Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

mercredi 17 août 2011

Paroles d'Ânes (2)

Joyeuse, exubérante, excentrique parfois, elle a toute sa vie été muselée.  Dès l’enfance par l’éducation féroce dispensée par sa mère.
Catherine Rostopchine, née Protassov, est un genre de mère aussi difficile à assumer que Mme Lepic pour Poil de Carotte ou que Folcoche pour Hervé Bazin.   Souvenons-nous que Folcoche avait fait scandale en 1948 ; or un siècle plus tôt, dans la trilogie de Fleurville, la Comtesse de Ségur fait de sa mère une belle-mère : Madame Fichini, une folle furieuse qui fouette, punit, se laisse aller à une violence et une injustice terrifiantes.  Pour brouiller les pistes et peut-être prendre une spirituelle revanche, elle la rend ridicule :

« Madame Fichini descendit triomphante, grasse, rouge, bourgeonnée. Ses yeux étincelaient d’orgueil satisfait ; elle croyait devoir être l’objet de l’admiration générale avec sa robe de mère Gigogne, ses gros bras nus, son petit chapeau à plumes de mille couleurs couvrant ses cheveux roux, et son cordon de diamants sur son front bourgeonné…

Ce n’est évidemment pas là le portrait de Catherine Rostopchine qui ressemblait plus à Mme de Réan , la mère naturelle de Sophie, qu’à la grosse Fichini. Madame de Réan nous montre le bon côté de Catherine Rostopchine : une éducatrice rigoureuse, une femme belle, cultivée, austère, une mère toutefois peu affectueuse. La comtesse de Ségur la fera périr dans un naufrage. La mauvaise mère hantera longtemps son imagination ; plus tard elle en fera le titre et l’argument d’un de ses romans.  Mais sur la pression de son entourage scandalisé, « La Mauvaise Mère » deviendra « François le Bossu ». Il est vrai que la futile Madame des Ormes, si elle en a certains défauts, n’a aucune des qualités de Catherine .

Sophie, une fois mariée passera de la coupe de sa mère sous celle de la tribu des Ségur,  avec en tête une belle-mère. La comtesse Octave de Ségur est blessante, méprisante envers tous ces Russes, Sophie incluse, qu’elle considère comme des sauvages. Cependant, l’éducation de la Comtesse Octave était aussi parfaite que sa morale était souple ; son inconduite avait poussé son époux au suicide. Mais elle savait se tenir dans le monde et entendait que Sophie en fasse autant. Le caractère de Sophie était tout à l’opposé de celui de sa belle-mère ; elle aimait Eugène et n’imaginait même pas qu’on puisse rendre ses infidélités à un époux qui aimait à se disperser. En revanche, elle ne maîtrisait guère sa langue ; quant aux  convenances, la fille de Fédor Rostopchine avait les siennes qui n’étaient pas forcément celles du faubourg Saint Germain.
Plus tard, dans les meilleures intentions du monde, son fils aîné Gaston, devenu évêque et qui avait appris la piété auprès de sa fanatique grand-mère, voulut raviver une foi qu’il trouvait un peu tiède et les romans de sa mère s’en ressentirent. C’est à lui probablement qu’on doit l’agaçant et sulpicien « Pauvre Blaise »; puis pour finir, Emile Templier, son éditeur soucieux de donner à ses jeunes lecteurs des ouvrages à la moralité édifiante, imposa nombre de corrections pas toujours acceptées de bon coeur.

« Lettre du 16 mars 1858-
L’amour-propre d’auteur a sans doute sévi sur moi, Monsieur ; je m’étais révoltée d’abord de ce que deux épisodes entièrement historiques aient été jugés impossibles, ensuite, de la manière inusitée et cavalière dont avait usé votre correcteur. L’auteur étant  homme peut faillir ; le droit de remontrance est sans donte acquis à l’Editeur qui règne en despote sur ses Auteurs ; mais le droit de retranchement sans consentement d’Auteur, me semble être tout nouveau et pas encore passé en usage. C’est l’avis de la demi-douzaine d’Auteurs que je connais particulièrement. Au reste, le bon Dieu ne m’ayant pas entachée d’entêtement, je baisse pavillon devant vous, je retrancherai tout ce que vous voudrez, quoique, je le répète, les deux épisodes qui ont choqué votre correcteur sont historiques, avec la variante que ce n’était pas une belle-mère mais une mère qui élevait ainsi sa fille et que j’en aurais pu citer d’autres plus cruels encore. Je renvoie donc à l’impression l’épreuve, revue, endommagée et diminuée et j’attends les suivantes dans l’humble attitude d’un ballon crevé…..

IVoilà comment depuis son enfance, jamais Sophie n’a pu dire tout haut ce qu’elle pensait tout bas. Et c’est pourquoi, aphone, la gorge douloureuse et en proie à des migraines insoutenables, elle a emprunté la voix puissante de Cadichon pour enfin envoyer au diable belles manières et paroles feutrées, puis proclamer sa façon de penser, faire savoir à tous que fille de Fédor Rostopchine, l’incendiaire de Moscou et descendante de Gengis Khan elle était capable tout comme son âne de se rebiffer et de rendre coup pour coup… entre les pages d’un livre tout au moins.

1 commentaire:

FRANKIE PAIN a dit…

je suis passée je le lis demain

Les Chouchous