Un chariot versé dans le fossé,
une roue cassée ; quatre forts chevaux broutant l’herbe maigre du
talus ; dans un carrosse dételé, trois femmes d’âges variés, grelottantes
de froid, et autour de ce triste équipage, trois hommes désemparés devant la
catastrophe, aux hardes bousculées par le vent de décembre. Voilà sous quelle
forme se présentait ce soir- là, l’Hôte
de Noël aux alentours des Authieux. L’équipe envoyée du château eut tôt fait de
rapatrier les naufragés à la lueur des torches ; les voitures furent
laissées où elles étaient jusqu’au lendemain ; il ne pouvait de toutes
façons plus rien leur arriver de pire. Les chevaux bouchonnés ne boudèrent pas
les stalles sèches et les mangeoires garnies de foin et d’orge ; dans la
salle à manger, on fit de la place à table pour les nouveaux arrivants…
Un peu fripés, les nouveaux
arrivants, et mal réchauffés. Leurs chambres n’étaient pas faites et ils durent
se présenter à table tels qu’on les avait sortis du fossé.
Des baladins ! Voilà ce que
pensèrent tous les convives… mais comme l’expression aurait été différente si
chacun l’avait exprimée à voix haute !
Des baladins ! se serait
récrié le curé avec toute l’indignation du saint homme auprès de qui l’on place
des excommuniés.
Des baladins … aurait
murmuré Angélique avec un certain mépris qu’un peu de curiosité aurait bientôt
remplacé ; après tout, les baladins venaient de Paris…
Des baladins, se serait étonnée
Lise qui n’en avait jamais vu…
Des baladins aurait pensé
Mariette inquiète pour le linge et l’argenterie ; on ne sait pas d’où
viennent et de quoi sont capables ces gens-là
Des baladins réfléchissait Pierre
songeant à les loger d’une façon convenant à leur état.
Des baladins se réjouissait
Louis… et aussi… des baladines, ma foi, et son œil devenait coquin.
Des baladins, méditait Rinaldo et
surtout ce grand, là qui se tait … Etrange personnage ! immense
adolescent fripé, aux membres trop longs, au visage imberbe à peine visible
entre un col remonté et un amas d’écharpes.
Une légère bouffissure dénonçait l’obésité qui l’aurait guetté, n’eut
été l’état de famine auquel il était réduit. Il
semblait être le souffre-douleur de la troupe et de toute la soirée, on
n’entendit pas le son de sa voix. De ces grands- là , il en avait vu beaucoup,
naguère en Italie, au conservatoire. Qu’était-il venu faire en France où l’on
n’aimait pas beaucoup ses pareils ?
Réchauffés, nourris réconfortés,
les baladins n’hésitèrent pas à satisfaire les curiosités de leurs hôtes ;
ils avaient quitté Paris depuis peu et savaient les derniers potins des
salons : Le Grand Cyrus venait de paraître ; Georges de Scudéry
l’avait signé, mais tout le monde savait que c’était Madeleine, sa sœur qui
l’avait rédigé. Et puis, ces Scudéry avaient pris le parti,( c’était clair à la
lecture du roman), de la duchesse de Longueville et des frondeurs. Paris
s’était encore une fois trouvé sens dessus dessous ; la Grande
Mademoiselle avait fait tirer les canons de la Bastille contre les troupes du
Roi, son cousin. Enfin, la Régence était finie ; le roi était majeur
désormais et imaginez : le roi avait dansé le ballet de Cassandre. Il a
dit-on la jambe fort belle et danse à merveille. Tout comme son père,
savez-vous ? Le roi défunt dansait aussi… et composait ; il était
capable de composer et mettre en scène un mélodrame. Oui, le fils autant que le
père est musicien… mais… imaginez : il a pris un maître de guitare …
un maître de guitare ?? Mais oui : Bernard Jourdan de la Salle !!!
La guitare ? Mais… ce n’est pas un instrument noble, la guitare ! Un
roi devrait... jouer du luth, enfin ! C’est l’influence italienne,
certainement… enfin… il est parti le Cardinal… et patati et patata et bla,bla,
bla…
1 commentaire:
attends, je ne comprends plus, là, ça se passe quand exactement ? à la veille de la Révolution, comme on en a l'impression au début, ou au moment de la Fronde ? je suis perdue, là....
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