Loin, très loin dans la montagne, Youssef connaissait un berger. Autrefois, il avait été un savant, puis il avait fui les hommes et leurs folies, d’abord au village où Youssef enfant l’avait connu, puis loin, encore plus loin. Quand il ne soignait pas ses moutons, il écrivait, méditait ; il connaissait aussi les vertus des plantes. Il accueillit les fugitifs, qui restèrent cachés, le temps que la jeune femme se rétablisse. En attendant, Youssef organisait leur départ pour l’étranger.
De cars branlants en cales de bateaux, de fourgons de trains en véhicules cahotants, il avait traîné Myriam absente et silencieuse jusqu’à cette ville glacée et inhospitalière. Quand elle avait vu son ventre s’arrondir, elle avait eu une crise de désespoir et de révolte. Ils étaient alors dans une situation telle qu’il était impossible d’interrompre la grossesse sans risquer la vie de Myriam. Elle avait voulu se tuer, Youssef avait pu l’en empêcher ; alors, muette, elle l’avait suivi. Elle marchait derrière lui, silencieuse, rien ne la concernait plus. Dormait-elle quand elle fermait les yeux ?
Ils marchaient le long des quais sans rencontrer âme qui vive. Des voitures les croisaient faisant gicler l’eau de la chaussée humide, les éclaboussant quand ils étaient trop près. Myriam, sans une plainte portait de temps à autre les mains à son ventre. Youssef s’affolait ; elle n’allait tout de même pas accoucher là, sur le trottoir…. !
Il y eut un pont, et de l’autre côté du pont, au pied de la silhouette noire de la grande église aux flèches pointues, des lumières… Youssef reprit courage, il sourit à Myriam en l’entraînant dans cette direction :
-« Allez, encore un effort… Il y a du monde là-bas, on va nous aider… »-
Péniblement, sous les bourrasques, ils traversèrent le pont. Devant la cathédrale, une vaste tente était éclairée. On avait planté là un brillant décor d’ampoules multicolores et de sapins givrés. Partout des étoiles artificielles remplaçaient celles que le ciel refusait de montrer. Une musique douce se répandait partout mais aucun être humain ne se montrait. Youssef fit le tour de la tente tandis que Myriam épuisée se laissait choir au pied d’un réverbère .
-« Elle ne peut pas accoucher comme ça, dans la rue, rageait Youssef. Il faut que je rentre là-dedans ! »-
Tout était clos mais il trouva entre deux panneaux de toile, un interstice qu’il put agrandir. Retournant chercher sa compagne qui pouvait à peine avancer, il la fit entrer.
Enfin il faisait chaud ! ils marchaient sur de la paille bien sèche et une odeur d’animaux sains leur rappela le village. Dans la pénombre, ils distinguèrent des moutons, un âne, un boeuf. Alors là, sur la paille, au milieu des animaux, Myriam à bout de forces s’étendit et sans l’aide de Youssef qui cherchait partout de quoi venir à son secours, en un rien de temps, sans un cri, sans une plainte, elle mit au monde son bébé. Dont elle détourna la tête….
Youssef était revenu, portant un seau d’eau froide. Il remit un peu d’ordre et de propreté, donna à Myriam du linge sec. Elle se changea mais ne toucha pas au bébé qui hurlait de tout ses poumons ; Youssef l’emmaillota dans ses propres sous-vêtements. Et puis, il fallait le nourrir… Heureusement le bœuf était une vache ; encore fallait-il la traire et dans quel récipient ?
-« Myriam…Je t’en prie… ce bébé va mourir ! Je t’en prie, donne-lui le sein ! »
Myriam avait fermé les yeux…
L’âne et la vache, intrigués, penchaient leurs grosses têtes sur le bébé ; leur souffle le réchauffait, mais il avait faim. Il hurlait, couvrant les voix angéliques qui dans les hauts parleurs chantaient : « Il est né le Divin Enfant… »
Une cloche sonna un coup, puis deux, puis trois….puis douze…
Myriam ouvrit les yeux, elle pleurait… Elle tourna la tête vers le bébé, tout petit, tout rouge, qui s’agitait, qui hurlait devant Youssef impuissant… Les yeux de Myriam et des animaux se croisèrent… Qu’y lut-elle ?
Elle se redressa, se cala dans la paille, ouvrit ses vêtements, prit le bébé, et lui donna le sein…
6 commentaires:
Et après ? elle le fiche à la DDASS ? Moi je comprends qu'elle n'en veuille pas, hein ! c'est trop d'ambivalence à gérer, le fruit d'un viol !
Ben Anne! Ca va pas???
Si elle lui donne le sein, c'est qu'elle l'adopte!
PP
Ah tiens, moi j'voyais ça comme un "en attendant".....j'imaginerais même pas de le garder, moi dans la même situation....! déjà que j'ai pas la fibre maternelle, alors dans un cas pareil !
t'as drôlement bon coeur, Pomme...l'enfant d'un viol, l'enfant forcé...non, je me connais, j'aurais jamais pu l'aimer, moi. mais je l'aurais pas heu...zigouillé, hein, juste refilé à des gens qu'en cherchent un.....
sacré conte de Noêl...!!
M'enfin... Anne...
J'ai pas plus que toi la fibre maternelle, on en a déjà parlé, mais je n'abandonnerais pas plus un bébé, "d'où qu'il vienne", qu'un chiot, un chaton, ou un renardeau...
Grâce au ciel, j'ai reçu plus de chatons que de bébés mais j'ai bien réfléchi avant d'écrire la fin et si tu prends la peine d'y penser cinq minutes tu feras la même conclusion que moi.
Je pourrais tuer le violeur , le pendre pas les couilles jusqu'à dessèchement du bonhomme, mais pas le bébé qui n'y est pour rien!
Exact ! c'est pour ça que je trouvais logique son geste, pas laisser mourir, mais de là à le garder ! hihi....chuis immonde !
Terrible histoire... On ne sait en effet si la fin doit réjouir ou terrifier. Parfois "tout est bien qui finit bien", ben, ça colle pas !
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