Les
démons étaient furieux, désemparés…
Voilà
que Dieu avait un fils ; un fils
qu’il avait envoyé sur la terre et qui se mettait à pardonner aux hommes leurs
péchés ! Qu’allaient-ils devenir ? Qu’allait devenir l’enfer si tous les péchés des hommes étaient pardonnés ?
« Nous
n’avons qu’une chose à faire, dit le Prince des Démons, engendrer un enfant qui
, devenu adulte, poussera les hommes à faire le mal… mais comment aurons-nous
cet enfant ?
« J’ai,
dit l’un des démons le pouvoir de m’unir aux mortelles, mais il faudrait
qu’elle soit vierge ! »
Car
le Diable est sot et il manque d’imagination. Ce que fait Dieu il vaut le faire
aussi… L’enfer tout entier se mit à chercher la pure jeune fille qu’ils
allaient pervertir.
Elle
se trouvait être la fille d’un riche propriétaire. Elle était pieuse et très
pure, bien entourés de sa famille.
Le
diable rendit malade le fils ; si
malade qu’il en mourut et que sa mère en mourut aussi de chagrin. Très éprouvé
par cette lourde perte, le pauvre homme vit périr son bétail ; les
intempéries ruinèrent ses récoltes et de désespoir, il finit par se pendre.
Il
restait deux filles, la cadette si pieuse et si pure et l’aînée, une étourdie
aimant trop les plaisirs.
Les
commères du voisinage ne voulaient que du bien à ces deux riches orphelines.
L’une d’entre elle fréquentait un démon. C’est sur ses conseils qu’elle dit aux
deux filles : « Quel dommage, riches et jolies comme vous êtes de ne
pas mieux profiter de la vie ! Riez , dansez, voyez des hommes !
Votre corps peut vous donner tant de plaisirs ; ne voulez-vous pas les
connaître ?
La
plus jeune ne l’écoutait pas ; elle priait et allait tout raconter à son
confesseur.
Mais
l’aînée, sensible aux beaux discours de la voisine, voulait connaître ces plaisirs
qu’on lui promettait.
Il
faut savoir qu’en ce temps-là, l’amour hors mariage était interdit et
cruellement puni. La femme convaincue de s’y être livrée n’avait qu’un seul
choix : le bûcher ou le bordel. Le sœur aînée n’eut pas d’hésitation, elle
choisit le bordel et y mena joyeuse vie. Elle se disait que riche comme elle
était, quand viendrait le temps du repentir, il se trouverait bien un homme
pour la prendre elle et tout son bien.
La
plus jeune, triste et inquiète en parla à son confesseur qui lui donna ce
conseil : « Ma fille, le Diable rôde. Si tu ne veux pas être sa
victime, suis bien mes conseils : ne t’endors jamais sans avoir dit tes
prières ; allume un cierge qui brûlera la nuit entière et surtout,
surtout, ne te mets jamais en colère ; c’est par la colère que le Diable
arrive à nous perdre. »
Du
temps passa, la jeune fille suivait scrupuleusement les conseils de son
confesseur. Le Diable, lui, perdait patience ; la parole du Fils de Dieu
progressait et son Antéchrist n’était toujours pas conçu. Il eut un jour l’idée
de donner à la fille débauchée l’envie d’aller visiter sa jeune sœur. Ce
qu’elle fit en compagnie de quelques garnements de sa connaissance. Troublée
dans sa pieuse solitude, la cadette les reçut sans plaisir. L’aînée lui
reprocha sa froideur tandis que les garçons se permettaient sur les servantes
des privautés choquantes. Bientôt ils s’en prirent à la chaste pucelle qui les
repoussa et voulut mettre tout le monde à la porte. La courtisane refusa ;
après tout, cette maison était celle de leur père, elle y avait droit autant
que sa sœur et elle avait bien l’intention d’y faire et laisser faire ce qui
lui plaisait. Les paroles s’envenimèrent et bientôt les mains entrèrent dans la
danse. Les garçons qui avaient usé de toutes les servantes et qui trouvaient la
jeune fille trop prude, quittèrent la place non sans brocarder la piété de leur
hôtesse involontaire. Elle, comprit alors que si elle était toujours pure, elle
avait néanmoins péché en se mettant en colère.
Troublée,
elle alla se coucher en oubliant d’allumer le cierge et la fatigue la fit
s’endormir sans avoir dit ses prières.
C’est
tout ce qu’attendait le démon à qui elle était promise ! Il se glissa dans
son lit où il resta jusqu’au matin. Quel désespoir au réveil ! L’état du
lit ne laissait aucun doute à la pauvre pucelle : elle ne l’était plus.
Elle courut confier sa détresse à son confesseur qui eut bien du mal à la
croire. Pourtant devant les larmes, le repentir et la terreur de la jeune
fille, il eut pitié d’elle.
Après
avoir promis d’observer scrupuleusement toutes les pénitences qu’il lui imposa,
elle regagna son logis.
Hélas,
les commères du voisinage eurent bientôt l’occasion de remarquer un embonpoint
étrange chez une jeune personne de mœurs aussi austères. Elle avoua ingénument
être enceinte mais sans pouvoir dire de qui. Quel scandale ! Une fille
dont on admirait la piété joignait la débauche au mensonge ! Elle fut
dénoncée. Elle allait tout perdre, ses biens, sa maison son honneur, sa vie
même. Son confesseur lui promit de l’aider.
Bientôt
on vint l’arrêter ; elle fut jugée et bien entendu personne ne voulait
croire qu’elle pouvait être enceinte sans savoir quel homme l’avait mise dans
cet état. Condamnée au bûcher, elle appela une fois encore son confesseur. Le
saint homme obtint que l’exécution fut remise à la naissance de l’enfant,
puisque en faisant mourir la mère, on ferait mourir un innocent.
La
malheureuse fut conduite dans une tour et confiée à la garde de deux sage-
femmes. Toutes les issues furent murées. Elle n’avait plus qu’à attendre le
jour de la naissance de l’enfant qui serait aussi celui de sa mort.
1 commentaire:
Brrrrrr...
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