Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

lundi 8 novembre 2010

Les Animaux du Huitième Jour



Q

uand Dieu eut fini de créer le monde, le septième jour il se reposa ; tout le monde le sait. Mais que fit-il le huitième ? Tout le monde ne le sait pas…
Ce jour-là, Dieu se leva tranquillement, sans faire sonner son réveil, se prépara un bon petit déjeuner qu’il prit sans hâte en écoutant les nouvelles portées par ses anges informateurs. Puis il se fit couler un bain parfumé d’huiles odorantes dans lequel il se prélassa. Des chérubins musicaux lui donnaient une aubade et je crois bien qu’il fit un petit somme ; la température de l’eau qui tiédissait le réveilla. Il se sécha, se talqua, se parfuma et après s’être arrangé soigneusement la barbe et les cheveux, revêtit une tunique de lin blanc qui le changea agréablement des cottes de travail qu’il portait depuis une semaine.
Détendu, en pleine forme, il alla s’installer sur son nuage favori et reçut quelques séraphins et archanges avec qui il expédia les affaires courantes. Tout ceci le mena jusqu’à midi. Il apprécia un déjeuner soigné, servi sur une table garnie de fleurs qui lui fit oublier les nombreux plateaux repas servis dans l’atelier, sur un coin d’établi et dont il avalait le contenu sans même savoir ce qu’il mangeait tant la Création était alors son unique souci. Le déjeuner fini, Dieu retourna sur son nuage où il s’accorda une petite sieste… ;
Il s’éveilla plein d ‘énergie et d’idées, mais…. Il n’avait plus rien à faire !
Dieu s’en alla promener dans son Paradis où tout était si parfait ; il examinait tout, cherchait des retouches à faire, des êtres ou des choses à améliorer. Mais rien, rien décidément ne clochait dans la création, et Dieu continuait à arpenter les allées du Jardin d’Eden, cherchant en vain une mauvaise herbe à arracher. Il arriva ainsi aux confins du paradis où se trouvait son atelier, cet atelier dans lequel il avait fabriqué toutes ces merveilles. Il se souvint alors qu’au soir du sixième jour, il était si fatigué qu’il avait fermé la porte sans rien ranger ;
« En voilà une bonne idée !se dit-il, je vais mettre de l’ordre là-dedans et qui sait, quand j’en aurai fini, je trouverai peut-être à créer quelque chose qui manque encore à l’Univers. »
Et Dieu poussa la porte ; quel fourbi ! il y en avait des choses à jeter : les chutes des matériaux dont il s’était servi ; de la fourrure, des plumes, des pattes, des palmes, des nageoires, de la corne, des os, des dents, du clair, du foncé, du lourd, du léger, de l’uni, du moucheté, du rayé… Mais tout était disparate : il n’y avait pas là de quoi faire une plante, encore moins un animal qui soit un peu cohérent.
Dieu ne se décourage pas facilement ; toutes ces chutes, tous ces morceaux étaient en bon état, de première qualité, il eut été dommage de les jeter.
« Mais, je me connais, se dit Dieu, si je les range dans des caisses, je les oublierai et tous ces beaux matériaux resteront inutilisés ! Allons, voyons… Je suis un créateur… Le suis LE créateur ! »
Il restait, punaisé au mur, les fiches techniques de quelques animaux qu’il n’avait pas cru utile de fabriquer ; alors Dieu se mit à son établi et commença de piocher dans les chutes et de les assembler : ça donnait vraiment des trucs étonnants !…
« Voyons… cette fourrure mouchetée, je l’avais prévue pour un félin…mais les taches sont trop grosses… Ah !pas mal sur ce corps de vache, mais il faudrait des pattes. Zut !deux courtes et deux longues, ça ne va pas… quoique… en inclinant le dos, on va y arriver. Bon, maintenant la tête… J’ai là un cou beaucoup trop long et deux très beaux yeux, avec deux grandes oreilles et des petits andouillers de chevreuil… Ce n’est pas très beau, mais c’est rigolo ; je vais ajouter cette drôle de queue avec un plumet au bout et des sabots qui me restent des chevaux, j’en ai plein… Drôle de bête ! Je vais lui ajouter une pincée de légèreté, qu’au moins elle soit gracieuse. Voilà… sa tête tourne de droite à gauche et je vais la nommer … je vais la nommer… voyons, voyons… »
Il décrocha une fiche, regarda le nom marqué, souffla dans les oreilles de biche de la drôle de bête et dans les allées du Paradis, il lança la première Girafe.
Tout content, il se frotta les mains et retourna farfouiller dans ses chutes.
Cette peau rayée de noir et de blanc, par exemple, qui avait juste la taille de ce corps d’âne ; oui, mais il manquait une tête. Tiens, justement une tête de poney n’avait pas été utilisée ; avec cette crinière noire un peu balais brosse, ça donnait un animal sympathique. Dieu prit la fiche « Zèbre », souffla dans les naseaux de la nouvelle créature qui partit au galop.
Avec une fourrure de zibeline, des palmes et un bec de canard, il fit l’ornithorynque. Le fou rire le prit : c’était encore plus drôle de fabriquer ces monstres que tout le reste de la Création.
Un tas de têtes, de membres et de corps énormes encombrait tout un coin de l’atelier : de la peau grise et rugueuse refusait de se laisser plier ou rouler. Jamais on ne pourrait mettre d’ordre dans cette pièce si on n’en faisait pas quelque chose, mais tout était bien laid. Au hasard, presque les yeux fermés, Dieu assemble les grosses têtes, les grosses pattes, la peau en plis invraisemblables. Un des animaux était si laid que Dieu le mit dans l’eau avec ordre d’en sortir le moins possible : il le nomma hippopotame.
L’autre était presque aussi laid avec en plus de petits yeux qui lui donnaient l’air méchant. « Il ne peut pas être pire ! » marmonna Dieu en lui rajoutant sur le nez une double corne pointue. Il l’arrosa d’un peu de lourd qui restait dans un bidon et vous avez deviné qu’il venait de créer le rhinocéros.
Toute la journée, Dieu bricola ; il s’amusait bien et donna le jour au crocodile, au kiwi, au kangourou, au toucan et à bien d’autres encore…
Vers la fin, il avait encore de quoi faire des chiens ; ce qui clochait, c’était de nouveau les pattes : des pattes avant longues, des pattes arrière courtes. Il prit la fiche « Hyène » et modifia quelques éléments. La Hyène, animée, se regarda dans la glace et se mit à rire…
Il ne restait plus gran -chose… Dieu avec des poils et une tête, fit un animal qui tenait à la fois du renard et du lapin. De nouveau les pattes posaient problème : il avait deux pattes gauches longues et deux pattes droites courtes. La fiche qui restait portait le nom « Dahu »…
Non, pensa Dieu… cette bête là, personne n’y croirait !

1 commentaire:

manouche a dit…

Epatant! A virer créationniste!

Les Chouchous