Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

mardi 18 décembre 2012

Pensées et humeurs d'Estournelle Sansoiseau


Conseil municipal-

Les anciennes bases d’aviation désertées par l’OTAN, on en fait quoi ?
C’est que ça fait du terrain : des hectares et des hectares ! Et nous, les riverains, on peut imaginer le pire, on est à peur près certains d’avoir raison !
On avait parlé d’abord de circuit automobile, puis de motos, de terrain d’aviation, d’héliport entre autres projets farfelus et bruyants. Alors, on avait fait une association pour se défendre.
Le président était un colonel, un ancien de la cavalerie ; habitué à commander, il s’était imposé et puis la présidence, hein, qui en voulait ?
Ah, il commandait le colonel ! Il nous traitait comme il n’aurait jamais osé traiter un cheval. Ce qui prouvait bien qu’il n’en avait jamais approché un, c’est dans les AMX qu’il avait fait carrière.
Enfin, il était là, dans la salle du conseil, qu’il s’était fait prêter, au bout de la table recouverte d’un tapis vert et il présidait. On sentait bien qu’au fond, l’avenir de la base, il s’en foutait ; de qu’il aimait, c’était présider. Oui, mais les autres aussi auraient bien aimé ; ils lui auraient bien fauché sa place. Oh, pour le correspondant de la feuille de chou locale, ils étaient tout sourires, poignées de mains ; cordiaux, ils étaient , pour la photo ! Mais la haine au fond des yeux…
On aurait pu croire qu’ils avaient un but commun : préserver leur environnement, par exemple. Mais non, il n’y avait entre eux que litiges, vieilles histoires de bornages et de clôtures, de mitoyennetés douteuses, de mauvais voisinage.
On était mal barrés. Qu’est-ce qu’elle faisait là, Estournelle Sansoiseaux ? Elle avait une furieuse envie de leur voler dans les plumes, de leur envoyer leurs vérités à travers la table. Elle se serait fait jeter et ça n’aurait rien arrangé. Car si les autres étaient là pour voir le lendemain leur photo dans le journal, elle, avait une idée à défendre.
Une idée à la Sansoiseau : utopique, dispendieuse, subversive mais surtout propre , silencieuse et rentable à long terme : un zoo !
Ca marche bien les zoos. Mais celui d’Estournelle n’était pas n’importe lequel : un zoo arctique, une banquise avec ours blancs, phoques, pingouins et pourquoi pas des eskimos et des igloos, des courses de traîneaux, des randonnées attelées tirées par des rennes.
La banquise en pleine Beauce ? Pourquoi pas ? On était bien pas loin de là, arrivé à reconstituer sous cloche les tropiques.
Elle se calmait, Estournelle, elle réfléchissait ; il fallait arriver à convaincre le colonel.
Hein, quoi ?… Des éclats de voix la ramenèrent du Pôle Nord dans la salle enfumée. C’était Leduc, le volailler. Qu’est-ce qu’il avait trouvé comme idée géniale ? Des combats de coqs !
Ca va pas non ! Ah, mais il y en a à qui ça plaît… Tous des beaufs, des gros beaufs !
Estournelle oublia son calme et rompit une lance, sans succès ; on la prit à partie. Elle habitait là depuis trente ans, mais elle était toujours une « parisienne »
« Mais oui, Mr Leduc, je mange du poulet et du jambon et des stecks aussi. Et je n’aime pas la corrida, ni les combats d’animaux ; la boxe non plus si vous voulez savoir. Et puis franchement, Mr Leduc, une arène pour combats de coqs sur 350ha, ça me fait bien rigoler ! »
Tiens, il avait porté son argument, à Estournelle ; deux coqs en train de se battre dans un espace prévu pour faire décoller des avions, toute la table se marrait ; sauf Leduc ! Tant pis pour lui, ça lui apprendrait à parfumer le pays à la merde de poule deux fois par mois.
Estournelle se rebrancha sur l’assemblée : le colonel radotait ; le colonel regrettait le service militaire, regrettait, regrettait à rebrousse-temps et bientôt était rendu à la Libération. Il était sur son char, le colonel, derrière Leclerc, toutes les minettes lui sautaient au cou ; pas difficiles, les minettes ! Admettons que dans l’euphorie de la victoire elles n’aient pas bien vu la tronche du colonel . C’est vrai qu’il était plus jeune… Jeune ? Il a toujours été un vieux con, le colonel. A trois mois, sûrement, il avait déjà une tête de vieux con… un vieux bébé à tête de con…
Réveille-toi, colonel… La guerre, c’est pas ici ; c’est à trois heures d’avion ; si ça te manque tant, vas-y au lieu de nous gonfler avec tes souvenirs bidon…
Elle s’énerve, Estournelle ; il ne fait pas avancer le débat, le colonel. Il était tard, ça sentait la clope et la sueur. Qu’est-ce qu’on proposait en fin de compte ? Un musée de l’armée ou un conservatoire de vieux schnoks ?
Estournelle tendit l’oreille.. Il disait quoi, là, le pépé ? Le président du Club de l’Amitié, comme ils disent. Amitié, mes fesses, oui ! Les vieux se détestaient, comme tout le monde se détestait autour de cette table..
Qu’est-ce qu’il glaviotait entre ses chicots ? Un jeu de boules… Discussion… Controverse… Animation… Adopté !!! A l’unanimité, y compris la voix d’Estournelle qui trouvait idiote l’idée du pépé, mais pas nocive, pas chère à réaliser, conviviale, silencieuse et pas polluante.
Et voilà comment d’ici trois ans, une ancienne base de l’OTAN serait transformée en gigantesque terrain de pétanque !

2 commentaires:

anne des ocreries a dit…

Bin, ils sont croquignolets, les gugusses, chez Estournelle !! :)

P a dit…

Et presque pas inventés, ni exagérés...

Les Chouchous