Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

jeudi 5 avril 2012

Opéra-fantôme (32)



Travel et Marlon, qui s’étaient perdus de vue,  avaient été surpris de se retrouver chez Estournelle. Surpris et pas mécontents au fond ; le hasard leur permettait de se retrouver simplement, sans explications,  sans justifications. Ils ne s’étaient rien fait, rien dit, aucun  mot regrettables, juste deux lignes qui s’écartent et que le hasard rapproche.
 Par une étrange coïncidence, il se trouvait qu’Estournelle et Marlon, sans s’être jamais rencontrés ni avoir entendu parler l’un de l’autre, étaient tous deux amis de Travel. Tous deux s’étaient rêvés chanteurs et s’étaient  connus grattant la guitare et courant le cachet sans grand succès. Il leur était même arrivé, certains jours de dèche de faire la manche ensemble devant les cinémas. Leurs destins s’étaient séparés quand, après une famine prolongée, Estournelle avait accepté un petit emploi dans une maison de disques où progressivement elle avait démontré un talent pour le marketing et la communication qui dépassait de beaucoup ses capacités musicales. Avec sagesse, elle avait renoncé à la bohème et était devenue en quelques années une bonne attachée de presse. Dans la foulée, elle épousa Ysolan, un marin. Femme de marin était la situation idéale pour Estournelle éprise de liberté.
 En contournant la quarantaine, elle perdit son job, son ménage battait de l’aile. Tout ne peut pas aller bien tout le temps ; elle coupa les amarres et partit vivre à la campagne dans une maison qu’Ysolan avait achetée peu de temps avant leur mariage. Lui avait quitté la marine et trouvé une retraite dans un  phare désaffecté, et là dans la seule compagnie de vent et des tempêtes, il apprit à jouer du violon.
Estournelle entra en dépression ; elle eut des insomnies. Un jour, lassée des diverses médications qui l’enchaînaient à son toubib, elle décida d’occuper ses nuits. Elle lut et comme on ne peut lire des nuits entières sans réveiller son conjoint les jours où il dort là, elle prit l’habitude en éteignant la lumière de se raconter des histoires. Certaines l’intéressaient, mais il arrivait qu’elle en perdît le fil. C’est pour s’en souvenir qu’elle prit l’habitude de les écrire.
Elle s’occupa enfin de ce qu’elle aimait vraiment : ses animaux, son jardin, ses amis ; sa vie privée ne s’en trouva pas plus mal, bien au contraire. Ysolan semblait heureux de trouver une maison ouverte et chaleureuse quand il rentrait de l’autre bout du monde et connaissant le plaisir que sa femme ressentait en racontant des histoires, il l’encourageait à écrire un roman. Ce roman était pour Estournelle l’alibi qui lui évitait de se déclarer femme au foyer. En réalité, elle écrivait bien sûr, de temps en temps, mais il y avait toujours une plantation urgente, une nouvelle recette de confiture  à expérimenter qui l’empêchaient de « se concentrer ». Il y avait aussi ses amis, plus nombreux en été et parmi eux,  Travel, devenu réalisateur. Il venait souvent dans la maison de son     amie, il s’y sentait bien et rentrait à Paris un peu moins oppressé.
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Par le plus grand des hasards et l’efficacité des marchands de bien, Marlon avait au début de l’automne,  acheté les Authieux et fait la connaissance d’Estournelle. Il avait liquidé son appartement parisien, gardant juste une chambre de bonne. Tous ses meubles, ses instruments de musique, sa sono, tout était installé au manoir. Il était certain d’y trouver le calme et la concentration dont il avait besoin pour enfin composer une musique bien à lui. Son entourage parisien leva les bras au ciel ; on parla de suicide professionnel. Marlon s’en moquait ; il serait heureux aux Authieux et il le fut. Enfin, autant qu’il pouvait l’être.
D’abord il y avait cette oeuvre qu’il portait en lui mais dont il ne pouvait accoucher et puis il y avait Soline. De cette fille, il n’avait pas parlé à sa voisine ; pas encore. D’ailleurs, qu’aurait-il pu en dire ? Il ne savait presque rien d’elle, même pas son nom de famille et il s’était passé entre eux si peu de choses. Une aventure d’une nuit comme il en avait tant connu. S’il en avait parlé c’est ce qui serait ressorti des faits énoncés, alors qu’il en gardait une impression d’une force étonnante.
Ce fut un joyeux Noël avec dinde, sapin, feu de bois et nombreux desserts. Les parisiens fatigués et les campagnards habitués à se coucher tôt ne purent veiller longtemps.

2 commentaires:

anne des ocreries a dit…

Ahem....tu as publié deux fois (au moins !)le même épisode sur la même page, Pomme ! :D

Un doigt de sieste, peut-être ? :))

P a dit…

Ayé! réparé... heureusement qu'on m'a rendu le p'tit crayon!

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