Mahomet passa une décade complète à Mukrash. Purnath lui fit visiter la bauge de fond en comble. Ils discutèrent ensemble du système d’adduction d’eau (un problème que l’homme connaissait bien, et sur lequel il prodiguait des conseils fort utiles). Ils redessinèrent le plan de certaines cheminées d’aération, afin que l’incident qui les avait réunis ne puisse plus se reproduire. Mais ce qui passionnait Mahomet, c’était l’histoire de ses hôtes – en particulier leur filiation avec les grands sangliers velus de l’âge de pierre. Quand Purnath s’enquit des raisons de son intérêt, l’homme expliqua qu’il avait entendu dire par des commerçants venus du nord que de telles créatures existaient encore, dans les montagnes et les forêts de leurs pays. A ces mots, Horribal ne put s’empêcher de sourire. « Oui, s’esclaffa le vieil historien. C’est une légende classique. Il y a toujours une tribu primitive qui survit quelque part… »
Ces conversations auraient pu se poursuivre pendant des années. Mais un jour, Mahomet avoua à Purnath qu’il souhaitait regagner la surface. Même ici, son dieu continuait à lui parler. « Bientôt, il me demandera de prêcher sa parole. Je ne peux me dérober. Je dois reprendre ma place parmi les hommes. »
Pendant un instant, les vieilles habitudes militaires de Purnath reprirent le dessus. Il hésita, bafouilla quelques mots sur la sécurité de la bauge… Mahomet posa la main sur son flan. « N’aie aucune crainte. Jamais je ne dirai ce que j’ai vu et entendu ici. Et si l’attention de mes frères devenait trop pressante, je trouverai un moyen de détourner leur esprit de vous. Me crois-tu ?
-Oui , » concéda Purnath au bout de quelques instants ; et si incroyable que cela puisse paraître, il le pensait vraiment. Peu après, il raccompagna Mahomet, par un chemin connu de lui seul, jusqu’à la surface. Tandis que l’homme se hissait dans l’anfractuosité d’un rocher, Purnath jeta un coup d’œil au désert éblouissant. Une impression étrange l ‘envahit. Une nostalgie. Il allait perdre un ami. Et au même instant, il contemplait le monde immense, déserté par les siens des milliers d’années auparavant.
Que de grandes choses nous pourrions faire, songea-t-il en regardant la silhouette de Mahomet s’éloigner parmi les dunes. Si seulement nous pouvions vivre ensemble, les uns à côté des autres…
Il demeura ainsi un long moment, l’esprit empli de rêves éphémères. Puis, il rentra chez lui, tira une tablette de boue séchée de sa réserve, et rédigea la Première Loi – dans les termes exacts où elle s’applique encore aujourd’hui. Par la grâce de Dieu, jamais tu ne goûteras la chair de l’homme. (1)
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(1) On a coutume de voir dans cette disposition un acte fondateur, et un fait de civilisation. Si l’historien est en droit de relativiser cette interprétation, force est de constater que la sous-espèce des porcs demeurés en surface et restés dans l’ignorance du Codex – les cochons – ont connu une irrémédiable dégénérescence : perte quasi totale du langage articulé, quadrupédie, asservissement volontaire, etc. Est-il besoin de rappeler que ces lointains cousins sont hommenivores ?
2 commentaires:
formidable ! c'est la fin ?
Extra ! Oui j'ai l'impression Anne... c'est à la fois une fin et un commencement.
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