Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

mercredi 29 janvier 2014

Lancelot du Lac- (1) La dame du Lac


Avec l'aide du roi Arthur et de Merlin aux mille tours, le roi Ban de Bénoïc et son frère Bohort de Gaunes avaient pu repousser leur ennemi Claudas de la Terre Déserte. Celui-ci s'était refugié à Rome où il s'était soumis à l'Empereur. Après quelques années de paix pour la Bretagne, Claudas était revenu et, secondé par l'armée romaine, il tentait à nouveau de s'approprier les terres de Ban et de Bohort.
Impuissants devant une telle force, les deux frères avaient de nouveau demandé secours à Arthur. Mais le roi, lui-même en butte aux attaques des Scots et des Saxons tardait à répondre. Ban résolut d'aller lui-même plaider sa cause à Kaamelott. Trèbe, sa belle ville était menacée, aussi emmena-t-il avec lui son épouse Helène et son fils à peine âgé de dix-huit mois. Il confia les clefs de la citadelle à son sénéchal et chevaucha enb direction de la mer. Trèbe était située dans une région de lacs et de marais où l'on peinait parfois, surtout par temps de brume, à distinguer l'eau de la terre.
Le soir venu, la troupe fit halte près d'un grand lac que l'on nommait le lac de Diane. Laissant Hélène et l'enfant sous la protection de l'escorte, Ban monta sur une colline proche pour voir une dernière fois sa citadelle aimée.
Mais à Trèbes, le sénéchal n'avait pas attendu longtemps pour trahir et livrer la citadelle. Claudas aurait voulu la garder intacte, mais ses troupes déchaînées et mal maîtrisées l'avaient mise à sac et incendiée.
Ban du haut de sa colline, vit s'élever la fumée, puis les flammes. Le choc fut tel qu'il tomba de cheval, une douleur lui broyant la poitrine. Au prix d'un effort inimaginable, il réussit à se remettre en selle pour aller annoncer la terrible nouvelle à son épouse. Mais à mi-chemin, il ressentit une souffrance telle qu'il vida les étriers et tomba à terre pour ne plus se relever.
Hélène, voyant la monture revenir sans son cavalier, déposa son bébé au pied d'un arbre et courut au secours de son époux, suivie par l'escorte. Il était Hélas trop tard. Hélène pleura longtemps tandis que les hommes tentaient de ranimer leur roi. Enfin, elle se souvint du bébé qui était resté seul et courut jusqu'à l'arbre où elle avait laissé le couffin. Elle vit alors une très belle jeune femme vêtue de blanc qui s'éloignait en tenant l'enfant dans ses bras. Hélène cria, pleura, la supplia de lui laisser son fils unique tout ce qui lui restait au monde après la mort de son roi, mais la femme ne s'arrêta pas. Elle se retourna, lui sourit étrangement et continua d'avancer, sans que la mère désespérée puisse la rattraper, en directrion du lac. La malhaureuse Hélène la vit s'enfoncer dans l'eau: les pieds, la taille, puis tout le corps avant que l'eau du lac se referme sans même une ride à la surface. Hélène perdit connaissance.

dimanche 26 janvier 2014

Holda la Chance

L'Epiphanie est passé et si quelques indigestes galettes vous guettent encore embusquées dans une morose salle polyvalente, vous pouvez au moins, peureux humains passer des nuits calmes sans redouter la fantastique et bruyante chasses des Ases menée par le char de Holda la fée des airs... Une chasse aérienne dont le vacarme, secondé par la sinistrose des journaux télévisés vous a fait craindre luttes, combats et attentats divers.
Holda pourtant n'est pas une fée malfaisante, bien au contraire. Si elle gouverne les vents tumultueux de l'hiver, sait accorder à ceux qui l'aiment, l'intelligence, un esprit vif et attire sur eux la chance.
Seulement voilà... avec l'Epiphanie Holda et sa suite sont passées. Alors, souvenez-vous l'année prochaine, dès le temps de l'Avent, quand vous entendrez s'entrechoquer les nuages au souffle du vent d'hiver, ne plongez pas craintivement sous la couette; mettez le nez à la fenêtre et souriez à Holda l'Aérienne.

samedi 25 janvier 2014

Un vrai malheur de la vraie Sophie

Sur la lande bretonne des loups chantent la pleine lune. Dans la chambre haute d’un manoir, une vieille dame les écoute. Elle ne peut pas dormir ; un vieux cœur fatigué l’étouffe ; l’empêche de bouger, de marcher, de vivre… D’ailleurs, elle ne vivra plus longtemps ; bientôt elle sera libre… Libre comme les loups.
Ceux là sont peu nombreux ; un couple et quelques jeunes. Du train où on les chasse, il n’y en aura bientôt plus
Elle ne craint pas les loups ; elle n’aime pas les chasseurs.
L’hiver, les loups affamés hurlaient par centaines dans les forêts de son pays natal ; on les voyait galoper sur les plaines glacées. Il fallait aux voyageurs une solide escorte pour leur échapper. Parfois même, devait-on leur livrer un cheval.
C’est ce qu’on racontait , ce qu’elle a raconté .
Mais jamais son père le gouverneur n’aurait sacrifié un seul des cent chevaux de son haras. Quand il voyageait, avec ou sans sa famille, plusieurs dizaines de cavaliers armés accompagnaient son traîneau et ceux de sa suite. C’était toujours escorté de cette véritable armée que se déplaçait le général-comte R… gouverneur de la capitale et sa famille . Des loups n’auraient jamais osé menacer un tel équipage. 
Les loups sont craintifs ; les bergers le savent bien et elle aussi. Dans son premier roman une des petites filles modèles le dit: « les loups sont poltrons » Il suffit de claquer les sabots l’un contre l’autre pour les faire déguerpir ; et puis, ils ont peur des chiens. 
Ce sont les lévriers de sa mère qui ont fait fuir ceux qui …. Mais à vrai dire ce n’étaient pas des loups. Les loups qui emportent la petite fille c’est dans le roman… La vraie histoire, elle s’en souvient : elle avait quatre ans. Sa mère lui avait dit qu’elle était assez grande désormais pour l’accompagner dans ses promenades en forêt.
« Mais prend bien garde, avait-elle ajouté, tu sais que je marche vite ; ne traîne pas en arrière, ne rentre pas dans le sous-bois, reste bien sur le chemin près de moi et des chiens. »
Et c’est vrai qu’elle marchait vite, la mère de Sophie ; la petite trottinait derrière faisant quatre enjambées pour une de sa mère. Sa mère si belle, si élégante, si sévère. Et l’écart se creusait ; les chiens joyeux bondissaient d’avant en arrière. Et la petite voyait la silhouette maternelle de plus en plus loin sur le chemin ; un bouffée de désespoir lui monta au cœur : elle en eut la certitude, sa mère l’avait emmenée en forêt pour la perdre. Pas parce qu’elle ne pouvait plus la nourrir comme Hansel et Gretel ou le Petit Poucet ; ses parents étaient riches. Mais parce qu’elle ne voulait plus d’elle. Elle en avait assez de la punir sans jamais l’améliorer.
« Taisez-vous bavarde ! On ne comprend rien à vos histoires ! » Elle aimait tant raconter des histoires !
« Vilaine menteuse ! Qu’avez-vous encore inventé ? » Elle ne croyait pas mentir ; elle arrangeait juste un peu la réalité pour la rendre plus belle.
« Montrez-moi vos mains, vilaine gourmande, petite voleuse ! ». Mais les bonbons, les fruits confits , les gâteaux qui sont là sur les tables, quand on a faim, c’est tentant ! 
« Voulez-vous bien rester un peu tranquille, ne courez pas, ne grimpez pas partout ! Comportez –vous comme une petite fille sage ». Mais les garçons, eux ont le droit de courir, de grimper aux arbres et elle peut le faire aussi bien qu’eux !
« Calmez-vous mademoiselle le coléreuse et filez dans votre chambre ». Comment ne pas se mettre en colère parfois, quand on vous reproche chaque geste que vous faites ?
Et pourtant, elle voudrait tant devenir telle que sa mère la souhaite !
C’est trop tard désormais, elle va rester dans la forêt ; devenir la proie d’une sorcière, ou d’un ogre qui l’engraissera avant de la manger. Le chagrin lui pique les yeux ; devra-t-elle sacrifier les deux gimblettes qu’elle a dans sa poche ? les émietter pour retrouver son chemin. Inutile ; les oiseaux mangeraient les miettes ; il vaut mieux les garder pour plus tard, quand elle aura faim. Elle a d’ailleurs un petit peu faim déjà. Elle trotte pour rattraper sa mère, mais à travers ses larmes elle voit le long du bois des points rouges et cette odeur, fruitée, sucrée, pas de doute ce sont des fraises ! elle adore les fraises… 
Ne pas rester en arrière, ne pas s’écarter du chemin… oh, juste une ou deux fraises et d’ailleurs elle sait que sa mère se rend chez son fermier ; elle n’aura qu’à courir. Elle s’accroupit… un ou deux fraises… Mais il y en a plein… elle suit les fraises dans le sous-bois…
Un autre enfant a vu aussi les fraises… Un enfant de sa taille mais qui n’a que quelques mois…
Qu’il est joli ce nourrisson poilu, tout brun, tout velouté, un gros jouet et Sophie veut le toucher, le caresser, mais elle lui fait peur. Le bébé crie et sa mère se précipite. Elle est là dressée devant la petite fille, griffes en avant gueule ouverte sur des dents énormes. Sophie accroupie le contemple médusée. Elle a peur un peu, mais ne panique pas ; elle a entendu les chasseurs raconter : devant un ours, on ne doit pas bouger.
L’ourse gronde, une galopade effrénée casse des branches mortes, les chiens aboient, mettent en fuite la mère et l’ourson. 
Et l’autre mère surgit alors ; elle s’empare de sa fille, la gifle à toute volée et dans le même mouvement la serre farouchement contre elle. De cette étreinte, Sophie devra se souvenir toujours, car elle ne recevra guère d’autre manifestation d’amour .

jeudi 23 janvier 2014

La Vie

"Qu'est-ce que la vie? C'est l'éclat d'une luciole dans la nuit. C'est le souffle d'un bison en hiver. C'est la petite ombre qui court dans l'herbe et se perd au couchant."
Crowfoot

mercredi 22 janvier 2014

Le Verseau



Le 20 du mois, Janvier devient Pluviôse et entre dans le signe du Verseau. Il y trouvera, légèreté, souplesse, intelligence active. Ses pierres sont l’ambre, symbole de sa chance et l’améthyste à l’éclat froid et mystique.
Le Verseau, c’est le souffle de la liberté ; l’indépendance, l’innovation, le progrès, l’utopie. Il sait remettre en cause et de façon radicale son existence.
Ce grand vent peut enflammer le Bélier juvénile ; mais que ce dernier prenne garde à ne pas provoquer le grand souffle de tempête qui pourrait aussi bien  l’éteindre que  provoquer l’incendie destructeur.
Le Verseau entretiendra la chaude flamme du foyer du Lion, en cas de besoin rafraîchira sa canicule et ravivera les braises mourantes du Sagittaire
Après avoir été représenté par une jeune fille versant l’eau de ses amphores, le Verseau est désormais figuré par un jeune homme … Ganymède.

lundi 20 janvier 2014

Civilisation

Le dieu de la mer du sud s'appelle Shu (Ephémère),le dieu de la mer du nord s'appelle Hu (Fugitif), le dieu du centre s'appelle Hun Dun (Chaos). Ephémère et Fugitif se rencontrent souvent dans le domaine du Chaos qui les accueille fort bien. Ephémère et Fugitif cherchent à le remercier de sa gentillesse et ils se disent: "Les hommes ont tous sept orifices (deux yeux, deux oreilles,une bouche et deux narines) pour voir, écouter, manger et respirer. Celui-là n'en a pas, on peut essayer de lui en percer." Ils lui percent un orifice par jour et, au bout de sept jours, Chaos est mort. (Zhuangzi, ch 7).

Dans Wang Dongliang - Les signes et les mutations, p.24

lundi 13 janvier 2014

Phèdre




PHEDRE - 
Ah! douleur non encore éprouvée!
Tout ce que j'ai souffert, mes craintes, mes transports,
La fureur de mes feux, l'horreur de mes remords,
Et d'un cruel refus l'insupportable injure
N'étaient qu'un faible essai des tourments que j'endure.
Ils s'aiment! Par quels charmes ont-ils trompé mes yeux?
Comment se sont-ils vus? Depuis quand? En quels lieux?
Les a-t-on vu souvent se parler, se chercher?
Dans le fond des forêts allaient-ils se cacher?
Tu le savais! Pourquoi me laissais-tu séduire?
De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m'instruire?
Hélas! ils se voyaient avec pleine licence;
Le ciel de leur soupirs approuvait l'innocence.
Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux,
Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux.
Et moi, triste rebut de la nature entière,
Je me cachais au jour, je fuyais la lumière.
La mort est le seul dieu que j'osais implorer.
J'attendais le moment où j'allais expirer.
Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,
Dans mon malheur encore de trop près observée,
Je n'osais dans mes pleurs me noyer à loisir:
Je goûtais en secret ce funeste plaisir
Et, sous un front serein déguisant mes alarmes,
Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.

OENONE 
Quel fruit recevront-ils de ces vaines amours?
Ils ne se verront plus.

PHEDRE - 
                                            Ils s'aimeront toujours .



Jean RACINE

dimanche 12 janvier 2014

A propos d'Oedipe alm

Si Oedipe, au lieu de courir après les chevaux de Polybos, s'était tenu tranquille, ça n'aurait pas fait l'affaire du docteur Freud, puisqu'il n'aurait probablement pas tué Laïos ni épousé Jocaste. En fait, c'est l'histoire d'un type qu'on a rendu boiteux et qui ensuite, n'y voit tellement pas qu'il finit par se crever les yeux.
Oedipe est le jouet des dieux, des Parques, du destin. Le seul moment où il agit et triomphe, c'est l’affrontement avec la Sphynxe; mais cette victoire le mène à Thèbes, à l'inceste et pour finir à la ruine de sa famille et de son pays, comme l'avait annoncé l'oracle..
L'enseignement de cette légende, serait qu'on peut être boiteux, c'est à dire avoir une destinée difficile, mais qu'il faut savoir ouvrir les yeux et  prendre l'oracle non pour une prédiction mais pour un avertissement et agir alors avec discernement.
Ceci posé, à aucun moment de l'histoire Oedipe ne rencontre le « donateur » qui pourrait le guider.
La légende d’Œdipe nous est parvenue portée par la littérature et la tragédie et sans doute modifiée par les auteurs si anciens soient-ils. La question est : les contes sont-ils capables de nous faire retrouver la source de l'histoire?
Une autre question se pose: et si l'analyse de Freud était faussée justement parce qu'i l est parti d'un mythe littéraire et pas d'un mythe "racine"? Déjà, l'histoire des chevaux n'existe pas dans toutes les versions.
Etrange histoire que celle de celui dont le nom signifie « Pieds enflés »

A sa naissance, l'oracle avait prédit qu'Oedipe tuerait son père, épouserait sa mère et bien évidemment causerait la ruine de son pays. Aussi avait-il été décidé d'"exposer" l'enfant, c'est à dire après lui avoir lié les pieds, pour être assuré qu'il ne puisse bouger  il est abandonné dans un lieu désert où il sera normalement bouffé par des bêtes sauvages, s'il ne meurt  pas tout seul.
Bien évidemment, un berger recueille l'enfant et le fait adopter par le roi de Corinthe qui l'élève dans l'ignorance de ses origines.
A l'âge adulte, Œdipe poursuivant des chevaux, sur un chemin étroit rencontre l'équipage d'un homme important. Ni l'un ni l'autre ne veulent céder le passage ils se battent, et Oedipe tue l'homme dont il ignore qu'il est son père et roi de Thèbes.
La suite de l'histoire.... bien sûr  sa victoire sur la Sphynxe , son entrée triomphale à Thèbes où il épouse la reine veuve réalisant ainsi la prédiction de l’oracle.
Mais pourquoi Oedipe accepte-t-il d'épouser une reine qui a l'âge d'être sa mère? ... (et d'ailleurs, elle l'est).
1/ parce que devenir roi de Thèbes est un avenir tentant...
2/ il peut arriver que refuser un honneur soit perçu comme une injure d'où danger mortel pour celui qui refuse.
3/ on mariait les filles jeunes; la différence d'âge pouvait n'être que d'une quinzaine d'années. Si Oedipe a moins de vingt ans, Jocaste n'a guère plus de 35, aussi est-il vraisemblable qu'ils aient eu quatre enfants... indispensables à l'écriture d'autres tragédies: Antigone... la ThébaÏde...
Que nous dit le conte ?
Le seul conte merveilleux qui parle d'inceste (à ma connaissance) , est Peau d'Âne, mais les genres sont inversés et Peau d'Âne ne tue personne; sauf l'âne aux crottins d'or dont elle demande la peau.
Si l'on en croit AA et TH, Peau d'Âne fait partie du même groupe que Cendrillon. Dans Cendrillon, les souris deviennent chevaux qui redeviennent souris aux douze coups de minuit.
La pantoufle de Cendrillon est un anneau dans Peau d'Âne.
Pas de cheval dans Peau d'Âne, mais l'âne est un équidé.
Et puis, si je me souviens bien, dans Lévi-Strauss, certains mythes Bororo assimilables à Cendrillon comportent un inceste; et là, c'est le jeune garçon qui a une relation sinon avec sa mère, du moins avec l'épouse de son père... ce qui nous ramène à Oedipe...
Ca se tient semble-t-il...

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Les Chouchous