...Il ne faut pas que le lecteur oublie
Que les parents d'Aminte, bon bourgeois,
Et qui n'avaient que cette fille unique,
La nourrissaient, et tout son domestique,
Et son époux, sans que, hors cette fois,
Rien n'eut troublé la paix de leur famille.
La mère donc s'en va trouver sa fille;
Le père suit, laisse sa femme entrer,
Dans le dessein seulement d'écouter.
La porte était entr'ouverte: il s'approche;
Bref, il entend la noise et le reproche
Que dit sa femme à leur fille, en ces mots:
" Vous avez tort, j'ai vu beaucoup de sots,
Et plus encore de sottes ,en ma vie;
Mais qu'on pût voir telle indiscrétion,
Qui l'aurait cru? Car enfin, je vous prie,
Qui vous forçait? quelle obligation,
De révéler une chose semblable?
Plus d'une fille a forligné; le diable
Est bien subtil; bien malins sont les gens:
Non pour cela que l'on soit excusable;
Il nous faudrait toutes dans des couvents
Claquemurer jusques à l'hyménée,
Moi qui vous parle ai même destinée;
J'en garde au coeur un sensible regret:
J'eus trois enfants avant mon mariage.
A votre père ai-je dit ce secret?
En avons-nous fait plus mauvais ménage?"
Ce discours fut à peine proféré
Que l'écoutant s'encourt, et, tout outré,
Trouve du bât la sangle et se l'attache,
Puis va criant partout: "Je suis sanglé!"
Chacun en rit, encore que chacun sache
Qu'il a de quoi faire rire à son tour.
Les deux maris vont dans maint carrefour,
Criant, courant, chacun à sa manière:
"Bâté" le gendre, et "sanglé" le beau-père.
On doutera de ce dernier point-ci;
Mais il ne faut telles choses mécroire;
Et, par exemple, écoutez bien ceci:
Quand Roland sut les plaisirs et la gloire
Que dans la grotte avaient eus son rival,
D'un coup de poing il tua son cheval.
Pouvait-il pas, traînant la pauvre bête,
Mettre de plus la selle sur son dos;
Puis s'en aller, tout du haut de sa tête,
Faire crier et redire aux échos:
"Je suis bâté, sanglé!" car il n'importe,
Tous deux sont bons. Vous voyez de la sorte
Que ceci peut contenir vérité.
Ce n'est assez; cela ne doit suffire,
Il faut aussi montrer l'utilité
De ce récit; je m'en vais vous la dire.
L'heureux Damon me semble un pauvre sire:
Sa confiance eut bientôt tout gâté.
Pour la sottise et la simplicité
De sa moitié, quant à moi, je l'admire.
Se confesser à son propre mari,
Quelle folie! Imprudence est un terme
Faible à mon sens pour exprimer ceci;
Mon discours donc en deux points se renferme:
Le noeud d'hymen doit être respecté,
Veut de la foi, veut de l'honnêteté;
Si par malheur quelque atteinte un peu forte
Le fait clocher d'un ou d'autre côté,
Comportez-vous de manière et de sorte
Que ce secret ne soit pont éventé:
Gardez de faire aux égards banqueroute;
Mentir alors est digne de pardon.
Je donne ici de beaux conseils, sans doute:
Les ai-je pris pour moi-même? Hélas! non.
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