Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

vendredi 23 décembre 2011

A quand remonte le conte? almanach 2024


La question de savoir lequel, du conte, du mythe ou de la légende est arrivé en premier, est à peu près celle de l’œuf et de la poule.
On peut cependant imaginer que toutes ces histoires seraient des témoignages des peurs et des émerveillements de nos lointains ancêtres confrontés à l’inconnu, aux découvertes, aux changements de climats. Un paysage différent, de la brume, un marécage là ou tout était sec? Voici un pays enchanté. Des hommes plus grands que ceux de sa tribu; des géants. Ils mangent de la chair humaine, ce sont des ogres; ils sont noirs, poilus, voilà des monstres. Ils ont des connaissances plus évoluées : des magiciens, des fées, des sorcières. On sait maintenant que la première rencontre entre piétons et cavaliers a fait naître les centaures.
Une plante qui soigne, c‘est l’herbe de vie; un os géant, une empreinte de dinosaure ? Dans cette grotte, près de cet étang, vit un dragon. Et tant et tant d’animaux vus pour la première fois, devenus licornes, basilics et autres phénix.
Des chasseurs, des guerriers relataient leurs exploits en les améliorant peu ou prou; la légende prend vie. On ajoute des personnages destinés à éduquer les enfants, par la frayeur au besoin; c’est un conte.
Plus récemment, les auteurs de science-fiction, en exploitant la règle du « plus proche inconnu » ont souvent recrée l’atmosphère du conte merveilleux.
Autrefois, le plus proche inconnu était la forêt ou bien encore l’autre côté de la rivière ou de la montagne ; on y rencontrait les fées, les ogres, les sorcières, des lutins etc..
Puis on se mit à voyager ; on eut peur alors de l’étranger, du voyageur, celui qui franchit la frontière dans un sens ou un autre. L’étranger était un « barbare », souvent féroce, dont on ne comprenait pas la langue.
Les frontières ont reculé et on a dû craindre ce qui se trouvait au-delà des mers, dans les lieux inexplorés des continents : les « sauvages », souvent cannibales, les bêtes fauves, voire les pirates.
Au XVII° siècle, les grandes explorations avaient fait connaître presque toute la terre aussi le plus proche inconnu de Cyrano de Bergerac était déjà la lune.
Les télescopes ont contraint les auteurs de la première moitié du XX° siècle à repousser le plus proche inconnu jusque Mars.
Et nous voici rendus à ne pouvoir redouter que ce qui se passe dans d’autres galaxies, voire au fond des trous noirs.
En souhaitant que la science n’efface pas en nous toute imagination, les auteurs pourront continuer à nous raconter les choses de la vie en divaguant tout de même un peu.
Attardons-nous sur le « conte merveilleux qui, pour Henri Gougaud est« la seule parole humaine qui échappe au contrôle de la raison »
Ces contes anciens, oubliés pendant la Renaissance au profit de la mythologie gréco-romaine, nous sont revenus curieusement au XVII° siècle au travers d’une mode lancée par les intellectuels tenant des « modernes » dans la fameuse querelle des « anciens et des modernes » ; le plus farouche défenseur des « modernes » étant Charles Perrault qui nous a, paradoxalement, rendu une des meilleure version littéraire des contes traditionnels.
Un retour sur cette renaissance :
Avant 1696, les seuls contes connus sont « L’île de la Félicité » que Mme d’Aulnoy insère dans « Histoire d’Hippolite, comte de Douglas » (1690) ; « Les Enchantements de l’éloquence » ; « Les aventures de Finette » de Mlle L’Héritier de Villandon (1695) et la « Belle au bois Dormant » de Charles Perrault qui parut en 1696 dans la Mercure Galant.
En 1696, Catherine Bernard – Née à Rouen en 1662 ou 1663, nièce des Corneille et cousine de Fontenelle ; famille de la bourgeoisie protestante ; liée aux modernes (voir auteur dans Nouvelles Galantes du 17° siècle Garnier Flammarion), publie « Inès de Cordoue » elle glisse dans l’intrigue deux contes qui seront par ce biais parmi les premiers publiés en France : « Le Prince Rosier » et « Riquet à la Houppe », dont Perrault donnera une version un an plus tard dans ses « Histoires et contes du temps passé ». En 1705, Mlle l’Héritier racontera à son tour « Riquet » sous le titre de « Ricdin-Ricdon ».
Quelle est la parenté entre ces versions ? Hasard ou plagiat ? Ni l’un ni l’autre probablement. Catherine Bernard, Charles Perrault et Mlle L’Héritier ont puisé dans un fond commun. Ou bien encore ces parutions sont le résultat de ce que nous appellerions une « joute de conteurs », organisée dans les salons à la mode , tel celui de Mlle L’Héritier, laquelle avait publié « les Enchantements de l’Eloquence » que Perrault donnera sous le titre « les Fées ».
Très littéraire mais utilisant la langue limpide du XVII° siècle, Charles Perrault dans les « Contes de ma Mère l’Oye », retrouve la simplicité des veillées ; on rencontre chez lui des histoires cousines de celles relatées plus tard, par Grimm : Blanche-Neige et Cendrillon, Le Petit Poucet et Hansel et Gretel par exemple.
Le témoignage sur cette renaissance du conte se situe dans « Inès de Cordoue » dans le passage où la Reine venue à Paris, tient « salon ». Au cours de la conversation, on propose d’imaginer des « Contes galants » :
« On convint de faire des règles pour ces sortes d’histoires dont voici les deux principales : que les aventures fussent toujours contre la vraisemblance, et les sentiments toujours naturels. On jugera que l’agrément de ces contes ne consiste qu’à faire voir ce qui se passe dans le cœur et que, du reste, il y avait une sorte de mérite dans le merveilleux des imaginations qui n’étaient point retenues par les apparences de la vérité. »
Les deux règles ne doivent régir que les seuls contes de fées, nommés « contes galants », qui renouent d’ailleurs avec l’esthétique des romans de Madeleine de Scudéry où la vérité des caractères s’alliait à la bizarrerie des situations.
Tout semble opposer « contes merveilleux » et « nouvelles galantes » : la féerie affiche son invraisemblance quand la nouvelle veut passer pour une histoire vraie.
Les deux contes détachés du cadre : « le Prince Rosier » et « Riquet à la houppe » figurent dans un recueil manuscrit de « Petits Contes et Prose et en Vers », MS4015 de la bibliothèque Mazarine qui joua un rôle déterminant dans la mode des contes de fées.
On retrouve également ces deux contes en 1718 dans les « Nouveaux Contes de Fées » et en 1786 dans le « Cabinet des Fées » du Chevalier de Mailly.
Catherine Bernard qui a contribué à lancer la mode des contes de fées, cesse toute activité littéraire vers 1698, après avoir intégré l’entourage de Mme de Maintenon pour qui elle compose encore quelques textes pieux. Elle a abjuré peu avant la révocation de l’Edit de Nantes.
N’oublions pas Madame Leprince de Beaumont, sa Belle et sa Bête ;la Comtesse d’Aulnoy (qui était baronne) , son Oiseau Bleu et son Prince Charmant . Leur écriture très littéraire et leurs histoires compliquées se sont éloignées de la littérature orale.
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Grimm au sortir du « siècle des Lumières », a compris le vide que laisserait dans l’esprit humain l’abolition du merveilleux. Il est l’un des collecteurs les plus connus.

PP

1 commentaire:

manouche a dit…

Passionnant et instructif billet.Tu évoques la science fiction; il me semble aussi que la science dans la recherche pure est aussi une source d'émerveillement, celle-là sans fin...

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