Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

lundi 16 avril 2012

Opéra-Fantôme (38)


- Oui, mais depuis une semaine les contraintes de ma vie de femme ordinaire ne correspondent pas à ses attentes de chat.
-Pourtant... la maison est bien calme ces temps-ci !
-Oui, la plupart du temps, mais figurez-vous que la semaine dernière, mon amie…mais peu importe, vous ne la connaissez pas ! Donc cette amie vient me voir accompagnée de ses deux filles et d’un bouledogue, vous savez, les petits, noirs, marrants… Jasmine l’a trouvé horrible, bruyant, remuant ; elle est allée bouder sous les thuyas du voisin.
-Je ne lui donna pas tort ! ils sont hideux , ces clébards !
-Mais non… ils ont de beaux yeux…Bon, nous autres humains, avons ri, bavardé et pour finir fait des crêpes avant leur départ. Après quoi, la chipie en a profité pour disparaître  et ne rentrer qu’à cinq heures du matin. Imaginez mon désarroi !
-J’imagine bien dit en riant Marlon..
Mais c’est que le lendemain, elle a tenté de récidiver, mais comme en ce moment, il fait encore jour à six heures du soir, elle s’est fait avoir !
Et ce n’est pas tout continua Estournelle, voilà que le jeudi, un voisin vient prendre le thé et changer ses livres (J’officie aussi à domicile, comme vous savez) accompagné de son boxer. Jasmine qui siestait sous l’épicéa n’en est pas revenue:
- Horreur ! a-t-elle, ils les ont aussi en king size !!!
Marlon souriait « Oh, comme je la comprends !
-Bon, c’est votre  opinion et aussi la sienne, mais j’ai du mal à comprendre son animosité, car après tout, étant d’origine persane, elle aussi fait partie de la grande tribu des « Nez Froncés ».
-Ce n’est pas pareil, voyons !Jasmine a d’admirables yeux turquoise, elle ne ronfle pas comme un aspirateur asmathique, elle est gracieuse, d’un calme olympien..
-Je vous en prie… pas de flagornerie ; elle a en tout cas un fort mauvais caractère et donc voilà que la jeune personne a tenté de disparaître, mais une assiette de dindonneau coupé menu l’a circonvenue. Alors, dépitée, elle est montée à l’étage et a fait un pipi vengeur sur une étoffe à laquelle elle pensait que je tenais beaucoup. Feintée, la minette : ce n’était qu’un vieux dessus de table plus que trentenaire en route pour finir ses jours dans le garage.
Cependant, je suis désolée de l’avoir contrariée à ce point et depuis je fais des bassesses pour rentrer dans ses bonnes grâces…. »
            Enfoncé dans le grand fauteuil de cuir, Marlon buvait du thé, sans trop écouter le récit des scènes de ménage entre Estournelle et sa chatte. Il pensait à Soline… Comment aborder le récit de cette impalpable rencontre avec une amie si chaleureuse et si peu sentimentale ? Il l’avait entendue entretenir le moral de ses copines éplorées de manière énergique sinon discutable. Et de ses sentiments à elle, elle ne parlait jamais. Elle laissait son époux aller et venir à sa guise, semblant parfois soulagée de le savoir ailleurs. Etait-ce une attitude, un voile destiné masquer ses sentiments  réels ? une carapace durcie au fil des ans ? Elle ne parlait d’amour qu’à travers littérature ou poésie. Toute sa tendresse allait à ses chiens, ses chats ou son cheval. Les humains n’avaient droit qu’à son amitié dont elle professait qu’elle valait mieux que l’amour, puisqu’une amitié nouvelle ne chassait pas l’ancienne. Elle était une amie remarquable : chaleureuse, attentive, dévouée parfois jusqu’à l’absurde. Jamais maternelle cependant ; elle était, pensait Marlon, la grande sœur idéale.
Allait-il, à cette grande sœur, confier sa nostalgie ? Il redoutait le commentaire ironique et de bon sens qu’elle était capable de lui asséner. En avait-il vu depuis qu’il la fréquentait, des romances assassinées d’un calembour plein d’à-propos ? Médecine efficace selon les amies d’Estournelle, mais qu’il ne tenait pas à s’administrer.
Allons, décida-t-il, pas de confidences, retournons à nos vieux papiers…et après tout…
combien sommes-nous, à n’avoir d’autre vie affective que le deuil d’amours saccagées ? »


2 commentaires:

manouche a dit…

L'amitié bourrue, le mot qui ne pleure pas , j’aime assez.
C'est avant tout avec Jasmine que je me sens en empathie. Tout de même ne joue pas les "Pomponette", ne donne pas de souci à ceux qui t'aiment mais plutot un bon coup de griffe sur les plis du museau de ce puant noiraud!

P a dit…

Jasmine n'a plus l'âge de jouer les Pomponettes et le noiraud n'a fait que passer... En ce moment, elle dort entre le radiateur et moi, le nez dans sa queue... elle s'en va tranquillement vers ses 18 ans...

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