" D'où venez-vous petit libertin? lui cria la vieille, d'une voix enrouée; tous vos frères sont ici; vous êtes le seul qui prenez du bon temps et qui ne vous souciez guère des inquiétudes que vous me donnez.- Ma mère, lui dit-il, j'ai eu de la peine de revenir si tard auprès de vous, sachant bien que vous le trouveriez mauvais; mais j'étais dans les jardins de la princesse Félicité. Elle s'y promenait avec toutes ses nymphes; l'une faisait une guirlande de fleurs; l'autre, couchée sur le gazon, découvrait un peu sa gorge pour me laisser plus de liberté d'approcher d'elle et de la baiser; plusieurs dansaient aux chansons; la belle princesse était dans une allée d'orangers; mon haleine allait jusqu'à sa bouche; je badinais autour d'elle et j'agitais doucement son voile. Zéphyr, disait-elle, que je te trouve agréable! Que tu me fais de plaisir! Tant que tu seras ici, je ne quitterai point la promenade... Je vous avoue que des douceurs prononcées par une si charmante personne m'enchantaient et j'étais si peu le maître de moi-même que je n'aurais pu me résoudre à la quitter, si je n'eusse appréhendé de vous déplaire."
Adolphe l'écoutait avec tant de satisfaction qu'il eut quelque peine lorsqu'il cessa de parler. "Permettez, aimable Zéphyr, lui dit-il, que je vous demande en quel pays règne cette princesse! - Dans l'île de la Félicité, lui répondit Zéphyr; personne, seigneur, n'y peut entrer; on ne se lasse point de la chercher, mais le sort des humains est tel qu'on ne saurait la trouver; on voyage inutilement tout autour; l'on se flatte même quelquefois d'y être, parce qu'on arrive souvent à d'autres petits ports où l'on surgit avec un peu de calme et de tranquillité: plusieurs personnes y resteraient avec joie; mais ces îles, qui n'approchent que très médiocrement de celle de la Félicité, sont toujours flottantes: on les perd bientôt de vue et l'envie qui ne peut souffrir que les mortels se flattent, même de l'ombre du repos, est celle qui les chasse de ce lieu-là; j'y vois périr tous les jours des hommes distingués." Le prince continua de lui faire des questions, auxquelles il répondit avec beaucoup d'exactitude et d'esprit.

Mme d'Aulnoy
2 commentaires:
J'aime beaucoup l'artistique fausse naïveté du douanier Rousseau et ses couleurs rutilantes.
Dans un style différent mais faussement naïf aussi, il y a Chagall auquel je ne pense pas assez...
P
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