Celle de ce trio que formaient d’autres
comédiens: un frère, une sœur et leur mère qui paraissait être le chef de la
troupe en tout cas leur mentor financier ; sans arrêt elle comptait et
recomptait ses sous et en avait probablement plus qu’elle ne le laissait
paraître. Elle évaluait de l’œil et parfois de la voix, elle ne pouvait s’en
empêcher, tout ce qui passait à sa portée. Elle tyrannisait sa progéniture,
pesant de tout son poids qui n’était pas léger, sur leurs faits et gestes et
même sur leurs pensées. Le garçon s’évadait dans l’écriture et la fille,
cousant, repassant, coiffant ne faisait jamais assez ni assez bien. Turlupinée
sans cesse par la vieille elle tentait à longueur de journées de se surpasser tout en se lamentant sur une nullité qu’elle
tournait en dérision avec un sens de l’humour certain. La mère était veuve du chef de cette troupe,
enterré à l’écart d’un cimetière de province, mort d’ivrognerie et de froid un
soir deSaint Sylvestre. Après l’avoir
malmené de son vivant, elle en faisait un génie défunt tout en se gardant bien
de retourner fleurir sa tombe.
Le jeune Valentin vouait une
admiration éperdue à Rinaldo ; l’italien représentait tout ce qu’il aurait
voulu être et qu’il aurait approché s’il s’était un peu soigné, s’il s’était
redressé au lieu de marcher la tête dans les épaules, s’il avait de temps à
autre lavé ou seulement peigné une tignasse dont on pouvait imaginer que des
bestioles en faisaient leur domaine. Il ne cessait de gratter du papier que
pour suivre son idole partout où il allait. Rinaldo s’en était tout d’abord
irrité ; ses amours en étaient encore au stade où le secret renforce la
passion et ce secret, il n’avait aucune envie de le partager fût-ce avec ce
gentil garçon dont il était évident qu’il pouvait tout lui demander.
Heureusement, Valentin craignait les chevaux ; il était facile à semer…
Mais Valentin comme tous les
poètes était distrait ; toujours encombré de plumes, de cahiers et de
feuillets épars, il en laissait s’envoler au fil de ses déambulations. Un
cahier se glissa sous le pied de Rinaldo qui, pressé, d’aller rejoindre ses
amours le glissa dans un poche où il l’oublia. Mais les histoires ont un destin
qu’elles se doivent d’accomplir et celle-ci ne manqua pas de gonfler
disgracieusement l’habit du beau musicien. Avant de la rendre à son auteur,
Rinaldo y jeta un coup d’œil ; que pouvait bien griffonner à longueur de
jours le jeune ébouriffé ?
C’était une histoire d’amour
échevelée, chevaleresque et moyen-âgeuse ; un conte peuplé de dragons, de
princesses captives, de héros sans
faille et sans peur, de magiciennes redoutables, de rois, d’enchanteurs…bref,
une de ces histoires à rebondissements que n’aurait pas reniée Madeleine de
Scudéry et qui, au fait, ferait un parfait livret pour cet opéra dont il ne
connaissait encore que la musique.
Le soir, après dîner, Valentin s’était recroquevillé sur le tabouret,
proche de la cheminée et que personne ne lui contestait ; il compulsait
fiévreusement des feuillets trop manipulés tout en grattant sa tignasse. Il
semblait au désespoir. Alors comme dans les contes, quand le héros au bord de
sa perte voit s’approcher le sauveur, il vit l’indifférent Rinaldo venir à lui,
un cahier dans la main.
« C’est peut-être ce que
vous cherchez ? Pardonnez-moi, mais je me suis permis d’en lire
quelques pages et… c’est bien, vous savez. »
Valentin, se mit à bafouiller passant par toutes les
couleurs que peut prendre une peau d’adolescent mal nourri. Rinaldo qui avait
eu son âge avant lui et ce temps n’était pas assez éloigné pour qu’il l’ait
oublié posa la main sur son épaule et continua :
« Ce serait un belle
histoire pour notre opéra, si vous acceptiez. »
1 commentaire:
Ah ! bien contente de les retrouver, ceux-là !
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