Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

mardi 23 août 2011

Paroles d'Ânes (5)

Catherine Rostopchine, morte l’année précédant la parution des « Mémoires », mère douteuse sur le plan affectif, avait cependant donné à sa fille ce que cette dernière réclamera sans trêve pour nombre de ses petites héroïnes et partant pour leurs lectrices : une instruction poussée, comparable à celle donnée aux garçons. Il va sans dire que la Comtesse de Ségur connaissait les auteurs Grecs et Latins.
L’un d’eux, Apulée, a raconté au 2° siècle de notre ère dans « L’Âne d’Or », les mésaventures de Lucius, un jeune homme changé en âne par une sorcière. Certes, l’histoire est impossible à raconter à de chastes petites filles modèles ; n’empêche qu’il est amusant de comparer ces deux baudets   au raisonnement humain, qui prennent aux dents leur destin quand il en est besoin, qui savent se venger et jouer des tours pendables à qui se croit leur maître.
Lucius retrouvera sa forme première quand il pourra manger une rose ; mais Cadichon, brouterait-il tous les parterres des Nouettes et les roses dont Sophie aimait à orner ses chapeaux, âne il est né, âne il restera. On hésite à soupçonner Madame la Comtesse de Ségur, éducatrice chrétienne et digne grand-mère, de s’être amusée aux priapiques aventures de l’âne Lucius ; de s’être amusée encore plus à les transformer en histoire pour enfants sages. En revanche, Sophie Rostopchine la malicieuse,  Sophaletta que son père avant surnommé « le Petit Bouffon », en était parfaitement capable. Certaines similitudes entre les deux romans si elles sont fortuites sont cependant troublantes. L’âne Lucius se donne en spectacle tout comme Cadichon dans le chapitre de l’âne savant .La voix de stentor des deux baudets contribue à faire prendre des voleurs ; Le repaire des voleurs de Cadichon se dissimule dans une cave ; Ceux d’Apulée dans une grotte où une vieille femme raconte à une jeune prisonnière une histoire : le conte d’Amour et Psyché.
Quoiqu’il en soit, Cadichon qui rapporta tant de droits à son auteur est bel et bien un Âne d’Or.
Tout comme l’Âne d’Or, les Mémoires d’un Âne est une fable éducative, puisque Cadichon comme Lucius ne se contente pas de parler, mais aussi raisonne et JL Bory ne s’y est pas trompé qui cite Cadichon dans la préface de l’édition Folio
Enfin,  après diverses aventures plus ou moins heureuses, (menacé d’aller faire tourner la roue du moulin, entre autres) Cadichon est acheté par une grand-mère, bien semblable à l’auteur ; il arrive ainsi au château de la Herpinière, qui lui aussi rappelle fort les Nouettes, d’autant plus qu’il est peuplé d’enfants d’âges variés qui, comme par hasard, portent les noms ce ceux de Sophie. Charmés de sa brillante intelligence, les petits le comblent de caresses et de friandises. Cadichon enfin est heureux… Hélas, un mauvais jour, Auguste, un ami  des enfants, entêté, désobéissant, tue son ami Médor d’un malencontreux coup de fusil. Cadichon en proie de nouveau à ses démons, ne songe plus qu’à se venger  et y parvient :
« En revenant par la ferme, nous longions un trou ou plutôt un fossé dans lequel venait aboutir le conduit qui recevait les eaux grasses et sales de la cuisine ; on y jetait toutes sortes d’immondices, qui, pourrissant dans l’eau de vaisselle, formaient une boue noire et puante. J’avais laissé Pierre et Henry passer devant ; arrivé près e ce fossé, je fis un bond vers le bord, et une ruade qui lança Auguste au milieu de la bourbe. Je restai tranquillement à le voir patauger dans cette boue noire et infecte qui l’aveuglait.
Il voulut crier, mais l’eau sale lui entrait dans la bouche ; il en avait jusqu’aux oreilles, et il ne pouvait parvenir à retrouver le bord. Je riais intérieurement. « Médor, me dis-je, Médor, tu es vengé ! »
C’est par cette vengeance que Sophie aurait voulu terminer le  livre. Mais Templier, soutenu par Gaston, l’obligera à rallonger l’histoire pour la finir « comme il faut », par le repentir de Cadichon.  Sophie s’insurgera, clamant qu’elle n’a pas « voulu faire un âne chrétien », mais finira par les écouter.



1 commentaire:

manouche a dit…

Peut être avec les" Mémoires d'un âne" et son héros, mon grand amour, l'âne Cadichon, savais-je déjà lire entre les lignes...

Les Chouchous