Travel et Marlon, qui s’étaient perdus de vue, avaient été surpris de se retrouver chez
Estournelle. Surpris et pas mécontents au fond ; le hasard leur permettait
de se retrouver simplement, sans explications, sans justifications. Ils
ne s’étaient rien fait, rien dit, aucun mot regrettables, juste deux
lignes qui s’écartent et que le hasard rapproche.
Par une étrange coïncidence, il se trouvait
qu’Estournelle et Marlon, sans s’être jamais rencontrés ni avoir entendu parler
l’un de l’autre, étaient tous deux amis de Travel. Tous deux s’étaient rêvés
chanteurs et s’étaient connus grattant la guitare et courant le cachet
sans grand succès. Il leur était même arrivé, certains jours de dèche de faire
la manche ensemble devant les cinémas. Leurs destins s’étaient séparés quand,
après une famine prolongée, Estournelle avait accepté un petit emploi dans une
maison de disques où progressivement elle avait démontré un talent pour le
marketing et la communication qui dépassait de beaucoup ses capacités
musicales. Avec sagesse, elle avait renoncé à la bohème et était devenue en
quelques années une bonne attachée de presse. Dans la foulée, elle épousa
Ysolan, un marin. Femme de marin était la situation idéale pour Estournelle
éprise de liberté.
En contournant la quarantaine, elle perdit son job,
son ménage battait de l’aile. Tout ne peut pas aller bien tout le temps ;
elle coupa les amarres et partit vivre à la campagne dans une maison qu’Ysolan
avait achetée peu de temps avant leur mariage. Lui avait quitté la marine et trouvé
une retraite dans un phare désaffecté, et là dans la seule compagnie de
vent et des tempêtes, il apprit à jouer du violon.
Estournelle entra en dépression ; elle eut des
insomnies. Un jour, lassée des diverses médications qui l’enchaînaient à son
toubib, elle décida d’occuper ses nuits. Elle lut et comme on ne peut lire des
nuits entières sans réveiller son conjoint les jours où il dort là, elle prit
l’habitude en éteignant la lumière de se raconter des histoires. Certaines
l’intéressaient, mais il arrivait qu’elle en perdît le fil. C’est pour s’en
souvenir qu’elle prit l’habitude de les écrire.
Elle s’occupa enfin de ce qu’elle aimait vraiment :
ses animaux, son jardin, ses amis ; sa vie privée ne s’en trouva pas plus
mal, bien au contraire. Ysolan semblait heureux de trouver une maison ouverte
et chaleureuse quand il rentrait de l’autre bout du monde et connaissant le
plaisir que sa femme ressentait en racontant des histoires, il l’encourageait à
écrire un roman. Ce roman était pour Estournelle l’alibi qui lui évitait de se
déclarer femme au foyer. En réalité, elle écrivait bien sûr, de temps en temps,
mais il y avait toujours une plantation urgente, une nouvelle recette de
confiture à expérimenter qui l’empêchaient de « se concentrer ».
Il y avait aussi ses amis, plus nombreux en été et parmi eux, Travel,
devenu réalisateur. Il venait souvent dans la maison de son amie, il s’y sentait bien et rentrait à
Paris un peu moins oppressé.
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Par le plus grand des hasards et l’efficacité des marchands
de bien, Marlon avait au début de l’automne, acheté les Authieux et fait
la connaissance d’Estournelle. Il avait liquidé son appartement parisien,
gardant juste une chambre de bonne. Tous ses meubles, ses instruments de
musique, sa sono, tout était installé au manoir. Il était certain d’y trouver
le calme et la concentration dont il avait besoin pour enfin composer une
musique bien à lui. Son entourage parisien leva les bras au ciel ; on
parla de suicide professionnel. Marlon s’en moquait ; il serait heureux
aux Authieux et il le fut. Enfin, autant qu’il pouvait l’être.
D’abord il y avait cette oeuvre qu’il portait en lui mais
dont il ne pouvait accoucher et puis il y avait Soline. De cette fille, il
n’avait pas parlé à sa voisine ; pas encore. D’ailleurs, qu’aurait-il pu
en dire ? Il ne savait presque rien d’elle, même pas son nom de famille et
il s’était passé entre eux si peu de choses. Une aventure d’une nuit comme il
en avait tant connu. S’il en avait parlé c’est ce qui serait ressorti des faits
énoncés, alors qu’il en gardait une impression d’une force étonnante.
Ce fut un joyeux Noël avec dinde,
sapin, feu de bois et nombreux desserts. Les parisiens fatigués et les
campagnards habitués à se coucher tôt ne purent veiller longtemps.
2 commentaires:
Ahem....tu as publié deux fois (au moins !)le même épisode sur la même page, Pomme ! :D
Un doigt de sieste, peut-être ? :))
Ayé! réparé... heureusement qu'on m'a rendu le p'tit crayon!
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