C’était
un soir de brume, sur la lande bretonne ; si la mer était proche, on ne
la voyait pas. Alors, venant du large, on entendit le glas : « Il y en a
demain, qui ne rentreront pas… ».
Mon compagnon se tut…
« Comment le savez-vous ?
-Ce
sont les cloches d’Ys ! Quand il est encore temps, elles sonnent le
tocsin ; mais ce soir c’est le glas… Ys n’est pas pardonnée.
-Racontez-moi l’histoire de la ville engloutie. »
«
Les pêcheurs vous diront que ces cloches qui sonnent, sont celles d’une
ville endormie sous les flots. Ville aux mille palais, ville aux
riches églises, dont ces cloches de bronze accompagnaient jadis la vie
de la cité . Sonnant pour le travail et sonnant pour les fêtes, elles
avaient pour mission de surveiller la mer : sans que nul intervienne
quand des marins étaient en péril, on entendait le tocsin.
Telle était Ker-Ys, la fière cité du roi Gradlon.
On
avait pour la bâtir, emprunté des terres à l’Océan ; et comme on
redoutait que ce dernier ne vienne un jour réclamer son dû, on l’avait
entourée de fortes digues. De hautes murailles et un ingénieux système
d’écluses la préservaient des tempêtes et des fortes marées. Ces
écluses, portes de la mer, ne s’ouvraient qu’au moyen de lourdes clefs
que le roi Gradlon portait nuit et jour enchaînées à son cou.
On
venait de partout admirer les richesses de Ker-Ys qui n’aurait eu aucun
malheur à redouter si ses habitants n’avaient eu des mœurs dissolus,
entraînés qu’ils étaient dans la débauche par Dahud la très belle fille
du roi Gradlon. Si belle qu’aucun prince, aucun gentilhomme ne savait
lui résister, tous un jour ou l’autre passait une nuit dans la chambre
de Dahud, et de sa chambre dans les flots quand il fallait laisser la
place à un nouvel amant.
Elle
aimait rire et s’amuser et détestait le son des cloches ; tout
particulièrement le tocsin qui parfois venait attrister ses nuits de
plaisir ; le péril de la mer ne choisit pas son heure.
Le
moine Gwenolé quittait souvent son abbaye de Landevennec pour venir
prêcher et adjurer les gens d’Ys de se réformer. Mais la débauche leur
convenait. Les sermons de Gwénolé restaient sans effet et bien loin de
leur donner des remords ils poussaient à rire tous ces mécréants.
D’ailleurs, trop riches, ils étaient devenus paresseux ; et tout comme
leur princesse, ils avaient pris en grippe le son des cloches qui,
disaient-ils, les faisaient lever trop tôt
Dahud
finit par ordonner que les cloches ne sonnent plus que les
réjouissances. Pour cette raison nombre de marins périrent en mer. Comme
on ne devait plus sonner le glas pour les morts, leurs funérailles ne
se déroulèrent plus correctement. Dieu vit errer aux portes du paradis
un nombre impressionnant d’âmes en peine.
Et
Gwénolé toujours, prêchait le repentir. Dieu qui voyait les efforts et
le chagrin de son bon serviteur, finit par se lasser de l’insolence de
Dahud, de l’incurie de Gradlon et de l’impiété de leurs sujets. Il
prévint le moine qu’il était résolu à livrer la ville à Satan ; qu’il
pouvait cesser de s’occuper d’eux.
Gwénolé
voulut quand même avertir Gradlon. Le roi eut un instant la volonté de
faire pénitence, mais Dahud, ses amants et toute la cour rirent bien
haut du prédicateur. Du temps passa et comme aucune catastrophe ne vint
troubler la cité, on oublia les mises en garde du moine. Dahud triompha
sans vergogne.
Un
jour, entra dans le port un navire dont le capitaine se mit à arroser
d’or, le roi, la cour, la ville et ses habitants. Il couvrit Dahud de
présents et comme il était jeune et séduisant, la fille du roi s’éprit
de lui. Ce fut alors un jeu pour l’étranger d’obtenir d’elle qu’elle
dérobât les clefs d’or qui assuraient la sécurité de la ville.
C’est
au temps des fortes marées que Dahud et son amant firent boire Gradlon
plus que de raison ; le capitaine fit boire aussi Dahud . Une fois le
père et la fille ivres- morts, le maudit s’empara des clefs. A l’heure
de la plus haute marée, il ouvrit les écluses. Les eaux s’engouffrèrent
dans les rues de la ville. Il n’y eut aucune scène de panique ; le
raz-de-marée fut si brutal que les gens n’eurent le temps ni de se
réveiller, ni de se repentir. Le flot les roula jusqu’en enfer. Les
cloches auraient-elles prévenu les habitants de la catastrophe si elles
avaient pu sonner le tocsin ?
Gwénolé
était au palais ce jour-là et Dieu lui permit de réveiller Gradlon à
temps pour le sauver. Pendant que le moine sellait les chevaux, le roi
courut réveiller sa fille et l’entraîna avec lui. Le moine n’avait prévu
que deux montures ; le roi prit sa fille en croupe. Mais le cheval qui
devait porter deux cavaliers plus le poids de leurs péchés (et ceux de
Dahud étaient particulièrement lourds), ne pouvait courir aussi vite que
celui du moine qui filait comme le vent. Le cheval de Gradlon
s’essoufflait, renâclait, les eaux s’approchaient. Gwénolé, de la part
de Dieu, adjura le roi d’abandonner sa fille ; il refusa ; bientôt les
vagues léchèrent les sabots du cheval. Aussi, Dieu alourdit encore le
poids des péchés de Dahud et ce poids fut tel qu’elle dût lâcher prise.
Libéré, le cheval bondit. Les flots ralentissaient leur course à mesure
que le cheval accélérait la sienne.
Gwénolé
et Gradlon étaient sauvés ; en prenant pied sur la terre ferme, ils
purent voir l’Océan engloutir les clochers, les palais et tous les
monuments de la riche et fière cité d’Ys.
La
ville est engloutie mais elle n’est pas détruite ; elle repose en son
intégrité sous la mer et pour que les vivants s’en souviennent, elle
fait tinter ses carillons. Ce sont ses cloches que les pêcheurs de
Douarnenez entendent dans la brume du soir.
Elles appelent les gens de la côte au secours des navires en péril et sonnent le glas pour les marins morts en mer.
Elles cesseront de sonner quand elles auront sauvé autant de vies qu’elles en ont fait perdre.
Ce jour là, Ys sortira de la mer aussi belle qu’au temps de sa puissance….
1 commentaire:
Ah! L'histoire de la ville d'Ys que ma mère n me contait les soirs d’orage....
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