Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

samedi 31 janvier 2015

L'âne du père Sigri

Le père Sigri avait une belle noire bourrique qu'il aimait tout plein. Une fois, comme il allait au marché de Gerbéviller avec sa bourrique qui portait dans sa bannette des pommes de terre, des oeufs, des poireaux, et des noires groseilles, le père Sigri rencontre sur la route une vieille camp-volante qui le regardait avec des yeux de chat enragé.
"Qu'est-ce que t'as à me regarder comme ça, donc, peute garce?
-Je te regarde, parce que, tout à l'heure, j'ai vu la haute-chasse passer là-haut en hurlant, et qu'avant de te voir, j'ai marché dans un étron de loup. je m'en vas te dire ta bonne aventure...
-Je veux bien, et si tu me la dis, je te donnerai trois poireaux et un oignon pour mettre dans ta soupe.
-Eh bien!... écoute. Je sais l'avenir. Quand ta bourrique aura pété deux fois, tu pourras te faire graisser les bottes parce que, au troisième pet qui sortira du derrière de la bourrique, tu seras mort, et te... ne péteras plus."
Voilà mon père Sigri qui s'en va en grommelant:" Je suis foutu, je suis foutu...;pourvu que ma bourrique ne pète plus que dans cent ans!"
Tout d'un coup, un pet de la bourrique le fait sauter en l'air! "Voilà le premier, que dit mon père Sigri, et ce n'est pas un pet de maçon, l'autre-là... Dieu, quel grand malheur!" Il n'avait pas plus tôt dit cela que la bourrique lâche un deuxième pet, un pet puant comme le diable.
Le père Sigri fait son mea culpa ...  Troisième pet... Le père Sigri tombe sur le chemin, raide mort. Des gens qui passaient sur la route le relèvent: " Mais, c'est le père Sigri... Oh! le pauvre bougre...  Nous allons le remporter à Fraimbois. Mais quel chemin que nous allons prendre? Le plus court, pour y aller, voyons...; y'a le chemin qui traverse le petit bois, et puis l'autre... qui nous mène du côté du vieux moulin." Comme ils ne savaient lequel prendre, le mort, le père Sigri, ouvre un oeil et dit d'une voix de revenant:" Du temps que j'étais vivant, je prenais toujours le chemin qui passe derrière le petit bois..."

Jean LANHER - Les Contes de Fraimbois.

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