Les contes Provençaux sont aussi connus que l'accent ensoleillé qui nous enchante; Les contes Lorrains , beaucoup moins... Pour ce qui est de 'accent, allez un peu plus bas et faites-vous une idée....
... Ce soir-là, les habitués du couaraille de la Minette s'étaient donné rendez-vous chez le père Zabé, que, depuis quelque temps, le pelage des saules forçait à vivre en quelque sorte, comme un limaçon dans sa coquille. La visite soudaine du brandevinier connu de toute la région, le Cyrille du grand Pierrat, était venue à point pour lui attirer des compagnes et des compagnons de veillée. Nul, à vrai dire, ne pouvait prétendre surpasser en érudition locale le distillateur ambulant, et il n'appartenait pas davantage à aucun de conter avec autant de sérieux ou de cocasserie les vieilles histoires d'autrefois.
... Ce soir-là, les habitués du couaraille de la Minette s'étaient donné rendez-vous chez le père Zabé, que, depuis quelque temps, le pelage des saules forçait à vivre en quelque sorte, comme un limaçon dans sa coquille. La visite soudaine du brandevinier connu de toute la région, le Cyrille du grand Pierrat, était venue à point pour lui attirer des compagnes et des compagnons de veillée. Nul, à vrai dire, ne pouvait prétendre surpasser en érudition locale le distillateur ambulant, et il n'appartenait pas davantage à aucun de conter avec autant de sérieux ou de cocasserie les vieilles histoires d'autrefois.
Aussi les couarailleurs avaient-ils afflué nombreux dans la grande buanderie du vieux Zabé, une pièce qui semblait faite pour l'audition des récits légendaires, avec sa décoration vieillotte et sa série de tableaux salis, évoquant la vie mystérieusement troublée de la douce Geneviève de Brabant.
Le cercle de veillée fut complet, lorsqu'arriva Jeanjean Mongarçon, auquel une appellation familière de sa mère avait valu l'épithète accolée à son prénom. Une parole mielleuse, agrémentée d'un sourire esquissé à dessein par une finaude, l"Aloïse de l'Anaïs Poirot, suffit pour mettre en route le Cyrille. Il se serait bien gardé assurément de commencer, de son plein gré, le récit qu'il savait attendu par tous avec impatience; mais il était aux anges quand l'une ou l'autre exprimait le désir de l'entendre: il ne se faisait pas alors tirer l'oreille.
Il y a bien longtemps, raconta-t-il, vivait au Chaufour, dans une très humble masure, une vieille femme dont le visage parcheminé, zébré de rides fendillées, était, à très peu près, celui d'une sorcière; ses petits yeux vairons dont le regard tenace vous poursuivait, témoignaient d'avoir vu bien des choses. Certes, ce n'était pas la commère la moins bavarde de la région, et sa loquacité, mise au service de la médisance et du mensonge, lui avait acquis le surnom peu honorable de Jacasse. On chuchotait son nom à dix lieues à la ronde; on fuyait sa rencontre, et on l'envoyait mentalement aux enfers, quand, effrontément hardie, elle venait s'implanter au sein des familles, comme au sein des veillées. Elle était quasiment regardée comme jeteuse de sorts; Lucifer en personne n'eût pas été plus mal accueilli. Tous deux devaient d'ailleurs avoir des accointances, ainsi qu'on va le voir.
Comme aujourd'hui dans une veillée, accentua le Cyrille, la conversation roulait bon train sur les récits du passé, mais le conteur n'avait pas précisément l'heur de plaire à la Jacasse. La méchante femme entreprit naturellement de l'exaspérer, en traitant de sornettes et de niaiseries des choses qui ne sont point à discuter.
ah! ouitch! disait-elle, avec sa manière de narguer les gens, tu perds la tête, Nannin! avec toutes tes balivernes! L'as-tu déjà vu le diable!... Comme si l'enfer n'était pas de ce monde! Où sont-ils donc tes sorciers? Où sont-elles tes fées? Que le démon m'emporte ma foi! si démon il y a !
Les vieilles femmes, choquées d'ouïr un tel langage et rendues craintives par la peur d'une mystérieuse revanche, avaient mis un doigt sur la bouche et se regardaient inquiètes. A ce moment, un bruit sec, analogue à celui de deux doigts frappant vivement à la porte, éveilla soudain l'attention de tous. Nul ne songeait à rompre le silence qui s'était fait instantanément, lorsque, par bravade, la sceptique mégère articula, d'une voix forte, le mot:" Entrez!" . Un étrage chevalier pénétra dans la salle, achevant de consterner l'assistance... Tous, glacés d'épouvante, retenaient leur souffle avec peine. La Jacasse ne riait plus maintenant... Coiffé d'un chapeau noir à larges bords, orné d'une plume verte de coq de bruyère, l'étranger était drapé dans un long manteau de pourpre, laissant dépasser l'extrémité acérée d'une rapière étincelante. Ses yeux n'étaient autre chose que deux charbons ardents qui dardaient partout, avec insistance, leurs regards fulgurants. Il dévisagea lentement les couarailleurs attérés, puis, quand il eut bien pénétré tous les yeux, il demanda, d'une voix dont la sonorité bruyante faisait mal à entendre, quelle était la personne qui, avec une audacieuse ironie, avait répondu:"Entrez!" .Pour la première fois de sa vie, la méchante femme eut peur. Elle se tut. Le singulier visiteur fit alors plusieurs fois le tour de la chambre, s'arrêtant à chaque reprise devant la Jacasse, qui pâlissait à vue d'oeil.
... La petite lampe à huile, dont la maigre lumière filante éclairait modestement le poële, s'éteignit soudainement. Un ricanement atroce et formidable fit trembler toute la maison, puis un cri terrible le suivit, après quoi l'on n'entendit plus que des plaintes sourdes, et finalement un râle d'agonisant...
L'effroi général dura jusqu'aux premiers chants du coq, dont la voix réconfortante, annonçant allègrement l'aube, rendit à tous comme un regain de courage. Personne jusqu'alors n'avait osé parler à son voisin, tant il est vrai que rien n'est plus effrayant qu'un grand malheur dans la nuit!... L'âtre, depuis longtemps, s'était éteint; tous étaient transis de froid.
A la lumière tremblante d'une lanterne, enfin allumée par le plus téméraire parmi les vieux, ils aperçurent avec horreur le corps de la Jacasse, baignant dans une mare de sang coagulé; quelques caillots étaient figés sur les lèvres de la victime. Ils hochèrent la tête comme pour approuver la punition échue à la malheureuse. Mais ce qui les surprit davantage encore, ce fut d'apprendre, au petit jour, par les bûcherons matineux, qu'une langue humaine était clouée au grand sapin, qui se dressait alors à l'endroit où s'élève aujourd'hui la maison forestière du Rouge-Vêtu. C'était bien la langue de la Jacasse que l'étrange chevalier avait horriblement arrachée. Trois corbeaux, d'une taille gigantesque, se la disputaient à coups de bec, en battant lugubrement des ailes.
... Longtemps, cette mystérieuse aventure, fut le sujet de toutes les conversations, mais on oublia vite la méchante femme qui en avait été pour ainsi dire l'héroïne. Jamais perte ne fut moins regrettée.
Il va sans dire que de tous les assistants réunis, ce soir-là, chez le père Zabé, personne n'osa contredire le Cyrille du grand Pierrat et qu'il ne vint à l'esprit d'aucun de douter un seul instant de l'existence des êtres mystérieux dont l'imagination populaire s'est plus à peupler le monde d'autrefois.
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La bise qui faisait chanter les vitres et claquer les volets, pleurait langoureusement dans la grande cheminée et chassait au dehors d'énormes flocons de neige, poursuivant, sous le cile étoilé, leur vol affolé de papillons blancs.
Paul HUMBERT (grand-père maternel de la chroniqueuse) - Souvenirs de Neufmaisons - Fleurs de veillées.
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