Zouzou le moucheron
" On raconte qu'un moucheron installa
un jour sa demeure dans l'oreille d'un éléphant. Ce petit être-là (il
s'appelait Zouzou) était parmi son peuple estimé comme un sage. Il avait
longtemps étudié la philosophie moucheronne, affiné ses sens à l'abri des
futilités de son temps, nourri patiemment son esprit, en bref quand il daignait
parler on ouvrait grands les yeux, la bouche, on prenait des notes hâtives et
on les apprenait par coeur. C'est assez dire quelle était l'éminence de son savoir.
Évidemment
Zouzou le sage ne s'était pas établi là, dans l'oreille pachydermique, sans les
rituels exigés par le respect de toute vie. L'éléphant était, certes, énorme,
mais il était comme nous tous un enfant de la Terre-Mère, donc notre frère bien-aimé.
C'était l'opinion de Zouzou. Voilà pourquoi il s'avança, dès qu'il eut posé son
bagage, sur la cime d'un poil follet, et s'adressant à l'animal occupé à
brouter un arbre :
-
Mon cher éléphant, lui dit-il, merci à toi de m'accueillir dans ta superbe oreille
droite. Je suis Zouzou le moucheron. On m'honore du nom de sage. Si ma présence
te déplaît, je te prie de m'en informer.
Il
se tut, se tint recueilli un long moment, les yeux fermés.
-
Ton silence, dit-il enfin, me semble empreint de bienveillance.
Il s'inclina profondément et s'en fut
ouvrir ses volets. Il ignorait évidemment que son discours s'était perdu dans
l'austère forêt poilue qui environnait sa demeure. Il va de soi que l'éléphant
n'en avait rien perçu du tout. Il ne soupçonna même pas la présence du
locataire qui avait chez lui son logis. Si bien que Zouzou vécut là dans la
tranquillité des simples, assuré de la protection de son formidable grand frère
autant que de l'amour de Dieu.
Après
dix années sans souci, il dut quitter son ermitage. Obligations
professionnelles. Une fameuse faculté de sagesse expérimentale, aux Amériques
moucheronnes, l'invitait à parler de lui et de son parcours de haut vol. Il
referma donc ses volets, fit ses bagages, et sur le seuil :
-
Éléphant, dit-il, si je pars, c'est à regret, sache-le bien. Ton hospitalité
fut en tout point parfaite, mais je dois m'exiler loin de toi, c'est ainsi.
Depuis ma lointaine arrivée je sais qu'une amitié secrète s'est entre nous
épanouie. M'oublieras-tu ? Je ne crois pas. Toi, tu resteras dans mon cœur.
Adieu mon frère, mon ami.
Il attendit une réponse. Elle vint. Elle
sonna haut et fort. Zouzou en fut ému aux larmes. L'éléphant barrit puissamment
pour appeler une femelle à venir au bain avec lui. Zouzou venu, Zouzou parti,
quoi de neuf chez lui ? Rien, la vie. "
(Henri
Gougaud, Le livre des chemins)
1 commentaire:
Ah! moucherons que nous sommes !
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