Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

jeudi 29 décembre 2011

Europe alm



Europe était fille d’Agénor, roi de Phénicie, un pays qui se trouvait à peu près où se trouve actuellement le Liban.
Un beau matin du mois de mai, Europe s’en fut la plage avec ses compagnes Elle avait la nuit fait un rêve : deux géantes se la disputaient ; elle allait de l’une à l’autre, tiraillée comme un pauvre petit oiseau que s’arracheraient deux vautours. L’une n’avait pas de nom et voulait prendre la jeune fille ; c’était disait-elle, un cadeau que Jupiter lui offrait. L’autre se nommait Asie et voulait la garder, se prévalant de lui avoir donné le jour.
Ce rêve la troublait encore ; un bain dans la mer dissiperait, pensait-elle, cette fâcheuse impression. Et voilà les charmantes en tenue légère, courant, riant, cueillant des fleurs en chemin dont elles font des bouquets, des couronnes et des guirlandes. Arrivées sur la grève, elles se déshabillent et seulement vêtues de quelques fleurs, entrent dans l’eau, s’éclaboussent, nagent, jouent, heureuses de s’ébattre sous le soleil ; Europe ne pense plus à son rêve.
Au-dessus d’elles, Jupiter, mollement bercé par Zéphyr, somnole sur un nuage. Cupidon qui passait par là, toujours en quête d’un bon tour à jouer, voit tout le parti qu’il peut tirer de la situation. Sans plus réfléchir, il bande son arc et décoche à Jupiter une flèche d’or. Eveillé en sursaut, le roi des Dieux ouvre un œil, pile sur les naïades. Charmant tableau que ces jeunes filles ! Surtout l’une d’ elles : longue, fine, blonde, une peau dorée, parfaite ; elle lui rappelle un amour d’autrefois, la jeune Io qu’il dût changer en vache pour la soustraire à la jalousie de Junon.
Rien d’étonnant puisque Europe est une arrière petite-fille de Io. Cette ressemblance ajoutée aux effets de la flèche rendent aussitôt Jupiter fou d’amour. Comment faire ? On n’est plus au temps de Io. Désormais les jeunes filles ont de la religion, surtout une fille de roi !
Jupiter fait venir Mercure et lui demande de pousser le troupeau d’Agénor jusqu’à la grève et là, parmi les bœufs ,en souvenir de Io peut-être, Jupiter devient taureau ; un superbe taureau blanc, aux cornes d’or pâle en forme de croissants de lune ; une bande de poils noirs sépare les deux cornes.
Europe et ses compagnes qui se séchaient sur le sable voient ce taureau qui les regarde d’un œil amical ; il est si beau, son poil semble si doux, elles iraient bien le caresser, mais dame ! Un taureau, ça peut être dangereux ! Les jeunes filles hésitent.
Europe est fille de roi, donc elles est la plus brave. Elle approche le taureau, craintivement d’abord, elle lui flatte les naseaux et comme il se laisse faire et semble y prendre plaisir, elle s’enhardit, lui caresse l’encolure et tente de lui passer autour du cou la guirlande de fleurs rouges qui orne ses cheveux. Mais il est grand, ce taureau ! Elle a beau se hausser sur la pointe des pieds, elle n’y arrive pas. Alors le taureau fléchit les genoux, se couche à terre et Europe l’imprudente, ose même monter sur son dos.
D’un énergique coup de rein, le taureau se redresse et part au galop. Europe n’a que le temps de le prendre par les cornes pour ne pas tomber. Le taureau file vers la mer ; Europe, échevelée, terrifiée, crie, appelle au secours. Mais le palais est loin et ses compagnes sont plus affolées qu’elle encore. Maintenant le taureau entre dans la mer ; Europe se voit noyée, mais non, il galope sur les vagues et poursuit sa course folle vers le large.
Longtemps le taureau a couru sur les flots, longtemps Europe a crié, pleuré ; elle est à bout de forces quand la bête aborde un rivage. Il s’arrête enfin dans une prairie ombragée de platanes sous lesquels il dépose doucement sa captive et là, redevient Jupiter. Ses intentions évidentes achèvent d’épouvanter la jeune vierge ; mais que faire contre la volonté du roi des dieux ?
Heureusement pour Europe, Jupiter sait s’y prendre avec les jeunes filles ! Au matin, les amants échangeront les deux moitiés d’une feuille de platane en gage de fidélité éternelle. Fidélité qui durera le temps qu’Europe mette au monde trois fils.
Jupiter aime les enfants et ne se lasse jamais d’en avoir de nouveaux ; le premier fut nommé Minos et comme il devait un jour régner sur cette île, Europe reçut en présent le Talos, un géant de bronze, forgé par Vulcain et chargé d’empêcher les ennemis d’aborder.
Pour le second, Radamanthe, elle eut un chien au flair infaillible, aucun gibier ne pouvait lui échapper et pour le troisième, Sarpédon, un épieu qui ne manquait jamais son but.
Ensuite, eh bien, ma foi, la magie des flèches d’or n’a qu’un temps et Jupiter d’autres mortelles à trousser. L’île au platane qui abrita ses amours avec Europe était la Crête, Astérion en était le roi ; Jupiter lui confia Europe qu’il épousa et dont il adopta les trois fils. L’aîné, Minos, lui succéda et c’est une autre belle histoire.
On a donné le nom d’Europe à cette partie du monde dont la Crête fait partie, où la vierge venue d’Asie Mineure, portée par Jupiter, avait fondé sa famille.

1 commentaire:

manouche a dit…

Beaucoup médité( avec un peu d'envie)sous le platane toujours vert des amours de Jupiter et d'Europe!

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