Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

dimanche 30 octobre 2011

STANCES GALANTES



Souffrez qu'Amour cette nuit vous réveille;
Par mes soupirs laissez vous enflammer;
Vous dormez trop, adorable merveille,
Car c'est dormir que de ne point aimer.


Ne craignez rien; dans l'amoureux empire
Le mal n'est pas si grand que l'on le fait
Et, lorsqu'on aime et que le coeur soupire,
Son propre mal souvent le satisfait.


Le mal d'aimer, c'est de vouloir le taire:
Pour l'éviter, parlez en ma faveur.
Amour le veut, n'en faites point mystère.
Mais vous tremblez, et ce dieu vous fait peur!


Peut-on souffrir une plus douce peine?
Peut-on subir une plus douce loi?
Qu'étant des coeurs la douce souveraine,
Dessus le vôtre Amour agisse en roi;


Rendez-vous donc, ô divine Amarante!
Soumettez-vous aux volontés d'Amour;
Aimez pendant que vous êtes charmante,
Car le temps passe et n'a point de retour.

MOLIERE


vendredi 28 octobre 2011

... Il y a donc aussi dans la bibliothèque des livres qui contiennent des mensonges...
-Les monstres existent parce qu'ils font partie du dessein divin et jusque dans les traits horribles des monstres se révèle la puissance du Créateur. Ainsi par dessein divin existent aussi les livres des mages, les cabales des juifs, les fables des poètes païens, les mensonges des infidèles. Ce fut là ferme et sainte conviction de ceux qui ont voulu et soutenu cette abbaye au cours des siècles, que, même dans les livres mensongers, puisse transparaître, aux yeux du lecteur sagace, une pâle lumière de la sagesse divine. C'est pourquoi fût-ce à ces livres la bibliothèque fait écrin. Mais précisément de ce fait, vous comprenez, n'importe qui ne peut y pénétrer. Et en outre, ajouta l'Abbé comme pour s'excuser de la pauvreté de ce dernier argument, le livre est créature fragile, il souffre de l'usure du temps, craint les rongeurs, les intempéries, les mains inhabiles. Si pendant cent et cent ans tout un et chacun avait pu toucher nos manuscrits, la plus grande partie d'entre eux n'existerait plus. Le bibliothécaire les défend non seulement des hommes mais aussi de la nature, et consacre sa vie à cette guerre contre les forces de l'oubli, ennemi de la vérité.
- Ainsi nul n'entre au dernier étage de l'édifice, sauf deux personnes..."
L' Abbé sourit:" Nul ne doit. Nul ne peut. Personne, même en le voulant, n'y réussirait. La bibliothèque se défend toute seule, insondable comme la vérité qu'elle héberge, trompeuse comme le mensonge qu'elle enserre. Labyrinthe spirituel c'est aussi un labyrinthe terrestre. Vous pourriez entrer et vous ne pourriez plus sortir...

Umberto ECCO - Le Nom de la Rose



jeudi 27 octobre 2011

3° bouton

... A la quatrième! maintenant, fit le père Simon, tel un patron de jeu de tourniquet, le soir de la fête patronale.
Les yeux de Camus fixèrent La Crique, puis le plafond, puis le tableau, puis de nouveau La Crique; ses sourcils se froncèrent comme si sa volonté impuissante brassait les eaux de sa mémoire.
La Crique, un cahier à la main, traçait de son index d'invisibles lettres sur le couverture. Qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire? Non, ça ne disait rien à Camus; alors le souffleur fronça le nez, ouvrit la bouche en serrant les dents, la langue sur les lèvres, et une syllabe parvint aux oreilles du naufragé:
-...Iste!
Il ne pigeait pas davantage et tendait de plus en plus le cou vers La Crique, tant et tant que le père Simon, intrigué de cet air idiot que prenait l'interrogé, fixant obstinément le même point de la salle, eut l'idée saugrenue, bizarre et stupide de se retourner brusquement.
Ce fut un demi-malheur, car il surprit la grimace de La Crique et l'interpréta fort mal, en déduisant que le garnement se livrait derrière son dos à une mimique simiesque dont le but était de faire rire les camarades aux dépens de leur maître.
Aussi lui bombarda-t-il aussitôt cette phrase vengeresse:
-La Crique, vous me ferez pour demain le verbe "faire le singe" et vous aurez soin au futur et au conditionnel de mettre"je ne ferai plus" et "je ne ferais plus le singe" au lieu de "je ferai", c'est compris?
Il se trouva dans la salle un imbécile pour rire de lal punition: Bacaillé, le boiteux, et cet acte stupide de mauvaise camaraderie eut pour conséquence immédiate de mettre en colère le maître d'école, lequel s'en prit violemment à Camus, qui risquait fort la retenue:
- Enfin vous! allez-vous le dire la quatrième condition.
La quatrième condition ne venait pas! La Crique seul la connaissait.
"Foutu pour foutu, pensa-t-il, il fallait au moins en sauver un", aussi avec un air plein de bonne volonté et fort innocent, comme s'il eut voulu faire oublier sa mauvaise action d'auparavant, répondit-il en lieu et place de son féal et très vitre pour que l'instituteur ne put lui imposer silence.
-Etre inscrit sur la liste électorale de sa commune!
-Mais qui est-ce qui vous demande quelque chose? Est-ce que je vous interroge, vous, enfin? tonna le père Simon de plus en plus monté, tandis que son meilleur écolier prenait un petit air contrit et idiot qui jurait avec son ressentiment intérieur...
Louis PERGAUD - La Guerre des Boutons-

mercredi 26 octobre 2011

2° bouton

... Le père Simon lui demanda s'il devenait fou ou s'il se fichait du monde, tandis que La Crique, navré d'être si mal compris, haussait imperceptiblement les épaules en tournant la tête.
Camus se ressaisit. une lueur brilla en lui et il dit:
- Il faut être du pays!
-Quel pays? hargna le maître, furieux d'une réponse aussi imprécise, de la Prusse ou de la Chine?
- De la France, reprit l'interpellé: être Français!
-Ah! tout de même! nous y sommes! Et après?
Après? et ses yeux imploraient La Crique.
Celui-ci saisit dans sa poche son couteau, l'ouvrit, fit semblant d'égorger Boulot, son voisin, et de le dévaliser, puis il tourna la tête de droite à gauche et de gauche à droite.
Camus saisit qu'il ne fallait pas avoir tué ni volé; il le proclama incontinent et les autres, par l'organe autorisé de La Crique, auquel ils mêlèrent leurs voix, généralisèrent la réponse en disant qu'il fallait jouir de ses droits civils.
Cela n'allait fichtre pas si mal et Camus respirait. La Crique fut très expressif: il porta la main à son menton pour y caresser une absente barbiche, effila d'invisibles et longues moustaches, porta même ailleurs ses mains pour indiquer aussi la présence en cet endroit discret d'un système pileux particulier, puis, tel Panurge faisant quinaud l'Angloys qui arguoit par signes, il leva simultanément en l'ai et deux dois de suite ses deux mains, tous doigts écartés, puis le seul pouce de la dextre, ce qui signifiait évidemment vingt et un. Puis il toussa en faisant han! et Camus, victorieux, sortit la troisième condition:
-Avoir vingt et un ans....
Louis PERGAUD

mardi 25 octobre 2011

Extrait de La Guerre des Boutons (la vraie!)

... Il y eut au coup de sifflet du père Simon, une véritable suspension de joie, des plis soucieux sur les fronts, des marques d'amertume aux lèvres et du regret dans les yeux. Ah! la vie!...
-Sais-tu tes leçons, Lebrac? demanda confidentiellement La Crique.
-Heu! oui... pas trop! Tâche de me souffler si tu peux, hein! S'agirait pas ce soir de se faire coller comme samedi. J'ai bien appris le système métrique, j'sais tous les poids par coeur: en fonte, en cuivre, à godets et les petites lames par dessus le marché, mais j'sais pas ce qu'il faut pour être électeur. Comme mon père a vu le père Simon, je vais sûrement pas y couper à une leçon ou à une autre! Pourvu que j'y saute en système métrique!
Le voeu de Lebrac fut exaucé, mais la chance qui le favorisa faillit bien, par contrecoup, être fatale à son cher Camus, et sans l'intervention aussi habile que discrète de La Crique, qui jouait des lèvres et des mains comme le plus pathétique des mimes, ça y était bien, Camus était bouclé pour le soir.
Le pauvre garçon qui, on s'en souvient, avait déjà failli écoper les jours d'avant à propos du "citoyen", ignorait encore et totalement les conditions requises pour être électeur. 
Il sut tout de même, grâce à la mimique de La Crique brandissant sa dextre en fourchette, les quatre doigts en l'air et le pouce caché, qu'il y en avait quatre.
Pour les déterminer, ce fut beaucoup plus dur.
Camus, simulant une amnésie momentanée et partielle, le front plissé, les doigts énervés, semblait profondément réfléchir et ne perdait pas de vue La Crique, le sauveur, qui s'ingéniait.
D'un coup d'oeil expressif il désigna à son camarade la carte de France par Vidal-Lablache appendue au mur; mais Camus, peu au courant, se méprit à ce geste équivoque et au lieu de dire qu'il faut être Français, il répondit à l'ahurissement général qu'il fallait savoir "sa giographie"......

vendredi 21 octobre 2011

LES NOMBRES : LE DIX

Au jour de Sainte-Ursule,
L'été d'un mois recule



Les Pythagoriciens considéraient le dix comme un nombre sacré entre tous car représentant la création universelle. Il a pour la même raison une grande importance chez les Bambaras. En Inde, le code de Manou compte dix règles morales et les bouddhistes dénombrent dix vertus transcendantes.
Pourtant, s’il est moins important dans la tradition judéo-chrétienne, il n’est pas sans signification. Nous avons les dix commandements, les dix plaies d’Egypte est le dragon de l’Apocalypse est orné de dix cornes.

lundi 17 octobre 2011

"Pour se faire aimer, on se rendra en l'île d'Avallon, dans le verger de l'Eternelle Jeunesse;choisir à l'un des pommiers le plus beau, le plus rond, le plus vert des fruits, qu'on laissera sur la branche. On l'entourera alors d'un blanc papier dans lequel on aura découpé le prénom du désiré. Le soleil, en mûrissant et en rougissant le fruit, écrira de cette façon son nom à travers le papier, que l'on brûlera après. Il ne restera plus qu'à manger le côté imprimé de la pomme et à enterrer l'autre moitié au milieu du verger."
Pierre DUBOIS - Elficologue



dimanche 9 octobre 2011

Wichikapache

Un serpent perdit ses yeux.
Ne dites pas que c'est ma faute cette fois!
C'était le hibou couleur de neige,
Il imitait la lune.
Ce hibou fermait les yeux
perché sur un arbre embrumé
avec sa face toute blanche.
Le serpent regardait à travers le brouillard
il vit cette face ronde
et dit:"Lune, montre-moi un repas."
Alors la lune est descendue et lui a pris ses yeux.
Howard A.NORMAN - L'os à voeux


samedi 8 octobre 2011

"Quand les feuilles s'envolent, c'est le temps où les Vendoises partent tournoyer leurs sarabandes au-dessus de la tour de Mélusine ou de la fontaine de Viviane, avant d'aller rejoindre les royaumes des sommeils enchantés. Lors de ces tournoyantes voltiges, il arrive qu'un de leurs bijoux, ou bien une écharpe de mousseline, tombe à terre. Celle qui aura le bonheur de trouver et de ramasser un de ces objets et qui le conservera secrètement contre sa peau pourra dialoguer avec les fées. Elle ne les verra pas mais recevra une réponse à chacune de ses questions, aussi improbable soit-elle."

Pierre DUBOIS - ELFICOLOGUE



mercredi 5 octobre 2011

Cannibale

Quatorzième siècle, Paris, extérieur nuit ; un faible quinquet éclaire la porte d’une auberge. Frappe un voyageur … Pendant qu’on soigne son cheval et qu’on prépare son lit, l’aubergiste lui sert à dîner.
Le vin de Montmartre est fruité, le pâté en croûte un délice : une pâte fine, légère, des épices judicieusement dosées et la viande d’une finesse, mais d’une finesse… Le voyageur demande à l’hôte sa recette :
« Ah, messire ! Il est tard, mon marmiton est couché ; ce pâté vient du traiteur de la rue voisine. Tous mes chalands en raffolent mais ce diable d’homme comme tous les cuisiniers, refuse de confier sa recette. »
« Dommage, j’aurai bien aimé la faire connaître à mon maître queue. Tant pis, demain matin, j’irai lui en acheter, il faut que ma femme goûte cette merveille ! »
Le lendemain de bon matin, son bagage lié, son cheval sellé, le voyageur demande l’adresse du traiteur.
Ce n’est pas loin juste après le coin de la rue, il ne peut pas se tromper, un barbier est juste à côté. 
« Mais ajoute l’aubergiste, soyez prudent à la sortie de la ville, l’Anglais rôde et aussi les brigands. Nombre de voyageurs n’ont pas reparu dont on a vu ensuite les montures et les armes vendus sur le marché ; »
« N’ayez crainte, l’ami, je suis bien armé et un homme averti… »
Tenant son cheval par la bride, le voyageur s’éloigne, tourne le coin de la rue. L’échoppe du traiteur est encore fermée, le barbier en revanche, balaie devant sa porte.
Notre homme se dit qu’il ne perdra rien à se faire raser en attendant ses pâtés. Le barbier l’installe, lui met sur le visage un linge chaud et sur un cuir, affûte son rasoir.
Pendant qu’on lui enduit le visage de mousse, il entend une voix qui crie :
« Je suis prêt, tu peux envoyer le client ! »
Il sent le rasoir passer sur ses joues, son menton, descendre le long du cou et soudain…Il pousse un hurlement, le rasoir vient de lui trancher la gorge…
La douleur le fait bondir, il attrape la main du barbier, la lui tord, l’homme lâche le rasoir ; l’agressé lui envoie en pleine face un fort coup de poing, et avisant sur le sol, un rai de lumière désignant une trappe, soulève la planche, balance le barbier dans la cave, pousse dessus le fauteuil et court dans la rue en appelant à l’aide.
On accourt, on le soigne, on appel le guet. Les gendarmes descendent dans la cave où ils trouvent le traiteur, en train de découper son voisin que dans la pénombre il avait pris pour la victime….Le traiteur fut brûlé en place de grève et l’aubergiste ne retrouva jamais la recette de l’excellent pâté dont il dut désormais priver ses hôtes.

dimanche 2 octobre 2011

De la Saint Léger à la Toussaint,
La boue va bon train.


Feuilles d’automne



Au temps où la terre était adolescente, toutes choses n’étant point encore achevées, les arbres étaient toujours verts. On n’avait jamais vu roussir ni tomber les feuilles ; on ne savait pas la splendeur des couleurs de l’automne.
Un jeune homme aventureux quitta son village pour connaître le monde et ses merveilles. Il marcha longtemps, le dos chauffé par le soleil. Sa route fut longue, traversant rivières et landes, parcourant monts et forêts.
Il arriva enfin dans un pays étrange. Le soleil n’y était pas bien vaillant et il se couchait tôt, cependant ses rayons faisaient luire la contrée d’une infinité de nuances ; une palette que le garçon n’aurait jamais osé imaginer.
Les fleurs y poussaient en quantité et plus colorés encore étaient les arbres : l’or, le cuivre, la pourpre les enluminaient, et par delà cet incendie se distinguaient dans la brume des montagnes bleues coiffées de glaciers.
Le jeune homme se rassasia de ces merveilles. Le cœur en fête et les yeux éblouis, il retourna dans son village pour partager avec les siens le cadeau offert par la nature.
Las !personne ne voulut le croire.
-Comment, disaient les gens, des arbres pourraient-ils être rouges, jaunes ou même bruns ! Voyons ! les arbres sont verts.
-Mais je les ai vus, plaidait le voyageur ! Venez avec moi, je vous les montrerai !
-Vas-y donc tout seul et rapporte-nous, si tu le peux des branches et des feuilles de ces arbres miraculeux .
Le jeune homme s’en retourna, affirmant :
-Oui, oui, je vous en apporterai !
Du temps passa et comme l’aventurier ne revenait pas, on finit par l’oublier.
Et puis un jour, sur la place du village où tous étaient réunis à l’ombre d’un grand arbre vert, on vit se poser un oiseau magnifique, un oiseau aux plumes éclatantes. Il tenait dans son bec des rameaux aux feuilles d’or de cuivre et de rubis. Il les lâcha sur l’arbre, se posa sur une branche et chanta un air étrange ; un air qui ressemblait à un rire moqueur.
Puis l’oiseau s’envola.
Bientôt, sur la place du village, on vit roussir les feuilles du grand arbre. Portées par le vent, elles effleurèrent les feuilles des arbres du voisinage, qui à leur tour se mirent à changer de couleur.
Et c’est depuis ce temps que les feuilles vertes des arbres brunissent et s’envolent avec le vent d’automne.

Les Chouchous