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Les jours, les mois, les années s’écoulèrent. La fée aidant, personne au village ne s’étonnait de voir se prolonger l’adolescence de Lucas. Même son père finit par oublier de le faire travailler aux champs et le village se réjouit d’avoir un barde qui animait les veillées et faisait danser la jeunesse les jours de fête.
De l’autre côté du bois, dans une combe au milieu des champs proliférait un maquis broussailleux, un mélange inextricable de taillis et de ronces ; par ici, on nomme cela une plesse. Les villageois passaient au large car dans cette plesse qu’elles seules savaient pénétrer, vivaient trois femmes ; on les disait sorcières. Il est vrai que le père de la plus âgée avait été un mage savant ; il lui avait transmis ses connaissances qu’elle-même avait enseignées à sa fille, puis à sa petite-fille. En ce temps-là, la religion du Christ avançait à grands pas, celle des druides perdait du terrain et les femmes instruites ne menaient pas une vie facile. De drame en drame et de fuite en poursuite, elles s’étaient réfugiées dans cet endroit désert et n’en sortaient pour ainsi dire jamais ; sauf quand le temps s’y prêtait pour récolter les plantes, baies et écorces nécessaires à la fabrication de leurs médecines. Si quelqu’un de village voulait les consulter, il laissait un signe aux abords du taillis et l’une des trois femmes se trouvait un jour sur son chemin. Elles savaient soulager hommes et animaux de bien des infortunes ; elles étaient secourables aux femmes en mal d’enfant et savaient faire en sorte qu’une grossesse mal venue disparaisse comme par enchantement. Mais la nature humaine est ainsi faite qu’on leur réclamait aussi des remèdes moins avouables ; à ces requêtes elles restaient sourdes mais n’en restaient pas moins dépositaires de secrets dangereux pour elles.
La plus jeune était aussi la plus hardie ; née à l’abri de la plesse, elle n’avait pas connu les tribulations de ses aînées. Quand elle partait cueillir des simples, il lui arrivait de s’aventurer jusqu’à la clairière ; et là, cachée dans les buissons, plus sauvage encore que les animaux de la forêt, elle écoutait… On la nommait Prunelle ; Prunelle était jolie, Prunelle avait quinze ans, l ‘âge qu’avait choisi Lucas. Et fatalement, les deux jouvenceaux se virent, se plurent et s’aimèrent au grand dam de la fée. Elle se reprocha amèrement de n’avoir pas songé à écarter Prunelle de la route de son protégé, mais il était trop tard ; les ennuis commencèrent.
Lucas voyait mal comment amener sa fiancée au village et la grand-mère de Prunelle pour sa part, refusait de laisser la petite rejoindre les gens qui avaient déjà fait tant de mal à sa famille. Rien ne renforce l’amour comme un interdit et là, il y en avait deux ! Les jeunes gens prirent l’habitude de se rencontrer la nuit près des deux pierres ; Lucas jouait et chantait pour sa belle qui dansait pour lui ; les animaux faisaient cercle autour d’eux sous la lune. La fée trouvait le tableau fort aimable mais comme elle savait l’avenir, elle fit part de ses craintes à Lucas qui s’en moqua éperdument.
Revint l’automne et le temps du braconnage ; les villageois poussaient rarement jusqu’à la clairière. La chasse n’y était pas bonne et pour cause ! Lucas savait repérer les pièges et pour protéger ses amis, armé d’un long bâton, il les désamorçait. Les hommes lassés allaient poser leurs collets ailleurs. Mais il faut bien que le malheur arrive, alors un soir de lune, un des villageois, sans raison précise vint braconner de ce côté.
2 commentaires:
"mais il faut bien que le malheur arrive", voilà une phrase qui me fait froid dans le dos ! "il FAUT" ?!
Je suis bien contente de faire peur de temps en temps...
Ah Ah Ah (rire sardonique)
PP
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