Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

dimanche 8 décembre 2013

Les Contes de Noël

C'est un peu tôt? Au moins comme ça vous ne serez pas pris au dépourvu le soir venu..

Lanterne magique

Il y a bien longtemps, dans un pays de montagne au début de l’hiver : le brouillard dans la vallée était si dense que les jours ressemblaient aux nuits. Partout l’humidité s’infiltrait, pire que le froid.
Un jeune homme était berger ; ses parents disparus avaient laissé à sa garde non seulement les moutons mais aussi son jeune frère. Lassé de ce temps triste, de ce jour qui se montrait à regret et des bêlements du troupeau confiné dans l’étable,  le berger résolut de conduire tout son monde vers les sommets, au-dessus des nuages, là où toujours brillait le soleil. Certes, il y faisait froid, mais du moins le ciel était bleu.
Avant de se mettre en route, il confia à son frère un agneau nouveau-né. Et le troupeau s’ébranla, encadré par les chiens. On n’y voyait pas à deux pas ; l’enfant n’était pas rassuré, mais il avait un agneau à protéger et du coup, il se sentait plus fort.
Ils restèrent une semaine sur l’alpage ; l’agneau comme un jeune chien dormait contre le petit garçon qui tout le jour jouait avec lui. Et l’agneau, son grand frère l’avait prévenu pourtant, l’agneau devenait de plus en plus familier et intrépide. Il s’éloignait du campement au risque de tomber dans un précipice ou de se faire dévorer. Et le gamin passait son temps à lui courir après.
Quand le berger vit que l’herbe avait été broutée, il rassembla tout son monde et prit le chemin du retour. L’agneau avait disparu.
Le jeune homme était furieux !
- Ca t’apprendra ! dit-il à son frère. Je t’avais prévenu ; tu l’as trop gâté. Tu n’as plus qu’à le chercher maintenant. Moi, je dois rentrer les bêtes avant la nuit. Tu connais le chemin et tiens, voici une lanterne au cas où tu serais toujours dehors à la nuit tombée.
C’était une lanterne que son père gardait précieusement ; il l’avait reçue jadis d’un voyageur qu’il avait hébergé. Et l’on disait que quiconque avait avec lui cette lanterne ne pouvait pas s’égarer, ce qui réconforta un peu le gamin qui n’en menait pas large à l’idée de rester seul dans la montagne. Il regarda tristement le troupeau s’éloigner et entreprit  ses recherches. Mais il eut beau appeler, fouiller les buissons, explorer les anfractuosités des rochers, se pencher au-dessus des précipices, aucune trace de l’agneau. Le soleil tout rouge disparaissait derrière les sommets ; découragé, il ne savait plus que faire. Il aurait bien voulu regagner le village mais il ne pouvait abandonner son agneau. Il était sur le point de se mettre à pleurer quand venant de derrière un rocher, il entendit comme un bruit de branches et de feuilles remuées.
Il se précipita en appelant : « Agneau ! mon agneau ! viens mon petit, viens, je suis là ! »
Mais au lieu du gentil bêlement, il entendit une grosse voix rauque lui répondre : « Qui va là ? Hé, ho ! ch’uis pas un mouton, non mais ! »
En même temps, un être qui lui parut immense se dressa devant l’enfant, prêt à s’enfuir.
C’était un homme très grand, barbu, chevelu, porteur d’une cape, coiffé d’un feutre à larges bords ; il avait des pistolets croisés dans sa ceinture et une lourde canne à la main.
« Te sauve pas comme ça, gamin ! dit en riant le terrible personnage. C’est un agneau que tu cherches ? Il n’est pas loin ; je l’ai vu tout à l’heure dans le champ d’oliviers, là-bas. »
Il riait,  l’homme terrible en indiquant du bout de sa canne la direction du couchant. C’est que lui aussi avait eu peur en entendant du bruit. C’était un brigand recherché par tous les gens d’armes du royaume.
« Oh, merci, monsieur, merci ! Vous aussi semblez perdu ; est-ce que je peux vous aider ? »
Le bandit partit d’un rire énorme : comment ce petit qui cherchait un agneau pourrait- il l’aider ?
« Personne ne peut m’aider mon garçon ! Je ne peux que disparaître dans la nuit ! »
Il y avait dans sa voix une mélancolie qui émut le petit. Lui qui avait si peur du noir ! Alors il considéra sa lanterne; elle avait à l’intérieur quatre chandelles, il en prit une et la tendit à l’homme.
" Tenez, dit-il, elle vous guidera ; moi, il m’en reste encore trois ! »
Puis il s’en fut en courant vers le champ d’oliviers où il espérait retrouver son agneau. L’homme ému le regarda partir. C’était la première fois de sa vie qu’on lui faisait un cadeau, la première fois qu’on lui disait merci.
Sous les oliviers, l’enfant  ne trouva pas d’agneau,  mais tout au bout du champ, s’ouvrait  une grotte. Sans doute l’agneau, voyant tomber la nuit, s’était-il réfugié là. Il faisait sombre à l’intérieur ; une forme bougeait. Le garçon entra, les mains en avant et sentit une fourrure. Pas de mouton hélas, mais bien du poil de loup ! Affolé, il tourna les talons pour s’enfuir, mais il était retenu pas un pan de sa cape. Le loup l’avait attrapé ; tout tremblant, il tentait de se libérer, mais déjà l’animal l’avait lâché et s’était mis à gémir. Il regarda mieux et vit la patte du loup qui saignait. Alors il déchira un morceau de sa cape, nettoya la plaie du mieux qu’il put et fit un bandage de fortune. Le loup lui lécha la main et l’enfant oubliant d’avoir peur caressa la tête du fauve. Puis il se dirigea vers l’orée de la grotte, mais de nouveau le loup le retint par le bas de sa cape ;  comme les chiennes de son frère, ses yeux étaient d’ambre et fendus en amande. L’enfant poussa un gros soupir; il ressemblait tant à la plus grise , ce loup !
« Allons, il faut partir ; je resterais bien près de toi, mais je dois retrouver mon agneau ! »
Il réfléchit un peu et prit une bougie dans sa lanterne :
« Tiens, elle te tiendra compagnie et tu penseras à moi… Il m’en reste encore deux après tout ! »
Toute la nuit et le lendemain tout le jour, l'enfant chercha son agneau mais en vain… Il avait tant tourné, tant viré qu’il était perdu. Il fallait redescendre, son frère allait s’inquiéter. A la tombée du jour, il arriva près d’un village qu’il ne connaissait pas.
Un mendiant au bord du chemin lui demanda l’aumône, mais l’enfant n’avait rien. Ni argent, ni même un croûton de pain. Et d’ailleurs, il avait faim… si faim que la tête lui tournait.
« Je n’ai rien, dit-il au miséreux, rien que ces deux bougies. Tiens, prends-en une; j’ai assez avec celle qui me reste "
« Merci, dit le pauvre homme. Sois heureux et que tous tes vœux se réalisent ! »
« Mes vœux,  pensait l’enfant… je voudrais tant retrouver mon agneau et rentrer chez moi…!»
Il marcha encore un peu  ; la nuit était tombée. Une grange se trouvait là ; il se nicha dans la paille en songeant que c’était Noël et qu’il était là, tout seul, dans le noir. Il n’osait pas allumer se dernière bougie. Il fallait la garder au cas où il en aurait vraiment besoin. Roulé en boule dans les ballots, il se mit à songer aux Noëls d’avant, quand sa mère préparait des gâteaux et des présents qu’on mettait devant la crèche… Il eut de grosses larmes, puis des sanglots et comme tous les enfants, après avoir bien pleuré, il s’endormit en rêvant à la crèche.
Il faisait sombre encore quand il ouvrit les yeux dans une bonne odeur de paille sèche et de bétail bien soigné… des souffles chauds couraient sur ses joues… tendant les mains, il sentit des poils…sa main gauche se perdait dans une vaste oreille et la droite serrait une corne. Il se dressa, alluma sa dernière bougie. Un âne et un bœuf le veillaient et là, à ses pieds, innocent comme si jamais il ne s’était sauvé… son agneau, son agneau qu’il avait tant cherché !
Le jour se levait. Escorté des trois animaux,  le petit berger sortit de la grange et reconnut la route et les premières maisons de son village… Son père avait dit vrai… la lanterne avait guidé vers l’agneau et l’avait ramené chez lui.








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