C’est tout de même plus facile avec Jeanne d’Arc, me lance-t-on à la cantonade
tandis que je geins en tentant de faire péniblement germer quelques idées sur
le sujet.
Mais Jeanne d’Arc, même si l’on raconte
aux enfants sa vie et ses dialogues avec les saints et les anges, n’a pas fait
œuvre littéraire…
Trêve de plaisanteries…. Quel rapport
pouvait avoir avec Dieu une femme dont la conversion à la religion catholique
fut aussi violente ?
Rappelons les faits : Sophie
Rostopchine, fraîche et rose adolescente, se laisse surprendre par un orage.
Elle s’abrite sous un kiosque. Un jeune officier danois, bien fait de sa
personne, a la même idée. Les jeunes gens se regardent, plaisantent, rient,
manifestement se plaisent ; ils ne flirtent même pas, nous sommes au XIX°
siècle dans un monde prude et policé. Mais ils sont vus ! Par une vieille
grincheuse qui va rapporter la chose à Catherine Rostopchine, la rigoureuse
mère de la jeune évaporée.
Pain bénit pour Catherine dont c’est la
nourriture favorite ! Endoctrinée par les Jésuites réfugiés en Russie
pendant la Révolution , férue de culture française et amie de Joseph de Maistre,
l’épouse de Fédor Rostopchine, ministre et conseiller du Tsar, méprise la
religion orthodoxe, comme la culture Russe dans son ensemble. Elle poursuit
inlassablement un but : faire de ses enfants de bons catholiques.
L’orthodoxie est religion d’état ;
le général-comte Rostopchine entre moyennement, voire pas du tout dans les vues
de son épouse et les enfants obéissent à leur père. Mais Sophie, qui a pour sa
mère une admiration inconditionnelle et qui ne sait par quels moyens obtenir
son approbation et son amour, est une proie rêvée. Or, que voici des circonstances
favorables !
Sophie est tancée, sermonnée, menacée de
l’opprobre en ce monde et de la damnation éternelle dans l’autre. On lui
démontre l’énormité de son inconduite, de son pêché. La pauvre innocente de
quinze ans ne comprend rien à ce qu’on lui reproche : elle a ri, parlé
avec un jeune homme et n’a cru rien faire de répréhensible. Elle est punie, enfermée dans sa chambre.
Catherine lui envoie son confesseur qui montre à la pauvre Sophie le chemin du
vice sur lequel elle est en train de s’engager. L’adolescente est encore
totalement ignorante des choses de l’amour et plus encore du sexe. Elle
entrevoit des abîmes de perversion dont elle n’avait jusqu’alors aucune idée et
qui l’affolent d’autant plus qu’elle s’en croit totalement incapable. Elle voit l’Enfer s’ouvrir devant elle… elle
sera damnée à cause d’une averse et d’un jeune homme aimable et courtois.
Bouleversé, elle pleure et refuse de s’alimenter ; elle veut mourir ou
obtenir son pardon.
Mais Catherine le lui fait savoir, seule
sa conversion lui vaudra le salut dont dépend ce pardon. Donc pour sauver son
âme, il lui faut trahir la religion de son père. Quel choix dramatique pour une
adolescente ; une adolescente en mal de l’amour des siens, de l’amour de
sa mère surtout.
Fédor est absent… Catherine sait bien ce
qu’elle fait. Sophie enfermée, sans soutien autre que les sermons du
confesseur, se laisse mourir. Sa sœur aînée, Natacha, intercède auprès de la
mère inflexible : pas de pardon sans conversion. Alors Sophie finit par
préférer affronter plus tard la colère de son père à une mort romantique
certes, mais un peu définitive pour une personne dotée de sa vitalité. Sophie
sera catholique… On sait à quel point cette conversion pèsera sur son destin,
en la coupant de ses racines Russes et en l’obligeant à un mariage français.
Sophie Rostopchine ou Sophie de Ségur,
orthodoxe ou catholique, elle est née dans un siècle et dans un milieu où les
devoirs religieux ne pouvaient être remis en question. On allait à la messe, on
éduquait ses enfants de façon chrétienne et c’est ce qu’elle fait. Toute l’œuvre de la Comtesse de Ségur
témoigne du bien fondé de l’amour de Dieu et de la crainte du pêché. Elle n’a pas hésité à récrire la Bible et les
Evangiles pour les mettre à la portée des enfants et de manière fort bien
pensée.
Mais quelle était sa foi ?
Convertie pour plaire à sa mère ; pieuse jusqu’à se faire religieuse pour
l’amour de Gaston son fils bien-aimé, lui-même pieux au point d’affronter le
scandale de son renoncement à ses droits et devoirs de fils aîné de la famille.
Comment Sophie de Ségur , jeune femme joyeuse, sensuelle, à l’intelligence formée par le Siècle des
Lumières, supportait-elle les contraintes imposées par la morale religieuse de
son temps. Mal, si l’on se réfère aux étranges maladies récurrentes dont elle
souffrit longtemps. Maladies dont on
connaît mieux les symptômes que les origines vraisemblablement psychosomatiques.
Des troubles dont elle n’est sortie que par l’écriture et le succès de son
œuvre. Œuvre dans laquelle elle exhorte à la piété ; dans laquelle il
n’est souvent de rédemption que dans l’amour de Dieu…. A quelques exceptions
près.
Cadichon tout d’abord : un âne qui
semble inspiré de celui d’Apulée, qui lui aussi racontait ses mémoires ?
moins innocentes que celle du « bourri » percheron. Cadichon dont elle proteste auprès de son éditeur
qu’elle n’a pas voulu faire « un âne chrétien » !
Charles Mc Lance, le « Bon Petit
Diable » dont les exploits ne sont pas sans rappeler ceux de la jeune
Sophie et ses malheurs. Charles ne s’amende que pour l’amour de Juliette
aveugle comme Gaston.
Et puis et surtout, Gaspard !
Gaspard l’incroyant, le matérialiste, l’arriviste dont le manque de cœur et de
foi n’empêchent pas la réussite sociale. Gaspard qui ne se convertira que pour
complaire à Minna dont il est amoureux.
Il y a là trois échappées qui donnent à
penser , non sur la sincérité de la
pratique religieuse de la Comtesse de Ségur, elle avait en elle-même assez de
cœur, de générosité pour pratiquer les vertus chrétiennes même si elle les
avait ignorées. Mais on peut se demander ce qu’elle aurait répondu si, placée
dans un autre temps et un autre contexte, on lui avait posé la question :
Et Dieu dans tout ça ?
2 commentaires:
Pour moi Dieu est partout sauf dans les dogmes quels qu'ils soient !!
Bien d'accord avec toi Manouche.
Ca me rappelle le catéchisme; une des questions était : "Où est Dieu?"
et la réponse: "Dieu est au ciel, sur la terre, partout."
Mais nous n'avions pas l'âge de lire St Augustin...
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