Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

mardi 26 juin 2012

Opéra Fantôme (44)


Celle de ce trio que formaient d’autres  comédiens: un frère, une sœur et leur mère qui paraissait être le chef de la troupe en tout cas leur mentor financier ; sans arrêt elle comptait et recomptait ses sous et en avait probablement plus qu’elle ne le laissait paraître. Elle évaluait de l’œil et parfois de la voix, elle ne pouvait s’en empêcher, tout ce qui passait à sa portée. Elle tyrannisait sa progéniture, pesant de tout son poids qui n’était pas léger, sur leurs faits et gestes et même sur leurs pensées. Le garçon s’évadait dans l’écriture et la fille, cousant, repassant, coiffant ne faisait jamais assez ni assez bien. Turlupinée sans cesse par la vieille elle tentait à longueur de journées de se surpasser  tout en se lamentant sur une nullité qu’elle tournait en dérision avec un sens de l’humour certain.  La mère était veuve du chef de cette troupe, enterré à l’écart d’un cimetière de province, mort d’ivrognerie et de froid un soir deSaint Sylvestre. Après l’avoir malmené de son vivant, elle en faisait un génie défunt tout en se gardant bien de retourner fleurir sa tombe.
Le jeune Valentin vouait une admiration éperdue à Rinaldo ; l’italien représentait tout ce qu’il aurait voulu être et qu’il aurait approché s’il s’était un peu soigné, s’il s’était redressé au lieu de marcher la tête dans les épaules, s’il avait de temps à autre lavé ou seulement peigné une tignasse dont on pouvait imaginer que des bestioles en faisaient leur domaine. Il ne cessait de gratter du papier que pour suivre son idole partout où il allait. Rinaldo s’en était tout d’abord irrité ; ses amours en étaient encore au stade où le secret renforce la passion et ce secret, il n’avait aucune envie de le partager fût-ce avec ce gentil garçon dont il était évident qu’il pouvait tout lui demander. Heureusement, Valentin craignait les chevaux ; il était facile à semer…
Mais Valentin comme tous les poètes était distrait ; toujours encombré de plumes, de cahiers et de feuillets épars, il en laissait s’envoler au fil de ses déambulations. Un cahier se glissa sous le pied de Rinaldo qui, pressé, d’aller rejoindre ses amours le glissa dans un poche où il l’oublia. Mais les histoires ont un destin qu’elles se doivent d’accomplir et celle-ci ne manqua pas de gonfler disgracieusement l’habit du beau musicien. Avant de la rendre à son auteur, Rinaldo y jeta un coup d’œil ; que pouvait bien griffonner à longueur de jours le jeune ébouriffé ?
C’était une histoire d’amour échevelée, chevaleresque et moyen-âgeuse ; un conte peuplé de dragons, de princesses captives,  de héros sans faille et sans peur, de magiciennes redoutables, de rois, d’enchanteurs…bref, une de ces histoires à rebondissements que n’aurait pas reniée Madeleine de Scudéry et qui, au fait, ferait un parfait livret pour cet opéra dont il ne connaissait encore que la musique.
Le soir, après dîner,  Valentin s’était recroquevillé sur le tabouret, proche de la cheminée et que personne ne lui contestait ; il compulsait fiévreusement des feuillets trop manipulés tout en grattant sa tignasse. Il semblait au désespoir. Alors comme dans les contes, quand le héros au bord de sa perte voit s’approcher le sauveur, il vit l’indifférent Rinaldo venir à lui, un cahier dans la main.
« C’est peut-être ce que vous cherchez ? Pardonnez-moi, mais je me suis permis d’en lire quelques pages et… c’est bien, vous savez. »
Valentin, se  mit à bafouiller passant par toutes les couleurs que peut prendre une peau d’adolescent mal nourri. Rinaldo qui avait eu son âge avant lui et ce temps n’était pas assez éloigné pour qu’il l’ait oublié posa la main sur son épaule et continua :
« Ce serait un belle histoire pour notre opéra, si vous acceptiez. »





1 commentaire:

anne des ocreries a dit…

Ah ! bien contente de les retrouver, ceux-là !

Les Chouchous