Il y a si longtemps… elle ne sait plus très bien… elle va s’endormir, elle s’endort. Mais son coeur bat si fort, si fort qu’il la réveille. Demain, les chasseurs tueront les loups….
L’homme veut tout corriger, tout dominer ; plus de prédateurs dans les landes pas de mauvaises herbes dans les jardins. Mais tout est bon dans la nature, tous les animaux toutes les plantes ont leur utilité. Elle le sait depuis toujours, les plantes soignent. Elle en a fait un livre. Si elle avait eu ce livre, elle aurait pu garder son second fils….
Elle voudrait se rendormir ; elle compte ses enfants :huit. Oui, Renaud aussi…. Et ses petits-enfants : 20, tant morts que vivants ; autant que de romans… Et si elle vit encore quelques années, elle pourra commencer à compter ses arrières petits-enfants.
Elle aime tant ces enfants qui sont si durs à faire. La première fois surtout quand on a tant à craindre et personne à qui faire confiance. Heureusement, elle a toujours eu du bon sens et l’esprit pratique. Avec ignorance et réalisme, elle a préparé son accouchement dans les moindres détails ; placé son lit au milieu de la chambre, qu’on puisse l’aborder de tous les côtés ; demandé un sommier plus souple et un matelas plus dur. Habituée depuis l’enfance à un coucher spartiate, elle a horreur de ces alcôves emplumées où on veut la faire dormir et que semble affectionner Eugène. Il n’est guère enchanté de ces préparatifs Eugène… il le serait encore moins s’il savait que Sophie compte garder ce mode de couchage pour le reste de ses jours… Mais Eugène l’aime-t-il encore ?
Elle sait qu’elle va mourir , elle s’en fiche. Elle n’a pas fait assez de mal pour aller en Enfer , cet Enfer dont la religion de sa mère et de Gaston menacent les petites filles qui ne sont pas modèles. Le purgatoire? Elle y retrouvera des connaissances; ce sera juste un moment désagréable à passer… un de plus…
Elle s’endort. Du fond de son sommeil, elle entend craquer le bois, s’effondrer les poutres. Ses yeux s’ouvrent sur une lueur rouge et dansante…l’incendie…. Dans sa poitrine, un petit animal affolé se débat, s’agite et l’étouffe ; elle veut crier au feu mais aucun son ne sort de son larynx bloqué…. Les enfants ! il faut réveiller les enfants…. Mais ses enfants sont grands maintenant. Elle s’est dressée avec effort dans un lit inconnu, dans une chambre inconnue. Il n’y a pas le feu ; c’est juste dans la cheminée une bûche qui en se cassant a ravivé les flammes. Elle est maintenant tout à fait éveillée : cette chambre n’est pas la sienne. Elle n’a plus de chambre, plus de maison. Son joli domaine a été vendu… elle ne voulait pas. Quand dans sa vie a-t-elle pu faire ce qu’elle voulait?
Plus jeune, elle aurait voulu danser , faire du sport.. Elle a rêvé devant Marie Taglioni dansant la Sylphide. Mais une aristocrate n’a pas le droit à ces excentricités. Depuis, elle a su que l’impératrice d’Autriche avait une salle de sport.
Ces gens qu’elle n’a pu fréquenter, les autres écrivains, George Sand peut-être, cette femme qu’elle n’a pas pu connaître avait su vivre libre. Même si elle l’avait rencontrée, elle aurait sans doute du renoncer à cette amitié, comme elle a du renoncer à celle d’Eugène Sue. Qui pourtant ne racontait que la vérité.
Qu’il était beau cet autre Eugène…Elle aurait bien aimé….mais trop de risques… Le plaisir vaut-il ses conséquences ?
Elle sourit, la vieille dame en pensant à la tête qu’aurait fait sa belle famille; à celle de la comtesse Octave qui entre autres ressemblances avec le diable avait celle en vieillissant, de se faire ermite.
.Sa belle-famille! Son père a servi la Russie ; les Ségur n’ont jamais servi que leurs intérêts. Ils ont traversé la Révolution et tous les régimes qui l’ont suivie sans encombre et tous ont fait carrière.
Que cette nuit est longue… entrecoupée de rêves et de réveils ; elle a ouvert les yeux, elle ne reconnaît pas sa chambre…. Où est-elle ?
Ah, oui… chez sa fille ! Sa chambre à elle, elle ne l’a plus. Elle n’a plus de château… parti, vendu… elle était trop pauvre, trop vieille pour pouvoir le garder..
Comme elle l’a aimé son joli domaine, comme elle a aimé les vallons de cette campagne normande ; elle y avait un jardin, un âne, un verger avec des poiriers …
Elle se souvient de sa joie quand elle a pu quitter la vilaine et sombre rue parisienne pour vivre à la campagne avec ses enfants.
Comme elle aimait recevoir ; elle pouvait enfin renouer avec la tradition d’hospitalité de son père elle qui ne pouvait plus supporter les thés chez les douairières guindées du faubourg saint Germain où l’on servait parcimonieusement des petits gâteaux : « Secs comme des pendus ! » se souvient-elle.
Elle a eu comme son aristocratique et dédaigneuse belle-famille une maison de campagne.
L’achat de ce domaine fut sans doute l’événement le plus important de sa vie ; celui qui a transformé la comtesse mal mariée en écrivain. C’est la description de cette vie campagnarde qui sera le point de départ de son œuvre ; elle saura décrire la rivière et son vieux moulin ; le village voisin et sa grosse forge rachetée par un industriel.
Chaque dimanche de premier Mai , elle a dansé à la fête des forgerons ; combien de souliers a-t-elle usé.
Elle se souvient des travaux si longs avant de pouvoir emménager.
Impossible de dormir Fleurville, les Nouettes, Voronovo
Fédor lui donne l’argent, ensuite il faut écrire, Eugène n’a pas d’argent pour les Nouettes ; il n’y vient jamais ; pas d’hommes à Fleurville sauf pendant les vacances
4 commentaires:
Merci Pomme pour ce texte passionnant. Il y a des années j'avais assisté à un congrès sur les différences éducatives entre filles et garçons. Et je me souviens avoir entendu une intervention que ton texte m'a remis en mémoire. J'aurais maintenant des arguments, quand on critiquera mes choix !
Je vais mettre la conf intégrale sur almanachronique.
Il y aura peut-être des redites...
Avec plaisir ! Merci.
Odile,attend un peu; il faut que je revois l'écriture; il n'était pas prévu écrit mais parlé...
PP
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