, les feuilles mortes, les branches coupées, les herbes folles, les épluchures, les croquettes de la chienne et les lapins que rapportent les chats et qu’ils ne mangent pas.
Les semaines passent, le dragon grandit pas trop quand même il passe la porte de la petite maison.  C’est lui maintenant qui fait partir le feu et la vieille est heureuse entre ses chats, sa chienne et son dragon.

C’est une chienne extraordinaire qui comprend tout ce qu’on lui dit et qui explique tout à son mouton vert. Qu’il n’ait pas de poils ne la gêne pas du tout. L’hiver s’installe. Le dragon sort peu et dort beaucoup mais jamais des deux yeux à la fois. Entre deux siestes il observe. Il observe la vieille qui essaye d’attraper les grimoires qui sont en haut des étagères. Et ces grimoires, elle en a besoin. Depuis longtemps elle ne les utilise plus. Depuis qu’une jeune voisine malveillante est allée raconter aux gendarmes que la vieille est une sorcière et qu’elle lui jette des sorts.

Heureusement les gendarmes ne croient pas à ces élucubrations. Une sorcière ! et puis quoi encore. La méchante voisine est rentrée chez elle et puis un jour elle est partie et la vieille n’a plus touché à ses grimoires.

Maintenant elle en a besoin mais la vieille a vieilli et ne peut plus les atteindre. La chienne intelligente a tout compris. Avec les yeux, avec les oreilles elle parle au dragon qui hoche la tête. Il pose sa grosse patte sur les genoux de la vieille puis va se poster près des étagères ; la chienne de la truffe montre son dos. Elle gémit un peu, cette vieille vraiment a du mal à comprendre. Les chats perchés sur l’étagère d’en face ont tout compris eux, ils sourient dans leur moustache.

La vieille se lève et caresse le dos du dragon ; sous sa main elle sent les grosses écailles, qui font des bosses… mais oui, c’est ça sur le dos du dragon elle va pouvoir atteindre les grimoires du haut , ceux dont elle a besoin !

Ah oui, elle en avait bien besoin ! Parce qu’aux beaux jours, le voisinage change. Les maisons des « parisiens » s’ouvrent. Imaginez les soucis qu’auraient causés la présence d’un dragon dans le hameau. Tandis qu’un âne dans le jardin de la vieille, personne ne songe à s’en étonner.

1 commentaire:

manouche a dit…

Quelle jolie histoire, je regarderai les ânes différemment !

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