Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

jeudi 25 août 2011

Paroles d'Ânes (fin)


C’est à travers les champs et les bois que s’enfuit Cadichon quand, pour avoir été méchant, ou plutôt avoir fait montre de trop d’intelligence, il est mis à l’écart par ses maîtres (L’âne Lucius en fait autant !)
« Prenez donc garde, monsieur Jacques, ne restez pas près de Cadichon : il vous mordra, il mordra le bourri ; il est méchant, vous savez bien.
-Il n’a jamais été méchant envers moi, et il ne le sera jamais », répondit Jacques…
Nous voici prévenus : soyez aimables si vous ne voulez pas qu’on soit méchant envers vous.
Mais Sophie de Ségur n’était méchante qu’avec sa plume. Et je suis pour ma part à peu près certaine qu’en Paradis, c’est Sophie Rostopchine, Comtesse de Ségur, qui a été envoyée pour ouvrir toutes grandes les portes au doux poète Francis Jammes, qui priait pour monter en Paradis avec les ânes :

« Lorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis. Où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
J’irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
Car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon-Dieu.
Je leur dirai : « Venez, doux amis du ciel bleu,
Pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreille,
Chassez les mouches plates, les coups et les abeilles… »
Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes
Que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête
Doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds
D’une façon bien douce et qui vous fait pitié.
J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles,
Suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles,
De ceux traînant des voitures de saltimbanques
Ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,
De ceux qui ont au dos des bidons bossués,
Des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
De ceux à qui l’on met des petits pantalons
A cause des plaies bleues et suintantes que font
Les mouches entêtées qui s’y groupent en ronds.
Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je Vous vienne.
Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent
Vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
Lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
Et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
Sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
Qui mireront leur humble et douce pauvreté
A la limpidité de l’amour éternel.




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