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Et il vit… Que vit-il de si effrayant pour s’en revenir tout courant et tremblant au village, où il eut besoin de plusieurs rasades d’eau de vie avant de pouvoir raconter ? Il avait vu, c’était pénible à dire, il avait vu…Prunelle danser avec le Diable ! Le lendemain, le village en émoi ne parlait de rien d’autre : la fille des sorcières, la petite qui tournait autour de leur musicien, voilà qu’elle était sorcière aussi ! il fallait la prendre et s’en débarrasser. Lucas fut bientôt au courant ; le dimanche après la messe, devant tout le village il informa son père qu’il aimait Prunelle et qu’il voulait l’épouser, et d’ailleurs l’autre soir dans les bois c’est avec lui qu’elle dansait ; ce n’était pas les cornes du diable que le chasseur avait vu, mais la peau de sa bique ramenée sur sa tête. L’explication était si simple que personne n’y crût : non seulement Prunelle dansait avec le diable, mais elle avait ensorcelé Lucas !
Pour venir à bout des sorcières, on organisa une battue et puisque leur repaire était impénétrable, on l’encercla et on y mit le feu. Lucas courut dans la clairière demander de l’aide à la fée. Elle ne pouvait pas arrêter les paysans mais elle pouvait aider les trois femmes à fuir. Elles se transporta avec Lucas au cœur du taillis ; après avoir rendu tout le monde invisible, elle dit : « Courez aussi vite que vous le pouvez jusqu’à la clairière ; ne vous attardez surtout pas car le charme qui vous protège ne dure que peu de temps ; près des deux pierres seulement vous serez en sûreté. Ensuite, quand la plesse aura fini de brûler, on vous croira mortes et je vous trouverai un refuge. »
Le maquis flambait, ils étaient à mi-chemin de la clairière quand Prunelle poussa un cri : un renardeau de ses amis avait une patte avant et la mâchoire inférieure prises dans un piège. Sans aide il allait mourir la mâchoire brisée. Oubliant le danger, Lucas s’arrêta pour délivrer le petit, employant à cette besogne le temps que la fée lui avait donné pour leur sauvegarde.
Les villageois rentrant chez eux les virent et leur donnèrent la chasse ; les fugitifs eurent beau courir, à l’orée de la clairière en dépit des hurlements de Lucas, les hommes ivres de gnôle autant que de violence, battirent à mort les trois femmes. Lucas épargné porta les victimes jusqu’aux pierres. Il enterra la mère et sa fille sous une pierre et Prunelle sous le pommier. Jamais il ne retourna au village ; sa musique devint triste et ne faisait plus danser personne. Il la jouait sous le pommier car il vivait là avec les animaux sauvages, désormais ses seuls compagnons. Il se nourrissait peu, de baies sauvages et de champignons ; il n’aimait plus la vie. Mais il ne pouvait ni vieillir ni mourir et pour rejoindre Prunelle il aurait fallu qu’on le tue. Depuis la nuit du drame personne ne fréquentait plus ce bois dont on disait qu’il était maudit. Au fil des années Lucas devint de plus en plus triste, de plus en plus maigre et ses chansons fendaient le cœur. La fée n’y tenant plus, par une nuit de tempête pria le vent d’arracher au pommier une branche qui en tombant sur le désespéré le tua net pendant son sommeil.
La fée le coucha près de Prunelle. Nul ne vint plus jamais danser près des pierres.
Le temps a passé, mais l’amour qui avait uni les deux jouvenceaux était si grand que sa force a traversé les siècles et passé dans les pierres.
2 commentaires:
Oh, elle est belle cette histoire mais elle est drôlement triste, salauds de crétins cruels et obscurantistes ! Méritent que peste et famine, tiens ! na !
Quand les fées qui aident les sorcières font de bien belles histoires, merci Pomme !
Bises
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