Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

mardi 12 mars 2013

Les deux clés d'or

Ils étaient deux dans un jardin qui attendaient le printemps et le réveil des fées. L'hiver n'en finissait plus et les "Demoiselles des Fleurs", peu soucieuses de gâcher leurs fragiles toilettes dans la boue, dormaient encore à l'abri des buissons d'aubépines. Elles avaient çà et là, semé quelques crocus, laissé quelques clochettes blanches percer la neige, mais bien vite, elles étaient rentrées se cacher dans les buissons épineux enguirlandés de lierre. Les fées des roses et des violettes , gardant jalousement leurs sachets de parfum semblaient disparues à jamais et les deux jardiniers se désolaient.
Puis un jour, entre deux averses, un rayon de soleil éveilla Primevère; elle défroissa sa robe aux tons pastels et d'un doigt toucha des bouquets de feuilles vertes. Les jardiniers la guettaient: ils connaissaient la légende. 
Au cours de l'hiver, un colporteur aux veillées, avait raconté qu'à celui qui cueillerait la première fleur du printemps, la fée donnerait une clé d'or. ce jour-là, deux fleurs s'ouvrirent en même temps; le jardinier en prit une et la jardinière cueillit l'autre. Primevère se mit à rire: "Voilà donc qu'il me faut vous donner une clé d'or à chacun? Bien! Voyons si vous en ferez bon usage."
La jardinière coquette, suspendit sa clé d'or à une chaîne et se la passa autour du cou. Elle alla se mirer dans l'eau de la fontaine et se trouva belle; elle se mit à chanter et, heureuse et souriante, elle reprit son ouvrage.
Le jardinier plus aventureux, voulut essayer le pouvoir de sa clé. Elle ouvrait , avait dit le colporteur, la porte d'un souterrain qui descendait sous la colline. Là se trouvait une salle où dormaient tous les trésors de la terre et il pourrait en prélever autant qu'il aurait la force d'en porter.
Il se rendit au pied de la colline, trouva la porte cachée sous les ronciers et la clé d'or l'ouvrit sans peine. Sa clé dans une main et dans l'autre un grand sac, notre homme emprunta le souterrain et parvint à la salle au trésor: tout ébloui, il ne pouvait compter les coffres entr'ouverts ou renversés qui laissaient échapper de pièces d'or, des bijoux, des perles et des diamants. Le jardinier remplit son sac et courbé sous le poids de sa fortune, il prit le chemin du retour.... mais il avait oublié sa clé! Une porte claqua derrière lui. Il se retrouva dans la nuit du souterrain et ne parvint jamais , sans clé, à ouvrir la porte qui le ramènerait au jour. Il se souvint alors que le colporteur avait aussi parlé des chasseurs de trésors qu'on n'avait jamais revu. Désespéré, il se laissa choir à côté du sac au trésor.
La jardinière l'attendit longtemps, puis ne le voyant pas revenir, elle prit sa clé pour entrer dans le souterrain et voir ce qui était arrivé à son époux. Mais rien à faire, cette clé-là n'ouvrait pas la porte de la colline.
Elle rentra chez elle en pleurant. 
Le temps des primevères passa, puis l"été, puis l'automne et encore un hiver. Quand revint le printemps, Primevère avec le soleil sortit des aubépines et trouva la jardinière en pleurs. Elle ne songeait guère à cueillir la première fleur de l'année, pas plus qu'elle ne désirait de clé d'or. La fée la voyant si triste lui posa des questions et la jeune femme lui raconta comment son époux avait disparu et comment sa clé à elle n'ouvrait pas la porte de la colline.
"C'est que, lui dit la fée, ta clé à toi ne donne pas la richesse. C'est la clé des coeurs purs et puisque tu as su la garder, peut-être la Reine des Fées acceptera de t'aider. Pour cela tu dois te rendre au Pays Fantastique.  Ecoute-moi ...Regarde..."
Primevère fit éclore ensemble treize fleurs dont la jardinière fit un bouquet. De l'autre côté de la colline se dressait une pierre. Touchée par le bouquet, la roche tourna et montra l'éblouissant Royaume des Fées. tout n'y était que soleil, fleurs et parfums. Sur son grand fauteuil en osier, la Reine des fées souriait. Dans une révérence, la jardinière implora qu'on lui rendit son époux. De sa  baguette la Reine toucha la clé d'or au cou de la jeune femme: " Va délivrer ton jardinier, dit elle doucement." Le monde des fées s'évanouit dans une brume dorée et la jardinière se retrouva au pied de la colline; devant elle la porte était close, elle prit sa clé et l'ouvrit. Derrière, l'imprudent était assis sur le sol, la tête entre les genoux; il était faible, il avait faim, sa barbe et ses cheveux étaient plus emmêlés qu'un roncier. Elle le prit dans se bras, l'aida à se relever. Titubant, il passa la porte et cette fois, ce n'est pas la clé qu'il oublia, mais le sac au trésor tout entier.

L'almanach est au salon de l'auto et des chenilles menacent le jardin

1 commentaire:

croukougnouche a dit…

MMMMMMMM!
un très beau conte , comme je les aime......
merci!!!

Les Chouchous