Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

vendredi 2 décembre 2011

Marcel Aymé - Le Loup (6)

... Marinette avait déjà pris son ami par le cou, s'amusant à tirer ses oreilles pointues, à le caresser à lisse-poil et à rebrousse-poil. Delphine fut un peu longue à se familiariser, et la première fois qu'elle fourra, par manière de jeu, sa petite main dans la gueule du loup, elle ne put se défendre de ramarquer:
- Ah! comme vous avez de grandes dents...
Le loup eut un air si gêné que Marinette lui cacha la tête dans ses bras.
Par délicatesse, le loup ne voulut rien dire de la grande faim qu'il avait au ventre. 
- Ce que je peux être bon, songeait-il avec délices, ce n'est pas croyable.
Après qu'il eut raconté beaucoup d'histoires, les petites lui proposèrent de jouer avec elles.
- Jouer? dit le loup, mais c'est que je ne connais pas de jeux, moi.
En un moment, il eut appris à jouer à la main chaude, à la ronde, à la paume placée et à la carotte malade. Il chantait avec une assez belle voix de basse les couplets de Compère Guilleri, ou de La Tour prends garde. Dans la cuisine, c'était un vacarme de bousculades, de cris, de grands rires, et de chaises renversées. Il n'y avait plus la moindre gêne entre les trois amis qui se tutoyaient comme s'ils s'étaient toujours connus.
-Loup, c'est toi qui t'y colles!
- Non, c'est toi! tu as bougé! elle a bougé...
- Un gage pour le loup!
Le loup n'avait jamais tant ri de sa vie, il riait à s'en décrocher la mâchoire.
- Je n'aurais pas cru que c'était si amusant de jouer, disait-il. Quel dommage qu'on en puisse pas jouer comme ça tous les jours!
Mais, Loup, répondaient les petites, tu reviendras. Nos parents s'en vont tous les jeudis après-. Tu guetteras leur départ et tu viendras taper au carreau comme tout à l'heure.
Pour finir, on joua au cheval. C'était un beau jeu. Le loup faisait le cheval, la plus blonde était montée à califourchon sur son dos, tandis que Delphine le tenait par la queue et menait l'attelage à fond de train au travers des chaises. La langue pendante, la gueule fendue jusqu'aux oreilles, essoufflé par la course et par le rire qui lui faisait saillir les côtes, le loup demandait parfois la permission de respirer.
- Pouce! disait-il d'une voix entrecoupée. Laissez-moi rire... je n'en peux plus... Ah! non... laissez-moi rire!
Alors, Marinette descendait de cheval. Delphine lâchait la queue du loup et, assis par terre, on se laissait aller à rire jusqu'à s'étrangler.
Le joie prit fin vers le soir, quand il fallut songer au départ du loup. Les petites avaient envie de pleurer, et la plus blonde suppliait:
- Loup, reste avec nous, on va jouer encore. Nos parents ne diront rien, tu verras...
- Ah non! disait le loup. Les parents, c'est trop raisonnable. ils ne comprendraient jamais que le loup ait pu devenir bon. Les parents, je les connais.
- Oui, approuva Delphine, il vaut mieux ne pas t'attarder. J'aurais peur qu'il t'arrive quelque chose.
Les trois amis se donnèrent rendez-vous pour le jeudi suivant. Il y eut encore des promesses et de grandes effusions. Enfin, lorsque la plus blonde lui eut noué un ruban bleu autour du cou, le loup gagna la campagne et s'enfonça dans les bois.
Sa patte endolorie le faisait encore souffrir, mais, songeant au prochain jeudi qui le ramènerait auprès des deux petites, il fredonnait sans souci de l'indignation des corbeaux somnolant sur les plus hautes branches/
"Compère Guilleri,
Te laisseras-tu mouri...."

(à suivre)

2 commentaires:

Lulu archive Availles a dit…

Vivement demain !
Bises !

Annick49 a dit…

demain, je ne serai pas là ... dimanche, arrivée très tardive, je vais devoir patienter jusqu'à lundi !!!

Les Chouchous