Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

lundi 5 décembre 2011

Marcel Aymé - Le Loup (9)

... On s'embrassa longuement, et plus tendrement encore que la dernière fois, car une semaine d'absence avait rendu l'amitié impatiente.
-Ah! Loup, disait la plus blonde, la maison était triste, cette semaine. On a parlé de toi tout le temps. 
- Et tu sais, Loup, tu avais raison: nos parents ne veulent pas croire que tu puisses être bon.
- Ca ne m'étonne pas. Si je vous disais que tout à l'heure, une vieille pie...
- Et pourtant, Loup, on t'a bien défendu, même que nos parents nous ont envoyées au lit sans souper.
-Et dimanche, on nous a défendu de jouer au loup.
Les trois amis avaient tant à sa dire qu'avant de songer aux jeux, ils s'assirent à côté du fourneau. Le loup ne savait plus où donner de la tête. Les petites voulaient savoir tout ce qu'il avait fait dans la semaine, s'il n'avait pas eu froid, si sa patte était bien guérie, s'il avait rencontré le renard, la bécasse, le sanglier.
-Loup, disait Marinette, quand viendra le printemps, tu nous emmènera dans les bois, loin, là où il y a toutes sortes de bêtes. Avec toi, on n'aura pas peur.
- Au printemps, mes mignonnes, vous n'aurez rien à craindre dans les bois. D'ici là, j'aurai si bien prêché les compagnons de la forêt que les plus hargneux seront doux comme des filles. Tenez, pas plus tard qu'avant-hier, j'ai rencontré le renard qui venait de saigner tout un poulailler. Je lui ai dit que ça ne pouvait plus continuer comme ça, qu'il fallait changer de vie. Ah! je vous l'ai sermonné d'importance! Et lui qui fait tant le malin d'habitude, savez-vous ce qu'il m'a répondu? "Loup, je ne demande qu'à suivre ton exemple. Nous en reparlerons un peu plus tard, et quand j'aurai le temps d'apprécier toutes tes bonnes oeuvres, je ne tarderai plus à me corriger". Voilà ce qu'il m'a répondu, tout renard qu'il est.
- Tu es si bon, murmura Delphine.
-Oh! oui, je suis bon, il n'y a pas à dire le contraire. Et pourtant, voyez ce que c'est, vos parents ne le croiront jamais. Ca fait de la peine quand on y pense.
Pour dissiper le mélancolie de cette réflexion, Marinette proposa une partie de cheval. Le loup se donna au jeu avec plus d'entrain encore que le jeudi précédent. La partie de cheval terminée, Delphine demanda:
-Loup, si on jouait au loup?
Le jeu était nouveau pour lui, on lui en expliqua les règles, et tout naturellement, il fut désigné pour être le loup. Tandis qu'il était caché sous la table, les petites passaient et repassaient devant lui en chantant le refrain:
"Promenons-nous le long du bois, pendant que le loup n'y est pas. Loup y est-u? m'entends-tu? quoi fais-tu?"
Le loup répondait en se tenant les côtes, la voix étranglée par le rire:
-Je mets mon caleçon.
Toujours riant, il disait qu'il mettait sa culotte, puis ses bretelles, son faux-col, son gilet. Quand il en vint à enfiler ses bottes, il commença d'être sérieux.
-Je boucle mon ceinturon, dit le loup, et il éclata d'un rire bref.... (à suivre)

5 commentaires:

manouche a dit…

...Rire où il montre ses 72 crocs, attention blondinettes!

Lulu archive Availles a dit…

ça y est ça commence à faire peur ;-)
Bises !

croukougnouche a dit…

j'adore les contes de Marcel Aymé, celui-là est génial , mais j'ai un faible pour celui des boîtes de peinture ....complètement surréaliste!

Annick49 a dit…

J'allais le dire ... j'ai un peu peur tout d'un coup !!!

P a dit…

Ah, oui.... les boîtes de peinture...Du coup, je viens de le relire et ça me donne envie de tout relire...y compris le Vouivre et la Jument Verte...
P

Les Chouchous