Il gisait, évanoui, au fond d’une poche de boue filtrante lorsqu’un ouvrier le découvrit. Le jeune porc – dont l’histoire n’a pas retenu le nom – appela aussitôt ses collègues. Un bref conciliabule s’ensuivit, au terme duquel on décida de mettre à mort l’intrus puis d’enfouir son cadavre dans l’une des aires de remblai qui jouxtaient le chantier. Une telle attitude peut surprendre aujourd’hui (les sources susceptibles de nous éclairer sur l’état d’esprit de la population civile font cruellement défaut). La hâte manifestée par les ouvriers semble toutefois indiquer que Purnath faisait régner sur la bauge une véritable terreur politique : pour des porcs de basse extraction, découvrir un corps humain – a fortiori un humain vivant – c’était sans aucun doute courir le risque d’être accusé de collusion avec l’ennemi. Après tout, il n’existait à l’époque aucun moyen d’être sûr que les guerres interespèces avaient réellement pris fin (aujourd’hui, nous savons que c’est le cas mais je rappelle à toutes fins utiles qu’en l’absence de traité, il s’agit d’un état de fait et non de droit).
Le sort de l’homme dans la poche de boue semblait donc joué. Mais par une étrange coïncidence – dans laquelle quelques dévots voient la marque d’une intervention divine précoce -, Purnath décida ce matin-là de procéder à une inspection-surprise du chantier. Lorsqu’il descendit de son traîneau, les ouvriers étaient en train d’emporter l’intrus vers les remblais. Purnath fit aussitôt arrêter tout le monde (ce qui jette effectivement une ombre sérieuse sur la libéralité de sa politique). Mais, comme d’habitude, il laissa à ses lieutenants les plus proches le soin de s’occuper de la piétaille. Ce qui l’intéressait – lui -, c’était l’homme venu de la surface. Etait-ce un ambassadeur ? Un espion ? La race humaine avait-elle fini par localiser le site de Mukrash, pourtant enfoui à plusieurs dizaines de mètres sous terre ? Le percement des cheminées d’aération devait-il être reconsidéré ?
Pour répondre à ces question, Purnath appela à ses côtés l’un des meilleurs historiens de la bauge, un vieux verrat nommé Horribal qui, entre autres talents, pratiquait la langue des hommes de la région. Des années plus tôt, Horribal était monté à la surface pour se mêler aux cochons domestiques d’une tribu humaine – à seule fin d’établir un point mineur de sa thèse. Pendant plusieurs décades, il avait partagé la vie de ces bêtes dégénérées, s’efforçant comme elles de marcher à quatre pattes, poussant des grognements sans signification et absorbant des mets abominables. Mais à chaque instant, il surveillait les hommes qui allaient et venaient au-delà de l’enclos… Il n’était rentré à Mukrash que lorsque le boucher de la tribu, intrigué par sa taille et son embonpoint remarquables, avait commencé à affûter ses couteaux.
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