Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

jeudi 8 mai 2014

Florine et Rosario


                
Florine et Rosario (librement adapté d'un conte de Catherine Bernard (1663-1712)


1/La reine d’un de ces royaumes qu’on chercherait en vain sur les cartes, ne se consolait pas de la perte d’un époux tendrement aimé ; il avait été emporté très vite, aussi  n’avait-elle connu du mariage que le temps heureux de la lune de miel. Elle désirait pour la  fille unique qui lui était restée un bonheur semblable à celui qu’elle avait connu. Florine était ravissante et point sotte ; ce souhait d’un mère aimante devait, aurait du pouvoir se réaliser.
Hélas ! Une fée malencontreuse avait dès le berceau voué la princesse à « n’aimer que celui qu’elle ne pourrait voir et à se méfier de l’amant qu’elle aurait auprès d’elle. »
Quand Florine fut en âge de choisir un époux, le mauvais présage était plus ou moins oublié. La reine fit faire un portrait de la princesse et l’envoya à la cour des rois ses voisins ; puis elle invita tous les célibataires à de grandes fêtes. Pendant un mois, ce ne furent que bals, dîners, concerts, feux d’artifices et tournois. Tous les chevaliers rivalisèrent de prouesses pour les beaux yeux de Florine.
Un seul des princes du voisinage ne parut pas à ces fêtes. On lui avait pourtant envoyé comme aux autres, invitations et portrait. Seulement, le roi son père, avait connu deux unions malheureuses : la première à cause des infidélités d’une épouse dont seule la mort le délivra ; la seconde, parce que la nouvelle reine épouvantablement jalouse, le faisait surveiller jour et nuit et lui faisait des scènes effroyables. Soit par chance, soit pour d’autres raisons, elle aussi mourut jeune. Mais le roi, désormais persuadé que les femmes et le mariage étaient les ennemis du bonheur, résolut d’épargner ces chagrins à son fils unique.
Il le fit élever à l’écart, hors de la présence de toute femme ; des professeurs étaient chargés de l’instruire en évitant toutes matières où il était question de femmes et d’amour. Le jeune prince grandit ainsi, fort heureux, partageant son temps entre la philosophie, les mathématiques et les exercices physiques.
Et pourtant… les fées ou le hasard, allez savoir, placèrent sous ses pas, un jour qu’il se promenait dans les jardins, le portrait de Florine. Il n’avait jamais vu, soit vifs, soit en image, que des visages masculins. Il ignorait jusqu’à l’existence des femmes. Jugez de sa stupeur et de son ravissement quand il eut sous les yeux la plus belle jeune fille qui fut à des lieues à la ronde.
Il comprit alors qu’on lui avait caché bien des choses et voulant parfaire son éducation, il résolut de sortir de ce château qu’il envisageait désormais comme une prison. Il parvint à s’évader mais   parcourut bien peu de chemin avant de rencontrer la fée, soucieuse de veiller à l’accomplissement de son sortilège.
Pendant ce temps, Florine dansait à tous les bals, présidait tous les tournois, ne manquait aucune fête, les princes et les rois lui faisaient la cour, mais elle ne parvenait à en choisir aucun. Elle les trouvait tous en tout points parfaits et se disait : « Pourquoi celui-ci plutôt que celui-là ? ». Tous méritaient sa main, aucun ne méritait de souffrir. La reine voyant que d’autres unions se nouaient entre princes éconduits et demoiselles de la cour, mit fin aux festivités pendant qu’il restait encore quelques héritiers disponibles.  (1)



Florine, fatiguée de la cour et de ses contraintes, demanda la permission de se retirer dans une maison de campagne où elle avait un joli jardin. Elle avait toujours préféré ses massifs de fleurs et ses parterres de roses aux obligations d’une princesse héritière. La reine, pensant qu’un peu de solitude et d’ennui la ramèneraient à de meilleurs sentiments envers ses prétendants, la laissa partir.
A peine arrivée Florine fit le tour de son domaine et s’attarda dans la roseraie où elle aimait prendre soin de ses arbustes et aussi leur parler. Elle se penchait sur chaque rosier, lisant le nom  écrit au pied de chacun, la date où il avait été planté, les soins particuliers dont il avait besoin. L’un d’eux ne portait aucune indication ; elle ne se souvenait pas l’avoir jamais vu. Il était cependant plus vert et plus fleuri que les autres et bien qu’il n’y eût pas de vent, ses branches se ployaient, ses feuilles s’agitaient, ses fleurs frémissaient et embaumaient à son approche. Elle s’éloigna, revint, et chaque fois qu’elle approchait, le rosier s’agitait de plus belle.  Une des roses se tendit vers elle et elle la cueillit, mais se piqua si fort que la douleur l’empêcha de dormir. Elle pensa toute la nuit au rosier et se leva de bon matin pour l’aller revoir. L’arbuste se mit de nouveau à danser devant elle, à embaumer tant qu’elle oublia la piqûre et se pencha pour tenter de retrouver son nom dont elle ne pouvait se souvenir.  Une longue branche l’agrippa et s’entortilla si bien dans ses jupons qu’elle n’aurait pu s’en détacher sans déchirer ses dentelles.
« Mais vas-tu me lâcher ? » lui dit-elle gentiment. A sa grande surprise, le rosier soupira.
« C’est le vent, se dit-elle ; je parle à mes rosiers, c’est vrai, mais je ne les ai jamais entendu me répondre ! »
« Parce que je ne suis pas un rosier, princesse ! Je suis puni pour avoir voulu connaître ce que je devais ignorer. Seul un amour sincère pourrait me délivrer et je crains de devoir toujours rester dans cet état ! »
Florine qui jusque là, séduite par les grâces du rosier,  avait pris soin de lui plus que du reste du parterre, fut effrayée. Comment croire à ce sortilège ? Elle ne pourrait se confier à personne et si l’on rapportait la chose à sa mère, celle-ci l’obligerait à rentrer à la cour et elle devrait encore rencontrer différents prétendants dont elle n’avait que faire. Elle résolut de s’éloigner du rosier et de se consacrer au reste du jardin. Mais le rosier de loin la voyait et soupirait de plus belle .Florine l’entendait.  Elle s’aperçut un jour qu’il dépérissait. Elle le fit alors transporter dans une gloriette, recouverte de roses grimpantes et de clématites, où près d’une fontaine se trouvait un banc de marbre.  Elle vint là s’asseoir tous les jours et prit l’habitude d’écouter l’arbuste et de se confier à lui. Quand elle était sur le point de partir, il lui offrait les plus belle de ses roses et chaque soir, dans sa chambre un bouquet odorant l’aidait à s’endormir.
Florine, heureuse, ne voyait pas passer les jours.  A plusieurs reprises, elle avait reçu de sa mère des messages la priant de revenir à la cour. La princesse n’en avait tenu aucun compte. Ce fut un ordre, que la reine impatientée lui manda : Florine devait rentrer le jour même. Chagrinée, elle fit le tour de son jardin et s’assit longuement près du rosier à qui elle fit des adieux touchants. Elle versa même quelques larmes qui glissèrent sur les feuilles et jusque dans le cœur des roses. Un frémissement intense s’empara de l’arbuste qui disparut pour laisser agenouillé près d’elle, le plus charmant des princes.
Florine rougit, pâlit, frémit, se sentit faible et sur le point de perdre l’esprit ; mais son éducation était sans faille : elle parvint à se dominer et c’est d’un ton presque naturel qu’elle invita le prince à l’accompagner à la cour. Blog  08 09 09
La reine, bien heureuse de voir sa fille accompagnée d’un fiancé de son goût, ne prêta aucune attention à l’histoire du rosier. Il lui suffisait de savoir que le prince était de bonne naissance et l’unique héritier d’un royaume voisin. On les fiança.
Le prince qui avant d’être rosier avait toujours vécu dans la solitude eut un peu de mal à se plier aux usages d’une cour assez mondaine. Il lui arriva de regretter la tonnelle où chaque jour il avait Florine pour lui seul. Il avait hâte d’être enfin marié pour retourner avec sa nouvelle épouse dans la calme maison de campagne.
La princesse pour sa part, était tourmentée de scrupules. Elle pensait à la fée et au sortilège dont elle ne connaissait plus les termes exacts ; elle se souvenait juste qu’une menace planait sur cet amour.
« Au fait, se disait-elle, mon prince n’avait jamais vu de femme avant de m’aimer. Si par hasard une autre venait à le séduire, je ne pourrais le supporter. Il faut le mettre à l’épreuve. »
Elle fit venir sa mère et son futur époux pour les informer de son désir de retarder le mariage.
« Je veux, dit-elle au prince, m’assurer de votre fidélité. Partez courir le monde ; quand vous aurez bien voyagé, si vous m’aimez encore, alors je serai à vous pour toujours. »
En entendant ces mots, le prince crut mourir de chagrin ; il ne protesta pas,  mais tomba malade et c’est atteint d’une violente fièvre qu’il embarqua sur le navire qui devait l’emmener par le monde. Il ne savait pas jusqu’alors ce que signifiait l’absence ; ce fut pour lui la plus cruelle des tortures. Pour Florine aussi, à cette différence qu’elle-même avait choisi son mal.
Le navire voguait, la fièvre du prince augmentait ; il fallut aborder dans la première île qu’on aperçut, dans l’espoir d’y trouver un médecin qui le pourrait  soulager.
Il se trouva que cette île était enchantée. Sa reine en était La Jeunesse, une beauté adolescente qui cherchait un époux qui lui convint. Comme elle le souhaitait d’âge et de goûts assortis aux siens, elle n’en trouvait point. Sur cette île entièrement dédiée aux jeux, aux plaisirs et à la beauté, il n’y avait jamais eu de médecin, personne n’étant jamais malade, personne ne vieillissait.
On conduisit le malheureux prince au palais de La Jeunesse où la curiosité fut grande de voir un homme de cet âge et dans un tel état. Les habitants de l’île, elfes et nymphes aux allures d’adolescents, accoururent à lui,  lui offrant fleurs, fruits et friandises,  le poussant à se joindre à leurs ébats. Toute cette gaieté et l’air enchanté du domaine ne tardèrent pas à lui rendre la santé et le charme que la tristesse lui avait fait perdre. Dès qu’on le jugea présentable, on le conduisit au palais de la jeune reine. Le chemin qui y menait était bordé de toutes les fleurs du printemps : des lilas embaumaient, des pivoines semaient leurs pétales sous ses pas. Le trône était couvert de jasmin et la souveraine, d’une beauté adolescente, jouait avec des jeunes gens qui paraissaient comme elle n’avoir pas plus de quatorze ou quinze ans. On se jetait des fleurs, on lançait des balles et des volants ; le reine se leva pour jouer avec les autres ; ses longs cheveux se dénouèrent et le haut de sa robe glissa, laissant apercevoir un sein encore presque enfantin. Le prince Rosier en eut quelques distractions ; il pensa moins à Florine.
Il avait alors vingt-quatre ans ; dix de plus que n’en paraissait la reine qui se mit à penser que le mariage avec un homme mûr pouvait n’être pas une si mauvaise chose. Elle se mit en devoir de le séduire et fit taire quelques impertinentes demoiselles d’honneur qui demandaient au prince des nouvelles des siècles passés. Le prince tout d’abord ne sembla pas remarquer les attentions dont il était l’objet. Il n’avait pas l’usage des femmes et il aimait Florine. Mais la reine redoubla de séductions et lui promit avec le mariage, la jeunesse éternelle. Il commençait à se laisser séduire, l’image de sa fiancée devenait chaque jour plus lointaine. Blog 09 09 09
Florine et Rosario (fin)
De son côté, la princesse, à peine le prince Rosier fut-il hors de sa vue, se mit à souffrir horriblement de son absence. Elle tenta de se raisonner : elle avait voulu mettre son amour à l’épreuve, il fallait donc la subir. Les semaines passaient lui donnant de plus en plus de tourments. Elle se mit à craindre pour la vie de son fiancé ; la jalousie vint s’ajouter à l’inquiétude. Elle n’y tint plus et envoya à sa recherche avec un message d’amour et de regrets pour l’avoir éloigné et lui demandant de revenir au plus vite.
Il était temps ; le prince commençait à succomber aux charmes de la Jeunesse . Cependant, il avait tant vécu à l’écart du monde et de ses usages, qu’il se crut obligé d’être fidèle. Il eut de la peine cependant à quitter l’île enchantée et ne mit aucune précipitation à rejoindre sa première fiancée. Mais quand il lui revint que la Jeunesse, furieuse de le voir partir promettait à qui le lui livrerait mort ou vif, tous les avantages qu’elle lui avait offert, il fut guéri de cette amourette et s’en fut au plus vite retrouver sa fiancée.
La princesse toute heureuse de son retour, ne s’inquiéta pas de savoir s’il avait ou non été fidèle. On les maria. Puis, comme son père était mort, le prince devenu roi, dût rentrer dans ses terres où il emmena son épouse.
Ils furent quelques temps heureux, mais Florine eut le tort de lui faire raconter son séjour dans l’île et le roi le tort encore plus grand de lui avouer le penchant qu’il avait eu pour la reine de la Jeunesse. Elle lui fit une scène affreuse et lui interdit ses appartements. Et comme en dépit de ses demandes de pardon, elle persistait à le tenir à l’écart, il tenta de guérir sa tristesse auprès des dames de la cour. Florine l’apprit ; elle le fit surveiller. Elle n’ouvrait plus la bouche que pour lui faire des reproches.
Le roi, aussi peu fait pour être roi que pour être mari, supplia la fée de lui rendre son état de rosier. Ce qu ‘elle fit ; tout heureux, il redevint le plus vert et le plus odorant des arbustes.
Florine pour sa part ne pouvait plus supporter le parfum de ces fleurs qui lui donnaient le regret de son amour perdu.

1 commentaire:

manouche a dit…

"Le roi aussi peu fait pour être roi que pour être mari"... on en connait un autre !

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