Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

lundi 19 mars 2012

Opéra -Fantôme( 14)

Soline était entrée dans sa vie par la porte d’un pub enfumé, un de ces endroits où l’on finit la nuit entre hommes devant une bière ou un whisky et où l’on rencontre peu de femmes. Elle était entrée avec une amie et s’était frayé un chemin au milieu des types agglutinés devant le comptoir, pour gagner une banquette dans un coin de la salle. Elle avait traversé le pub sous le regard et les commentaires de la meute à la fois satisfaite et dérangée de voir son territoire infiltré par l’autre sexe. Marlon et ses copains avaient au passage offert aux deux filles un verre et de la compagnie. Soline avait refusé, souriante et royale. Elles avaient commandé des hots-dogs et des bières et semblaient si indifférentes aux remous qu’elles provoquaient que Marlon avait hésité un long moment avant de repartir à l’abordage.
Avant qu’une heure se soit écoulée, il était assis à la table des deux filles et ses trois copains naviguaient entre eux et le comptoir pour savoir sur laquelle il jetterait son dévolu ; sans doute tireraient-ils l’autre à la courte-paille. Soline avait la préférence de Marlon mais elle semblait si indifférente en dépit de son amabilité qu’en bon tacticien il employa les grands moyens et entama une conversation empressée avec la copine. Le plan réussit à merveille ; la copine, qui était mariée, manifesta au bout d’un moment l’envie de rentrer et proposa à Soline de la raccompagner ; à leur grand étonnement à toutes deux, Soline s’entendit énoncer qu’elle voulait rester un moment encore.
« Mais, dit la copine, es-tu certaine de trouver un taxi ? »
Avant que Soline ait pu répondre, Marlon dit qu’il se chargerait d’elle.. La copine sortit non sans se retourner d’un air vaguement inquiet ; de toute évidence le comportement de son amie, ce soir ne lui était pas familier. Les trois copains s’étaient éclipsés, le pub se vidait peu à peu, l’atmosphère devenait moins bruyante, plus intime. Soline et Marlon échangeaient des idées d’ordre général, parlant peu d’eux-mêmes. Les grands thèmes étaient bien sur l’amour, la liberté, la dépendance entre hommes et femmes etc … et quand ils se retrouvèrent dehors et qu’arrivé devant sa voiture Marlon proposa un verre chez lui, car justement il était garé devant sa porte, Soline en refusant, se serait trouvée en contradiction flagrante avec les propos qu’elle avait tenu tout au long de la soirée. Elle eut quelques instants d’hésitation puis se dit hypocritement que prendre un verre n’est pas passer la nuit ; elle accepta. Elle avait une bonne raison de croire à sa force morale ; elle portait ce soir-là, une petite culotte en soie et dentelle gris perle qui avait été une merveille mais sur laquelle sa chatte avait exercé ses griffes et ses dents. Soline n’avait pu se résoudre à jeter l’ex merveille et l’avait raccommodée tant bien que mal. En allant « se repoudrer », elle avait constaté l’inanité de ses efforts et n’avait pu s’empêcher de penser : « Heureusement que personne ne doit voir ça ! De quoi j’aurais l’air ! » Elle croyait donc fermement que cet accroc à sa petite culotte serait le rempart de sa vertu. Illusion ! un amant en bonne santé, la première fois, pense à une petite culotte pas pour l’admirer mais pour la faire tomber au plus vite. La lingerie sophistiquée ne devient utile que beaucoup plus tard, pour ranimer un moral défaillant . Celui de Marlon ne l’était pas.
Il fut une époque heureuse et pas si lointaine, qui dura environ une vingtaine d’années et durant laquelle, oubliée la crainte de Dieu, du Diable et du Qu’en Dira-t-On, à l’abri grâce aux contraceptifs d’une grossesse intempestive, et pas encore venue la hantise des MST et autre virus plus ou moins mortels, on pouvait consommer l’amour au gré de ses envies, comme une friandise. Soline et Marlon, sans s’en rendre compte étaient assez sages pour bien user de cette liberté.
Soline s’éveilla vers huit heures, un peu étonnée de la présence d’un homme à ses côtés ; elle mit quelques instants à réaliser où elle se trouvait. Puis elle vit l’heure et gicla hors d’un lit qui n’était pas le sien,ramassa ses vêtements éparpillés dans la chambre et se précipita dans la salle de bains. Elle était furieuse contre elle-même ; furieuse de s’être laissée prendre à ce qu’elle appelait le « baratin » de Marlon et de s’y être laissée prendre à cause de son propre raisonnement, qui plus est. Furieuse aussi de risquer d’arriver en retard à une séance de travail pour avoir découché, et furieuse bien plus encore d’y avoir pris du plaisir.

1 commentaire:

anne des ocreries a dit…

De la rigueur, Pomme ! à un endroit, tu as laissé "Lilith", qui n'est plus le prénom de Soline ! :) Oups !

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