Sophie de Ségur qui serait plutôt moins raciste que le reste de ses contemporains ne peut cependant mettre un noir sur un pied d’égalité avec les gens de son monde : Ramoramor sera donc comme Pélagie, au service de Geneviève. Mais la conteuse a de la sympathie pour lui; aussi, va-t-elle le doter de différences positives qui feront de lui le « bon génie » de l’orpheline. Sa négritude lui donne des « pouvoirs » , elle le rend plus fort, plus agile, plus rapide : il peut grimper l’escalier en deux bonds, tout en portant la fillette qu’il laisse en sûreté dans sa chambre ; puis, toujours miraculeusement rapide, il rejoint, à la cuisine, la bonne avec qui il essuie paisiblement la vaisselle.
Outre cette sorte d’ubiquité, il est aussi doté de clairvoyance : son « instinct » le conduit à remarquer ce que l’ « intelligence » de l’entourage semble ignorer : les malheurs de Geneviève proviennent de la jalousie que le père éprouvent pour la fillette qui charme tous ceux qui l’approchent alors que Georges mécontente tout son entourage. Clairvoyance qu’il partage du reste avec Pélagie. Les « bons génies » au cœur simple seraient capables de lire dans les âmes dont les portes et les fenêtres seraient fermées aux personnes plus « cultivées » .
Ces deux génies domestiques sont aussi le service de renseignements de la « marraine fée » Primerose. Cette dernière étant aussi curieuse que sa créatrice que l’on imagine fort bien soutirant des renseignements aux uns, dans le but de faire le bonheur des autres.
Où l’on voit bien que l’auteur et son personnages , en dépit des apparences, ne font qu’un : l’une et l’autre sont douées pour la peinture! De plus, Sophie n’hésite pas en la décrivant, à lui octroyer son caractère:
« Elle égayait le salon par sa gaieté et le sans-gène qui ne l’abandonnaient jamais. Elle riait même en se fâchant; on la voyait généralement avec plaisir… »
« …C’est ainsi que je suis, mon cher! Je prends tout vivement et je ne ménage pas mes paroles, ce qui ne veut pas dire que je n’aime pas les gens. »
« … Terrible peut-être, mais sincère et fidèle… »
« L’indignation et le chagrin n’avaient pas diminué son appétit… »
Donc elle prend le verbe et l’apparence d’une demoiselle âgée de trente ans (une vieille fille!), qui aura fort à faire. Et, bien que Sophie, souvent, se laisse influencer par Gaston, par Louis Veuillot ou bien parson éditeur, elle compte aller cette fois jusqu’au bout de son propos .Elle veut pour cette enfant un destin meilleur que le sien.
Geneviève, on l'a vu, n'a reçu jusqu'alors pour toute éducation que celle dispensée par sa bonne, à savoir la lecture, l’écriture, un peu de calcul et science indispensable pour une femme, la couture! Primerose , dans le rôle de la fée-marraine,va se charger de l'orpheline et ajouter l’histoire, la géographie, le dessin et quelques langues étrangères ainsi que différents savoirs en principe réservés aux garçons. Et, quand elle en saura autant qu’eux, elle apprendra encore à gérer un budget et pourra disposer de la fortune qui lui revient. Liberté, qu ‘elle-même, Sophie, n’a connu que bien tard, grâce à son travail et à son talent..
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