Tristes
noces… ni les bijoux, ni la robe de velours dont on avait revêtu la mariée ne
purent empêcher l’époux de pâlir et de trembler en lui prenant la main. C’est
en boitant qu’elle l’accompagna jusqu’à l’autel.
Quand
minuit sonna, le Roi et la Reine donnèrent congé à l’assistance pour mener les
nouveaux mariés jusqu’au lit nuptial. Guenièvre embrassa la mariée et Arthur
serra son neveu dans ses bras en lui souhaitant tristement une bonne nuit. Les herbes et les feuiilages dont
on avait jonché le sol de la pièce embaumaient ; de souples et douces
fourrures garnissaient le lit ; un feu crépitait dans la cheminée. Gauvain
épuisé, se laissa tomber sur un fauteuil. Comment allait-il pouvoir se comporter
avec cette épouse ? que commandait le code de la chevalerie dans ce cas et
que pouvait la chevalerie face à certaines réalités ?
Comment
honorer en époux une telle compagne ce soir et jusqu’à la fin de ses
jours ? Son honneur, son courage, sa loyauté, sa valeur ne pouvaient rien
contre l’absence de désir pour la repoussante personne qui l’attendait sous les
fourrures du grand lit. Il avait entendu non sans apréhension, derrière lui, le
bruissement des étoffes qui une à une tombaient à terre… et la douce voix du monstre
qui l’appelait.
« Ne
venez- vous pas vous coucher, sire mon époux ?
Avec
un frisson d’angoisse, il tourna la tête… et pour voir la femme la plus belle
qu’il ait jamais rêvée : ses cheveux blonds tombaient jusqu’à ses reins à
la cambrure parfaite ; son corps était droit et souple, ses jambes longues
et galbées ; sa peau était de satin et son visage plus doux, plus gracieux
que celui des madones des églises. Elle se blottit contre lui et passant les
bras autour de son cou, elle l’embrassa doucement sur la joue.
« C’est
bien moi votre épouse, loyal Gauvain : la laide dame que vous avez menée à
l’autel, c’est moi. En m’acceptant, vous avez levé la moitié du sort qui
m’avait emprisonnée dans ce corps hideux. Pourtant, je ne suis qu’à demi
délivrée ; je dois maintenant pendant une moitié du jour reprendre ma
précédente apparence… à moins que vous ne puissiez répondre à une question…
-Mon
aimée…je vous en prie ! Quelle question ?
-La
voici : que préférez-vous ? M’avoir à vous seul, belle toutes les
nuits et passer vos jours à la cour accompagnée d’un laideron, ou au contraire,
m’avoir belle le jour et repoussante la nuit ?
Elle
regardait intensément Gauvain ; perplexe devant ce choix étrange, lui ne
savait que répondre. Et comme c’était sa nuit de noces :
« Viens,
lui dit-il, en l’entraînant vers le lit, viens comme tu es maintenant !
La
belle se rembrunit et s’écarta de lui :
« Vous
ne pensez donc qu’à vous Messire ? Je serai belle la nuit pour votre
plaisir et tous le jour je devrai endurer moqueries et quolibets à moins de
vivre solitaire en cachée en quelque recoin. C’est donc ainsi que vous
m’aimez ?
-Oh,
pardon ! s’écria Gauvain en lui baisant la main. Oui, je suis
égoïste ; sois belle autant que tu veux mon amour et cache dans la nuit de
cette chambre ta part de laideur.
Elle
retira vivement sa main :
« Ainsi
vous m’aimez si peu que mon apparence vous soit indifférente ? Un laideron
peut donc satisfaire votre cœur et vos sens. Avez-vous pensé à ma honte quand
je devrai me montrer nue devant vous ?
Gauvain
venait de comprendre que quel que soit son choix, il ne serait pas le bon.
Désemparé, il haussa les épaules et soupira :
« Je
suis incapable de décider, ma mie. Faites votre choix et je m’en
accommoderai !
A
ces mots, toute heureuse, la jeune femme se jeta dans ses bras :
« La
voilà, la bonne réponse. Vous m’avez donné ce que toute femme désire : la
liberté de choisir sa vie et son apparence. Le sort est levé, messire et je
suis à vous belle le jour et la nuit , pour toujours ;
Le
lendemain, Arthur et sa cour voyant les heures passer sans que paraissent les
nouveaux mariés, s’inquiétaient de savoir comment Gauvain avait surmonté la
terrible épreuve. C’est à midi largement passé que l’assemblée vit paraître, un
peu fatigués mais radieux, un jeune couple éclatant de bonheur.
Arthur
avait sauvé son royaume ; Gauvain avait délivré son épouse d’un sort
horrible. Il ne restait plus à Keu le Sénéchal qu’à organiser la plus grande
fête qu’eût connu le château de Kaerleon.
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